C’est une simple histoire de concurrence. Une concurrence loyale entre des acteurs historiques et un nouvel entrant, qui ne regarde pas la justice. Ainsi pourrait être interprétée la décision rendue par le tribunal de commerce de Paris, le 23 février, six ans après le début du conflit judiciaire opposant la legaltech Doctrine aux éditeurs Dalloz, Lexbase, LexisNexis, Lextenso et Wolters Kluwer France.

Une collecte des décisions licite

Le principal reproche souvent fait aux legaltechs, et Doctrine ne fait pas exception, est la licéité des moyens de collecte des décisions de justice. Leur open data, posé par la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016, a été plus lente que prévue au grand dam de ces nouveaux acteurs.

Compte tenu de ce contexte, comment Doctrine a pu se constituer un stock de plus de 7 millions de décisions à l’époque alors que ses concurrents tels Dalloz et LexisNexis avaient respectivement une base de 2 millions et 2,9 millions de décisions ? Pour le tribunal de commerce, c’est très simple. " L’avantage concurrentiel dont à disposer Foresti [ndlr : la maison mère de Doctrine] résulte de son avancée technologique et ne saurait être qualifié de déloyal ". Le juge écarte aussi le reproche de collecte en masse illicite auprès des tribunaux dès lors que " ce procédé n’était à l’époque des faits, ni interdit, ni même encadré ". " Le tribunal confirme que notre collecte des données est légale ", insiste Guillaume Carrère, CEO de Doctrine. Plus précisément, il appartenait aux éditeurs d’établir des faits délictueux. Affirmer que la volumétrie de la collecte des données par Doctrine est par principe délictueuse car impossible compte tenu du nombre décisions disponible n’était pas suffisant.

Un par un, le tribunal écarte les arguments des éditeurs. Publicité comparative illicite car Doctrine se présentait comme " le moteur juridique proposant le plus de décisions de justice et le plus rapidement " ? Le juge relève que la " charge de la preuve ne saurait être inversée ". Ce n’est pas à Doctrine de justifier de sa base de données, mais aux éditeurs de corroborer leurs dires.

Le juge prend d’ailleurs en considération l’évolution des pratiques de la legaltech depuis sa création en 2016. Comme si les reproches faits par les éditeurs n’étaient plus à l’ordre du jour.

Un débat dépassé

Le tribunal observe, notamment, que la présence d’un encart " accédez aux commentaires liés " qui renvoyait vers des sources en accès libre ou accès payant ont été ajustés dès 2019 par Doctrine. " Le tribunal note que non seulement ces faits n’étaient pas déjà pas à l’époque du parasitisme et qu’en plus nous avons essayé depuis le début de prendre en compte les reproches de nos concurrents et d’ajuster nos pratiques qui ont toujours été légales ", indique Hugo Ruggieri, directeur juridique et délégué à la protection des données personnelles de la legaltech. Contactés par le biais de leur avocat, ces acteurs traditionnels n’ont pas donné suite.

Sévère, le tribunal de commerce estime que les éditeurs " ont fait peser sur Doctrine une pression judiciaire hors de proportion avec les reproches formulés " et que " leur comportement ne peut s’expliquer que par la volonté d’intimider ce nouvel entrant pour tenter de l’éliminer du marché en obérant sa capacité de développement ". Conséquence ? Une condamnation pour procédure abusive de 50 000 euros et 125 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Doctrine est, de son côté, débouté de sa demande de dommages et intérêts pour dénigrement.