27 décembre 2021
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Temps de lecture : 8 minutes
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Octave Klaba, de la Pologne communiste à la Bourse de Paris avec OVHcloud

Maddyness revient sur le parcours et les convictions d'Octave Klaba, fondateur et président d'OVHcloud, entreprise tech française, désormais cotée à la Bourse de Paris.
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Harry Murphy / Web Summit via Sportsfile

Article initialement publié le 13 octobre 2021

Comme la majorité de ses homologues de la tech dans le monde, surtout quand leur entreprise leur offre une exposition médiatique, Octave Klaba assume entièrement son côté ‘geek’ d'entrepreneur. Aux Échos, en juin 2018, le fondateur du spécialiste de l’hébergement web OVHcloud disait avoir "senti que les ordinateurs peuvent changer le monde". Né en Pologne, il est encore adolescent lorsqu’il imagine que "cet outil permettra au monde de se transformer et peut-être créer quelque chose de meilleur dans lequel on vivra plus heureux". Celui qui deviendra l’un des 10 entrepreneurs les plus fortunés de la tech tricolore débarque en France, à Roubaix (Nord), en 1992 à l’âge de 17 ans. Marqué par la surveillance qu’exerce le régime communiste sur sa famille avant la chute du mur de Berlin, Octave Klaba aiguise très tôt son sens de la protection de la vie privée. Cette obsession prend forme lorsqu’il lance sa société en novembre 1999. Nom de code : OVH.

OVH trouve ses fondations dans une expérience personnelle

"On Vous Héberge." C’est avec les initiales de cette expression qu’a choisi de se lancer le dirigeant pour installer une relation de confiance avec ses premiers clients. "Sur l’Internet, si on n’est pas paranoïaque, on se fait hacker, on se fait voler des données" , rappelait ainsi Octave Klaba à RFI en février 2020, faisant le parallèle avec les "persécutions" vécues par sa famille lorsqu’il vivait en Pologne. Ce positionnement a permis à l’entreprise de se faire un nom en France, puis un peu partout en Europe. L’entrepreneur, qui a assuré aux Échos se retrouver davantage dans le capitalisme que le communisme, porte toutefois un regard critique sur le système : "Même s’il semble fonctionner, pas mal de choses ne me satisfont pas. C’est loin d’être parfait" , confiait-il au quotidien économique, soulignant son double objectif de bouleverser l’organisation de l’entreprise et de conserver un ancrage territorial.

À Roubaix, où la désindustrialisation a mis l’économie locale à mal, Octave Klaba met un point d’honneur à défendre le territoire. Il en est même devenu l’un des ambassadeurs : "C’était marrant d’imaginer que l’on puisse faire quelque chose là où l’on dit : ‘Il n’y a rien, c’est le désastre’. Et, lorsque l’on regarde l’impact que l’on a, cela donne de l’espoir à la ville, aux gens" , expliquait t-il à RFI. OVH a lancé un programme d’accompagnement de startups en lien avec le pépinière d’entreprise Blanchemaille, gérée par Euratechnologies. C’est depuis la ville aux mille cheminées qu’Octave Klaba revendique d’avoir toujours piloté le développement de l’hébergeur web, même au fil de son expansion géographique. "J'ai choisi de fonctionner chez OVH comme le corps humain : chaque organe possède une autonomie d'exécution, même si tout fonctionne ensemble" , illustrait-il auprès des Échos.

Couvrir l’ensemble de la chaîne de valeurs

Une force, à l’en croire, face à des Gafam concurrents qui offrent un modèle indifférencié quel que soit le marché. "Étant Européen et ayant vécu dans différents pays, je me rends compte que les gens sont tellement différents. On ne peut pas proposer la même chose, ça ne fonctionne pas. Je positionne l'entreprise en multilocal, ce qui nous permet de mieux comprendre le client et de nous adapter pour l'accompagner." Et l’entreprise a fait évoluer son champ de compétences au gré des besoins… et des évolutions technologiques. Alors qu’elle se concentrait initialement sur l’hébergement web, elle a pris le virage du cloud dès son avènement dans le courant des années 2010. C’est ce qui l’a conduite à se renommer OVHcloud. Noms de domaine, location de serveurs, opérateur télécoms… L’ensemble de la chaîne de valeurs a, au fil des années, été investie par le dirigeant franco-polonais.

Résultat : la société roubaisienne a vu son chiffre progresser de 10 à 20 % par an, avant la crise liée au Covid-19. Pour le dernier exercice fiscal, qui s’est achevé le 31 août 2021, ce dernier s’est établi à 623 millions d’euros d’après le document qu’a récemment soumis OVH à l’Autorité des marchés financiers (AMF) en vue de son entrée en Bourse. Le défi qu’il lui reste à relever : conquérir des parts de marché hors des frontières européennes. 80 % du chiffre d’affaires est réalisé en Europe, dont 52 % en France. Or l’Amérique du Nord et l’Asie constituent des marchés plus conséquents… et ces nouveaux financements viendront soutenir sa croissance externe dans ces deux géographies. Une des dernières marches à gravir pour Octave Klaba, qui serait alors à la tête d’un concurrent des Gafam.

