5 octobre 2021
5 octobre 2021
Temps de lecture : 9 minutes
9 min
25453

Reconversion : ils ont quitté leurs jobs pour devenir profs

La crise sanitaire a accru les envies de reconversion. En quête de sens, certains actifs ont franchi le pas. Eugénie, Ludovic et Antoine racontent à Maddyness comment et pourquoi ils sont passés du monde de l'entreprise à l'enseignement dans des établissements d'éducation prioritaire. Témoignages.
ÉCOUTER L’ARTICLE
Temps de lecture : 9 minutes

Republication d'un article du 27 avril 2021

Près d’un actif sur cinq s’est questionné sur la possibilité d’une reconversion pendant la crise sanitaire, selon une étude menée par l’institut BVA en juin 2020. Le rapport souligne que le premier levier de motivation à ces impulsions était la quête de sens dans leur activité professionnelle. On y apprend aussi que les secteurs visés par les actifs en quête de reconversion touchaient principalement le service public, ainsi que les métiers en lien avec l’environnement.

Depuis 2015, l’association Le Choix de l’école accompagne diplômés et jeunes actifs dans leur reconversion vers l’enseignement dans les collèges publics de quartiers populaires. Elle s’engage à former les apprentis professeurs et à les suivre pendant leurs deux premières années en collège.  La structure revendique l’accompagnement de 230 jeunes, âgés de 22 à 35 ans, sortant d’universités, d’écoles d’ingénieurs, d’écoles de commerce ou de Sciences Po, ou en reconversion suite à de précédentes expériences professionnelles.

Maddyness a récolté les témoignages de trois actifs devenus professeurs en REP (réseau d’éducation prioritaire), tous venus de milieux professionnels divers. Ils expliquent les raisons de leur choix.

Ludovic, 30 ans

Diplômé de l’ESSEC, puis d’un master en Affaires publiques à Sciences Po, il a travaillé trois ans en marketing chez L’Oréal, avant de se reconvertir, en 2018.

"Tout au long de mon parcours scolaire puis professionnel, j’ai été attiré par le service public, tout en ayant envie de voir ce que c’était que de travailler dans le privé. Après mes études à Sciences Po et à l’ESSEC, j’ai eu cette opportunité de travailler en marketing chez l’Oréal. J’ai voulu me lancer, je trouvais que c’était un challenge stimulant, mais je gardais en moi cette attirance pour le service public et cette volonté de faire un métier que je considère utile à la société. Et justement, transmettre le savoir et élever des adolescents pour en faire des citoyens responsables, c’est une des choses les plus utiles pour la société. C’est ce qui m’a amené à envisager une carrière dans l’enseignement.

Cette reconversion a été plus qu’un déclic. En 4 ans à travailler en marketing dans les cosmétiques, j’ai progressivement eu l’impression que ma valeur ajoutée était nulle. Si bien qu’un lundi matin assez ordinaire, je me suis dit que je ne pouvais plus continuer, et dans la semaine j’avais démissionné. Une fois que la lettre de démission a été signée, j’ai commencé à beaucoup m’interroger. Est-ce que j’ai bien fait ? Est-ce que j’ai vraiment envie d’enseigner ? Est-ce que je devrais reprendre mes études ? Et, un peu par hasard, j’ai entendu parler d’une association, Le Choix de l’école, qui accompagne des jeunes dans mon cas dans leur transition vers l’enseignement, et c’est comme ça que 5 mois plus tard je me retrouvais à enseigner les maths.

La question de l’impact de l'entreprise dans laquelle on travaille se posait trop peu quand j’étais à l’ESSEC, il y a 10 ans...

J’avais besoin de sens, j’en ai trouvé ! Quand on enseigne, c’est tous les jours que l’on peut constater le fruit de son travail. C’est palpable ! On peut voir que tel élève a enfin compris comment on calculait avec des pourcentages, après de nombreuses explications. On peut voir que tel autre y voit un peu plus clair dans son projet d’orientation, après de longues discussions. Évidemment, ce n’est pas tous les jours facile, on n’atteint pas tous les jours les objectifs que l’on se fixe en tant qu’enseignant, mais au moins je sais pourquoi je me lève le matin.

J’ai l’impression que beaucoup de jeunes diplômés, au bout de quelques années, ont sincèrement envie de tout balancer, de se tourner vers d’autres horizons, de faire quelque chose qui leur correspond plus, mais peu osent se lancer. Evidemment, d’autres n’ont pas compris et m’ont fait comprendre que je pouvais faire 'mieux'... Mais ça ne m’a pas fait changer de cap, cela m’a juste montré que nous n’attendions pas la même chose du travail.

Il me semble que la question du sens est de plus en plus présente chez les jeunes actifs. La question de l’impact de l'entreprise dans laquelle on travaille se posait trop peu quand j’étais à l’ESSEC, il y a 10 ans... La plupart des étudiants rêvait simplement d’être recrutés dans l’entreprise leader de son marché ou dans la startup la plus en vue, quelle que soit sa mission ! Aujourd’hui, c’est différent, les enjeux environnementaux, sociaux et les questions d’éthique me semblent davantage au cœur de ce qui est enseigné en école de commerce, entre autres à l’ESSEC. Tant mieux ! J’espère bien que ça contribuera à former des jeunes actifs plus engagés."

Eugénie, 29 ans

Diplômée du master entrepreneuriat d’HEC, elle a ensuite été freelance pendant 4 ans et a accompagné des entrepreneurs et des grandes entreprises dans leur transformation digitale, avant de se tourner vers l’enseignement.

