Les acteurs de la legaltech française gagnent en maturité. C’est le principal enseignement de l’étude réalisée auprès de 25 startups du secteur (Doctrine, Justifit, Leeway…) qui forment un groupe de travail au sein de France Digitale. En effet, si les créations de nouvelles legaltechs sont en baisse, la croissance est toujours au rendez-vous pour les acteurs existants. En 2023, ce sont ainsi 36 % des entreprises interrogées qui s’attendent à enregistrer une croissance supérieure à 100 %, contre 16 % en 2022. Plus globalement, 60 % des répondants anticipent une croissance supérieure à 30 % à l’issue de l’année en cours.

Dans ce contexte, le chiffre d’affaires du secteur décolle. Il a d’ailleurs triplé entre 2019 et 2022, bien aidé par les 70 % de progression réalisés entre 2021 et 2022. Désormais bien installées dans l’écosystème technologique tricolore (deux tiers des membres du groupe de France Digitale ont désormais plus de cinq ans d’existence), les entreprises du secteur parviennent à décupler leur force de frappe économique au fil des années. Par conséquent, 16 % des legaltechs interrogées visent plus de 10 millions d’euros de revenus en 2024. Il y a également 16 % d’entre elles qui ciblent un chiffre d’affaires compris entre 5 et 10 millions d’euros, ce qui signifie donc qu’un tiers du groupe de l’association de startups pense engranger plus de 5 millions d’euros de revenus l’an prochain.

Doctrine, symbole de la legaltech française

Cette performance n’est pas négligeable, alors que la plupart des entreprises du numérique spécialisée dans le secteur juridique, au premier rang desquelles on retrouve Doctrine, doivent faire face à une flopée de batailles judiciaires engagées par le barreau de Paris, le Conseil national des barreaux et des éditeurs juridiques. Néanmoins, ces vents contraires, qui s’ajoutent à un climat économique plus morose pour les startups à l’heure actuelle, n’écornent pas leur attractivité. Ainsi, le fonds d’investissement américain Summit Partners a jeté son dévolu sur Doctrine en avril dernier. Montant du rachat : 120 millions d’euros, soit la plus grosse opération dans le monde des legaltechs françaises. "Nous voyons en Doctrine un pionnier de l’innovation technologique dans le domaine du droit", estimaient alors Johannes Grefe et Chris Bon de Summit Partners.

Si les legaltechs françaises éveillent l’appétit des Américains, tendance d’ailleurs identifiée dans la sixième édition du baromètre des legaltechs, réalisé par la Banque des Territoires, Maddyness et Lamy Liaisons, elles intéressent également les pouvoirs publics. Près de la moitié des répondants de l’étude de France Digitale indiquent ainsi qu’ils parviennent à commercialiser leur solution auprès de ces acteurs. En revanche, il reste difficile d’atteindre l’État, touché par seulement 16 % des entreprises interrogées. A défaut d’être plébiscitées par les institutions étatiques, 60 % des legaltechs peuvent compter sur l’international pour diversifier leur croissance. En revanche, seulement 12 % parviennent à aller au-delà des frontières européennes.

L’emploi résiste malgré des levées de fonds en berne

Sans surprise, 2023 n’est pas un bon cru pour boucler des tours de table, et la legaltech tricolore ne fait pas exception. En 2022, 7 % des répondants avaient levé des fonds, récoltant au total 22 millions d’euros. Cette année, ce ne sont pas plus de 7 millions d’euros de capitaux qui sont attendus, avant une embellie espérée en 2024, avec une estimation fixée à 21 millions d’euros levés. Néanmoins, les difficultés de financement en capital-risque n’empêchent pas les acteurs du secteur de continuer à embaucher. Ainsi, le groupe des 25 legaltechs de France Digitale devrait franchir la barre des 1 000 employés à l’issue de l’année 2023, avec 300 recrutements prévus ou en cours. En moyenne, une entreprise du secteur comptera environ 40 salariés. Les développeurs et les ingénieurs (40 %) sont les profils les plus représentés, devant les commerciaux (25 %) et les juristes (25 %).

A la lumière des enseignements de cette étude, Maya Noël, directrice générale de France Digitale, estime que la dynamique des entreprises de la legaltech reflète bien celle de l'écosystème French Tech dans sa globalité. "Leurs enjeux sont révélateurs des défis rencontrés par les startups pour grandir : recruter les meilleurs talents du marché, nouer les bonnes relations business, en particulier avec les acteurs publics et le tissu économique PME-ETI en France et à l’international, tout en continuant à lever des fonds. Des thématiques centrales pour faire de nos legaltechs des champions de taille européenne", analyse-t-elle.