L’exact opposé peut même se produire : un fondateur minoritaire au capital de son entreprise après une opération de LBO pourrait tout à fait avoir les mains plus libres qu’un fondateur qui serait resté majoritaire après une levée de fonds.
Répartition du capital, mandats, droits de vote
On a naturellement tendance à associer perte de la majorité du capital et perte de contrôle. En réalité, détention du capital et pouvoir sont deux choses bien différentes. “Il y a la théorie et la pratique. Dans la réalité, un entrepreneur peut avoir une minorité du capital et conserver une majorité des voix. Regardez Mark Zuckerberg, qui à un moment donné n’avait plus que 13% du capital de Facebook, mais gardait 58% des droits de vote”, commente Xavier Zeitoun, co-fondateur et CEO de Zenchef, entreprise dont le fonds PSG Equity est depuis peu, devenu actionnaire majoritaire.
“Les droits, les obligations et les pouvoirs de nos clients fondateurs et dirigeants dépendent assez peu de leur pourcentage de détention du capital, ou même des droits de vote, du moins pas autant qu’on pourrait le penser”, affirme Adrien Badelon, associé chez Scotto Partners. “Majoritaire ou minoritaire n’est pas nécessairement la bonne grille de lecture. Il faut changer de prisme. Ce qui compte vraiment, ce sont les équilibres entre les groupes d’actionnaires qui figurent dans le pacte d’actionnaires”, poursuit-il.
Prenons l’exemple de la nomination et de la révocation d’un dirigeant. On pense communément que si le management reste collectivement majoritaire, le fonds n’aura jamais son mot à dire. Mais le bloc du management est le plus souvent composé de plusieurs personnes, et le CEO tout seul ne peut pas garantir sa place. La moindre dissension à l’intérieur de l’équipe de management peut donc amener à des changements de stratégie radicaux. Au contraire, un fondateur CEO, même minoritaire au capital, peut tout à fait prévoir, lors de la négociation du pacte d’actionnaires, une clause stipulant qu’il, est irrévocable tant que les performances sont au rendez-vous ou que son business plan est rempli.
“La négociation du pacte d’actionnaires est critique, car elle va permettre de corriger les inconvénients théoriques de certaines opérations financières”, commente Adrien Badelon. “C’est quelque chose qu’il faut avoir en tête dès la première ouverture du capital à des financiers. Il faut que les entrepreneurs qui réalisent leur première levée de fonds en soient particulièrement conscients”, ajoute Coralie Oger, associée chez Scotto Partners.
Pour Xavier Zeitoun, avoir un actionnaire financier majoritaire ne signifie pas du tout perdre le contrôle, au contraire. “Avant que PSG Equity ne devienne actionnaire majoritaire de Zenchef, nous nous sommes posés la question du rachat par un corporate. Nous avons choisi de vendre à un fonds pour conserver notre liberté. Nous décidons ensemble des orientations stratégiques lors des boards, mais rien n’a changé dans mon quotidien, j’ai juste plus de moyens et plus d’ambition”, confie Xavier Zeitoun.
“Je pense que le rachat par un financier est une voie qui va être empruntée par de plus en plus d’entrepreneurs. C’est une possibilité de sortie supplémentaire, qui, en plus d’apporter de la liquidité aux premiers actionnaires, laisse de la marge de manœuvre aux dirigeants”, ajoute-t-il.
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La négociation du pacte d’actionnaires : une histoire de rapport de forces et d’alignement des intérêts
La négociation d’un pacte d’actionnaires repose sur un rapport de forces. Une entreprise proche de la rentabilité, avec un business model sain, qui lève des fonds pour accélérer son développement, n’aura pas le même pouvoir de négociation qu’une entreprise qui risque d’arriver à court de liquidités si elle ne lève pas. “Il y a une vraie question de levier et de rapport de forces à intégrer dans la négociation. Mais, pour créer du levier, il faut savoir convaincre. Reprenons l’exemple de la révocation du dirigeant. Quand un fondateur performe et qu’il a un bon track record, le fonds n’a pas d’intérêt économique à lui refuser une protection. La négociation du pacte d’actionnaires n’a pas pour but de créer des antagonismes, mais plutôt d’organiser les bonnes conditions d’un partenariat pour que les intérêts des différentes parties s’alignent”, analyse Coralie Oger.
“Au-delà des clauses, il y a aussi une question de bon sens et d’alignement des intérêts. Par exemple, si en théorie un actionnaire majoritaire peut révoquer un CEO, cette situation est très rare dans la pratique. La révocation pour moi ne s’applique que dans des cas extrêmes, ce n’est dans l’intérêt de personne, surtout pas des actionnaires. Pareil pour la vente, elle se fera difficilement si l’équipe de management s’y oppose. Une boite qui gère quelques dizaines de millions d’euros dépend encore largement de son équipe de management”, ajoute Xavier Zeitoun.