Un dirigeant reconnu par ses pairs

Lorsque les serveurs d’OVH débordent de ses locaux roubaisien et parisien, Octave Klaba rencontre l’un des conseillers du fondateur d’Iliad, Rani Assaf. Ce dernier joue un rôle de facilitateur entre les deux hommes, aujourd'hui considérés comme des figures de la tech française. Au début des années 2000, le dirigeant de Free prête ainsi une cave parisienne à l’hébergeur, qui y installe 10 000 serveurs. Challenges raconte que, pour se faire accepter par les différents propriétaires de l’immeuble, il leur a proposé de les chauffer avec la chaleur récupérée des serveurs. Octave Klaba a de la suite dans les idées, tout comme son père Henryk qui avait, lui, précédemment inventé un système de refroidissement par eau afin de couvrir les besoins des data centers d’OVH.

Au gré de ces rencontres, Octave Klaba aiguise son carnet de contacts. Jusqu’à côtoyer de grands patrons : le 2 avril 2018, celui de LVMH, Bernard Arnault, a rassemblé le gratin du CAC 40 pour lui remettre le prix de l’Entrepreneur de l’année. Discret au sujet de ses convictions politiques, il s’exprime toutefois début 2015 dans les Échos pour dénoncer le projet de loi sur le renseignement : "Il rapproche la France des pires régimes" , assénait alors Octave Klaba, estimant que le texte permet "la surveillance de masse de la société française".

Du côté de son entreprise, le Roubaisien a gardé la main sur l'opérationnel pendant près de 20 ans, avant de se focaliser sur la vision stratégique. Il est resté, jusqu’en 2018, directeur général de la société, avant de passer le relais à Michel Paulin, ex-directeur général de SFR. En tant que président, il distille la vision stratégique du géant du cloud avec plusieurs membres de sa famille, impliqués depuis les débuts.

Shadow, un grain de sable dans sa communication

Lancé par Blade en 2016, le service de cloud computing Shadow a été racheté fin avril 2021 par Octave Klaba via HubiC, le service de stockage et de partage de fichiers d’OVH. Dans un tweet du 5 mars 2021, l’entrepreneur faisait part de son intention de "développer une alternative européenne à Office365/G-Suite". Le projet a interrogé compte tenu de la concurrence directe des Gafam sur ce marché, et les réticences du dirigeant à le détailler. Dans les faits, de très lourds investissements et une intégration maximale de Shadow au sein de HubiC sont prévisibles. L’ancien directeur de la technologie, Jean-Baptiste Kempf, rappelait fin juin 2021 que les synergies avec OVH avaient déjà privé une quinzaine de personnes de leurs tâches. De quoi entrevoir des licenciements, quand Octave Klaba s’était engagé devant le tribunal à maintenir l’emploi.

La philosophie derrière l’opération – "Développer deux mastodontes pour soutenir la croissance européenne du cloud : l’un avec Shadow pour le software et l’autre avec OVH pour l’infrastructure" – semble donc proche de celle de la genèse d’OVHcloud. Pour autant, le manque de communication au sein de la nouvelle entité HubiC Shadow a dérouté. Octave Klaba s’efforce, depuis la reprise en main, de marquer une présence physique régulière dans les locaux parisiens de la jeune pousse, qui a renouvelé ses offres commerciales.

Vingt ans après, à la tête d’une entreprise cotée

OVHcloud réalisera sa première cotation en Bourse le 15 octobre, avec un prix d’action proposé entre 18,5 et 20 euros. De quoi la valoriser entre 3,5 et 3,75 milliards d’euros. L’incendie de data centers strasbourgeois d’OVHcloud début 2021 a retardé l’opération, qui vise à lever 350 millions d’euros afin d’investir massivement dans les infrastructures, et un peu dégradé l'image de marque de l'entreprise privant des milliers de sites de leurs contenus pendant une dizaine de jours. Comme le relève le document d’enregistrement émis par l’AMF, la nature des activités de l’entreprise – qui l’exposent notamment à de potentielles cyberattaques et la concurrence des Gafam – expose les futurs investisseurs à un certain nombre de risques. Cela dit, il s’agit d’une manœuvre déterminante pour la croissance de l’entreprise à l’international.

Alors que le secrétaire d’État chargé du Numérique et des Communications électroniques, Cédric O, a indiqué vouloir voir une entreprise de la tech se coter au CAC 40 d’ici à 2025, OVHcloud apparaît comme un candidat sérieux. Reste qu’une autre entreprise du secteur, elle aussi en pointe dans son domaine, a connu des turbulences lors de son introduction en Bourse début juin 2021. Believe, expert de la distribution numérique de musique et de l’accompagnement d’artistes, nous a confié à l'époque avoir le sentiment d’avoir "essuyé les plâtres pour l’écosystème tech" français lors de son IPO. Son président, Denis Ladegaillerie, jurait ainsi de contribuer à faire en sorte que "les futures introductions en Bourse puissent se passer de manière beaucoup plus sereine" , précisant qu’il devait rencontrer Octave Klaba pour le conseiller. Avec ce passage de relais, c’est au tour d'OVHcloud de sauter dans le grand bain.