28 mars 2022
28 mars 2022
Temps de lecture : 5 minutes
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Gérer son développement sans lever des fonds : l'exemple de Compta Clementine

Au milieu des impressionnantes levées de fonds menées ces dernières années dans l’écosystème français, certaines jeunes entreprises décident de croître sans diluer leur capital, tant que possible. Zoom sur le cas de la scaleup lorraine Compta Clémentine.
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© Compta Clémentine

Au début de l’année 2021, Lemlist faisait le buzz. La raison ? Guillaume Moubeche, CEO de la startup spécialisée dans la prospection commerciale, criait haut et fort avoir refusé une levée de fonds de 30 millions de dollars, puisqu’on " a trop souvent tendance à associer la réussite à la somme levée, expliquait-il sur BFM Business. Je pense que ce serait bien d'intégrer d'autres critères, notamment la rentabilité, le bonheur de ses salariés… ". Applaudi ou condamné, ce coup marketing a en tout cas fait beaucoup parler au sein de la French Tech. Et quelques mois plus tard, la jeune société a finalement opéré un tour de table de 30 millions de dollars auprès du fonds britannique Expedition Growth Capital, qui a pris 20 % du capital de la jeune pousse...

D’autres entreprises, moins médiatisées, ont fait et continuent de faire ce choix de se passer de levées de fonds tant que possible pour se développer. C’est le cas de Compta Clémentine, scaleup lorraine créée en 2012 par William Boiché et son père Jean-Louis Boiché, qui propose un cabinet d’expertise-comptable 100% en ligne pour permettre aux entrepreneurs et PME d’externaliser leurs charges administratives. 

Rentable en deux ans

Les fonds nous ont toujours courtisés et, depuis 2014, on discute avec certains d’entre eux, affirme William Boiché. En 7 ans, progressivement, les investisseurs nous ont toujours proposé plus d’argent pour le même pourcentage de capital, donc si nous devions faire une série A maintenant, elle serait beaucoup plus importante qu’il y a encore quelques années, ce qui prouve que notre calcul n’a pas été mauvais jusqu’à aujourd’hui ". 

Si le lancement de l’entreprise en 2012 a été laborieux, avec 70 000 euros en poche en fonds propres et face à des banques qui ne voulaient pas leur prêter d’argent, les deux co-fondateurs ont réussi à atteindre la rentabilité en deux ans, grâce à leurs 100 premiers clients. " Depuis ce moment, on a accéléré le développement de notre produit technologique, en investissant tous les gains de l’entreprise là-dedans ", ajoute le CEO de Compta Clémentine. Cette stratégie s’est avérée payante : depuis ce temps, la scaleup, qui joue le jeu de la transparence, affirme enregistrer un taux de croissance de plus de 50 % chaque année, et un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros en 2021, grâce à 10 000 clients entrepreneurs, artisans, TPE-PME, commerçants et professions libérales.

Selon l’entrepreneur, cette réussite tient aussi au caractère hybride du service proposé par Compta Clémentine, à cheval entre une solution SaaS pour des abonnements bons marchés, et un accompagnement humain, pour les entreprises qui voudraient pouvoir bénéficier également d’un contact avec un comptable dédié. 

L’autre investissement majeur de Compta Clémentine, c’est le recrutement. Preuve en est, depuis sa création, l’entreprise a déménagé trois fois par manque de place. Aujourd’hui, la scaleup a investi un immeuble de près de 5 000 mètres carrés en Lorraine. Sans compter l’ouverture d’un bureau parisien, " puisque c’est là que se trouvent la plupart des profils tech " explique son dirigeant, et un autre à Marseille, " parce qu'un bon nombre de nos collaborateurs avaient envie de partir vivre dans cette ville ". À cela s’ajoute un petit bureau symbolique à Épinal, où l’entrepreneur a fait ses études. 

Recrutement de 300 personnes

Composée de 220 salariés aujourd’hui, la startup compte encore accueillir de nouvelles têtes. Nous avons lancé un plan de recrutement massif sur les 18 prochains mois pour embaucher 300 personnes ", précise William Boiché. Si les startups lèvent souvent des fonds pour soutenir leurs ambitions en matière de recrutement, une fois encore, Compta Clémentine est sereine pour s’en sortir sans. " Nos banques nous font confiance, ce qui nous permet encore d’investir des millions sans ouvrir notre capital, répond-il. On peut soutenir ce plan de recrutement et tripler de taille avec de la dette, et en restant maîtres de notre stratégie ". 

William Boiché l’admet, si son entreprise avait été entièrement basée à Paris, il aurait peut-être été contraint de lever des fonds. " On pourrait penser que le fait d’être en région est un inconvénient, mais c’est au contraire une vraie force dans un business model quand on ne lève pas de fonds, argumente-t-il. L’immobilier à Nancy est dix fois moins cher qu’à Paris, et tout est plus abordable, ce qui suppose aussi que les collaborateurs ont des prétentions salariales moindres ". 

Octave Klaba en exemple

Si nombre d’entrepreneurs de la French Tech ont pour objectif de se développer très vite pour faire un exit le plus rapidement possible, Willam Boiché n'est pas du tout dans cette optique. " Je ne suis pas dans un sprint, mais dans un marathon. Je veux construire une grande entreprise et tenir le gouvernail aussi longtemps que possible, je vois les perspectives à long terme ", image le fondateur de Compta Clémentine, qui espère que sa stratégie pourra un jour lui permettre de devenir une licorne, entreprise valorisée à plus d’un milliard d’euros. 

Pour William Boiché, le modèle à suivre est celui d’Octave Klaba, fondateur d’OVH. " Cet entrepreneur voit loin, il n’a pas voulu levé de fonds pendant 15 ans et l’a fait quand il en avait vraiment besoin pour ouvrir de nouveaux marchés, ce qui fera bientôt d’OVH un leader incontesté sur le continent européen. C’est la trajectoire que je vise dans mon secteur de niche ", explique le dirigeant du cabinet d’expertise-comptable en ligne.

Car, en effet, s’il n’exclut pas de lever des fonds un jour, il maintient qu’il le fera seulement s’il voit " des compétiteurs dangereux débarquer son mon marché, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ", ou quand il envisagera une internationalisation de sa solution. " Nous voulons progressivement nous déployer dans d’autres pays, probablement par l’acquisition de concurrents étrangers, pour s’adapter au mieux à la culture des marchés ciblés, conclut William Boiché. C’est à ce moment-là que pourra intervenir une levée de fonds de quelques dizaines de millions d’euros pour gagner rapidement des parts de marché à l’étranger et européaniser notre entreprise ".