Dans les faits, quelle que soit la configuration, la plupart des décisions du quotidien sont prises par le ou les dirigeants, sans nécessité de consulter l’actionnaire.
“Il s’agit d’un partenariat entre des financiers et des opérationnels. Personne ne veut faire le boulot de l’autre, et c’est comme ça que l’équilibre se trouve naturellement.”, partage Xavier Zeitoun.
“La négociation du pacte d’actionnaires n’est pas une mince affaire. Elle ne doit surtout pas être standardisée. Tout en tenant compte des pratiques de marché, il faut identifier ce qui est le plus important pour soi, et voir le levier qu’on peut avoir en fonction de sa situation. C’est un pacte sur mesure qui permettra aux fondateurs ou dirigeants de s’y retrouver, et c’est justement ce en quoi nous conseillons et aidons nos clients”, explique Adrien Badelon. “Les aspects juridiques ne doivent pas être négligés. Bien au contraire, ils permettent de créer beaucoup de valeurs pour les fondateurs. Quand des entrepreneurs non avisés cherchent à faire " comme tout le monde " pour accélérer la discussion sur les aspects contractuels, cela entraîne toujours un alignement par le bas à leur détriment et à l’avantage des actionnaires financiers”, poursuit-il.
Tout, ou presque, peut être contractualisé
Lors de la négociation du pacte d’actionnaires, presque tout ce qui relève des décisions de management, de la gouvernance ou de la stratégie peut être contractualisé, et le fondateur peut faire prendre des engagements à son actionnaire. Qu’il soit minoritaire ou majoritaire, il peut, en fonction de sa situation, négocier des clauses sur des sujets aussi variés que la distribution de dividendes, la réalisation d’acquisitions, la vente d’actifs, l’endettement, les embauches ou les licenciements. L’objectif tant pour le fondateur que pour l’actionnaire financier est de s’assurer, avant le démarrage de leur histoire commune, qu’ils partagent la même vision du projet.
“La gestion opérationnelle n’est pas écrite dans le pacte d’actionnaires, mais une partie de la gouvernance est régie par ce pacte. Par exemple, avec PSG Equity, nous définissons ensemble un budget annuel et nous pouvons opérer de manière totalement autonome, au sein de ce budget. C’était capital pour moi, pour conserver une liberté d’action au quotidien et ne pas ralentir la société. En ce sens, il est possible de négocier des clauses comme la possibilité de recruter un profil dont le salaire est supérieur à un certain montant même si cela n’est pas prévu au budget ou de ne pas demander d’accord pour certaines dépenses. On s’est laissé certaines latitudes avec des paliers à respecter”, partage Xavier Zeitoun.
Maîtriser son equity story
Grâce au pacte d’actionnaires, il est possible d’écrire son “equity story”, c'est-à-dire le destin de l’entreprise à moyen et long terme. C’est un moyen pour le fondateur de se projeter au-delà de l’horizon souvent plus court termede l’actionnaire financier. Un dirigeant qui a dédié une partie de son existence à son entreprise, peut avoir à cœur d’en maîtriser la trajectoire et d’écrire la fin de son histoire. Le plan de sortie idéal peut donc, dans une certaine mesure, être contractualisé à l’avance dans le pacte, qu’il s’agisse d’une introduction en bourse, d’un rachat par un grand corporate ou d’un nouveau tour avec un autre partenaire financier.
“Encore une fois, le fait d’être majoritaire ou minoritaire a peu d’importance ici. Un fonds qui ne prendrait que 20% du capital, peut tout à fait négocier le droit de revendre ses actions à une échéance donnée. Si le moment venu, le fondateur n’est pas capable de racheter les parts au prix, il peut parfois se voir contraint de revendre la totalité de l’entreprise à l’acquéreur le plus offrant. Le fonds a beau être minoritaire, le fondateur ne maîtrise déjà plus totalement le destin de son entreprise”, commente Adrien Badelon.
“La maîtrise de l’equity story peut être d’autant plus importante pour une entreprise qui, au-delà de la rentabilité financière, recherche un impact social, sociétal ou environnemental. Les fondateurs ne voudraient sûrement pas que l’entreprise soit revendue à un géant qui ne partage aucune de ses valeurs”, ajoute-t-il.
Les entrepreneurs et les managers doivent changer de prisme. En se détachant d’une approche purement capitalistique, ils doivent mener une vraie réflexion sur ce qui est essentiel pour eux et ainsi prendre conscience de leur marge de négociation. Chaque pacte d’actionnaires peut et doit faire l’objet de véritables discussions, car chaque situation est particulière. Se faire accompagner par un cabinet d’avocats spécialiste du sujet sera toujours un investissement de temps et d’argent très rentable.