"J’ai toujours aimé être dans des situations de transmission, par exemple quand je faisais du soutien scolaire ou lorsque j’animais des formations en entreprise. C’est clairement le besoin de mettre mon énergie au service de l’intérêt général qui m’a petit à petit poussée vers l’enseignement.

Ma décision de devenir enseignante n’est pas née d’un déclic, mais plutôt d’un cheminement, d’un travail de fond qui a commencé en faisant du soutien scolaire après HEC. Ensuite, l’idée de devenir prof m’est venue quand j’ai entendu parler du Choix de l’école, et même après ça, il m’a fallu trois ans pour vraiment accepter cette envie de me tourner vers l’enseignement.

J’ai trouvé plus de sens dans l’enseignement que dans ma précédente profession, j’ai le sentiment que je contribue, à mon échelle, à résoudre les problèmes de société. En parallèle, le terrain me manquait. Quand j’avais des missions liées à des questions d’environnement par exemple, certes je répondais à des problématiques qui me tenaient à cœur mais c’était souvent théorique, éloigné du terrain. Aujourd’hui, ce contact terrain est quelque chose que j’adore et que j’ai vraiment envie de garder dans ma vie professionnelle.

Pour mes proches, ça n’a pas été simple. Principalement en raison de l’image peu valorisante qui colle au métier de prof, qui est vu - tellement à tort ! -, comme répétitif, sans ambition, peu créatif... 

Dès que j’ai commencé à exercer, j’ai vraiment pris conscience du potentiel et de la puissance de ce métier : cela m’a permis d’approfondir mes compétences professionnelles, et d’en développer de nouvelles. Cela me sera utile quelle que soit la voie que je choisis de poursuivre et je ne me sens pas limitée dans la suite de ma carrière, bien au contraire. Du côté de la salle des profs, mon parcours a été accueilli de façon positive et bienveillante.

À la petite échelle de mon entourage, il y a aussi quelques reconversions mais surtout des changements moins radicaux pour aligner leur quotidien avec leurs valeurs. Par exemple, nombreux sont ceux qui ont des engagements bénévoles à côté de leur job. Parmi ceux qui sont freelances, de plus en plus choisissent les clients pour lesquels ils ont envie de travailler, en cohérence avec leurs aspirations. Enfin, je perçois aussi cette recherche de sens chez mes amis entrepreneurs, qui par exemple visent l’obtention du certificat B Corp.

Ces deux années passées à enseigner en collège en éducation prioritaire m’ont appris une chose : j’adore ce métier, travailler avec des jeunes, mais j’ai parfois du mal à me reconnaître dans le cadre proposé par l’Education nationale, surtout en ce qui concerne les évolutions de carrière. Donc ce n’est en aucun cas un désaveu pour l’éducation, je sais que je veux continuer dans cette voie, mais je ne suis pas sûre pour le moment que ce soit au sein de l’Education nationale. Je cherche maintenant à aligner ma passion pour l’éducation avec les compétences que j’ai développées au fil de mes expériences en entreprise et en tant qu’enseignante."

Antoine, 32 ans

Après un master à l’ESCP, il a travaillé trois ans dans un cabinet de conseil. Puis il a ouvert un bar à Paris avec un ami, qu’ils ont cogéré pendant trois ans, avant de se lancer dans l’enseignement.

"J’ai la bougeotte, j’ai besoin de nouveaux défis, de m’amuser. Au bout de trois ans, j’avais fait le tour de mon précédent boulot. J’ai pris beaucoup de plaisir dans la gestion du bar, mais c’est un rythme un peu particulier, on vit essentiellement la nuit. Je cherchais aussi à avoir un impact social plus tangible, à 'faire ma part' comme on dit. Je donnais des cours de soutien bénévoles au Secours Populaire depuis deux ans, et je me suis rendu compte que l’enseignement était quelque chose qui m’allait bien, avec lequel j’étais plutôt à l’aise.

Accepter de diviser son salaire par deux reste un frein important

Au bout de deux ans de gestion de bar, je savais que je ne m’y éterniserais pas. J’ai songé à plusieurs reconversions, avant de me lancer dans celle qui me semblait la plus stimulante et la plus en phase avec mes aspirations du moment. Et puis j’ai été accompagné dans ce choix et cette transition vers l’enseignement par l’association Le Choix de l’école, qui m’a formé pendant mes deux premières années en classe, un suivi sans lequel l’entrée dans le métier aurait été certainement beaucoup plus compliqué.

J’ai trouvé ce qui me manquait. J’ai l’impression d’être utile, à ma toute petite échelle. Dans ces quartiers défavorisés, qui cumulent toutes les difficultés économiques, sociales, urbaines, que l’Etat semble avoir laissé à l’abandon, et où les parents n’ont pas forcément les moyens d’aider leurs enfants dans leurs apprentissages, les élèves ont besoin de profs motivés, investis. Et je le suis, alors j’ai l’impression de faire ma part. En l’annonçant à mes proches, il a fallu déconstruire certaines idées qu’ils se faisaient de l’enseignement d’aujourd’hui, mais globalement j’ai été soutenu et même encouragé.

De plus en plus de jeunes actifs cherchent à se reconvertir pour trouver plus de sens à leur activité, mais le passage à l’acte n’est pas toujours évident. Accepter de diviser son salaire par deux reste un frein important. Surtout quand on a la trentaine, des projets d’investissement ou d’enfants, que le quotidien est plutôt confortable…"

Partager
Ne passez pas à côté de l'économie de demain, recevez tous les jours à 7H30 la newsletter de Maddyness.