En France, on compterait 26 startups étant valorisées à plus d’un milliard de dollars. Et si nous écrivons cette phrase au conditionnel, ce n’est pas pour rien. Il est en effet bien difficile d’obtenir une liste complète des licornes et de leurs valorisations... Et surtout, de savoir si ces startups font toujours partie du club aujourd'hui. Les seules données disponibles sont celles qui sont rendues publiques, la plupart du temps par les startups elles-mêmes.

"Les valorisations des startups peuvent être calculées à partir des informations que l'on trouve dans les procès-verbaux d'assemblées générales liés aux augmentations de capital", confirme Philippe Rodriguez, founder et managing Partner chez Avolta." Mais la plupart des startups ne déposent pas publiquement ces documents. Par conséquent, il n'est pas possible de retrouver la valorisation." A moins que le procès-verbal ne soit disponible, ou que les startups ne communiquent sur leurs valorisations avec honnêteté dans la presse, "ce qui est généralement le cas lorsqu'elles atteignent le statut de licorne", nous ne connaissons donc pas leur niveau de valorisation.

La transparence n'est pas encouragée

Les levées de fonds, les communiqués de presse, les articles de médias… Il s’agit uniquement d’estimations, et l’histoire nous a prouvé qu’on ne pouvait pas toujours s’y fier. On se souvient notamment de Meero, longtemps considérée comme une licorne française après l’annonce d’une importante levée de fonds. Sauf qu’en 2022, Maddyness avait pu consulter des documents légaux attestant que ces levées de fonds n’étaient pas aussi importantes qu’annoncé.

Pour Philippe Rodriguez, la transparence n’est encouragée “ni par les entrepreneurs, ni par les investisseurs qui préfèrent garder ces informations pour eux, pour des raisons de compétitivité”. Un phénomène que l’on observerait dans la plupart des autres pays, comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne. Il y est possible d’avoir accès à “une partie” des valorisations des startups, mais “guère beaucoup plus qu’en France”.

Les licornes annoncent des vagues de licenciements

En nous basant sur les chiffres rendus publics, nous avons listé les 26 entreprises considérées comme des licornes. DoctolibBack Market et Contentsquare seraient valorisées à plus de 5 milliards de dollars. A plus de 4 milliards de dollars de valorisation, viennent ensuite Qonto et Sorare. Avec une valorisation estimée entre 2 et 3 milliards dollars, on peut citer Mirakl, Veepee et ManoMano. Et enfin, voici toutes les startups qui auraient une valorisation entre 1 et 2 milliards de dollars : Payfit, BlablacarExotecAnkorstoreVestiaire CollectiveVoodooAlan, Ledger, NW Groupe, iADDental Monitoring, Younited, Spendesk, IvaluaSwile, LydiaShift Technology et EcoVadis.

Les ex-licornes Kyriba, Talend, Dataiku, Front, Aircall et Owkin ne sont pas citées dans ce classement, leur siège social n’étant plus en France. Nous n’avons pas non plus inclus Believe, Deezer, Critéo et OVH qui ont fait leur introduction en Bourse. Ni Meero, pour les raisons évoquées plus haut.

Mais, cette liste est-elle (toujours) valable ? Encore une fois, impossible de connaître la valorisation de ces entreprises aujourd'hui. Cette donnée, tout comme leurs résultats, ne sont pas communiqués, alors que le marché est aujourd'hui plus difficile. Néanmoins, depuis le début de l’année, plusieurs startups que nous avons listées ont communiqué sur leurs difficultés financières ou annoncé des vagues licenciements. C’est le cas de Mano Mano, Ankorstore, Back Market ou encore Ledger. Selon Philippe Rodriguez, il se pourrait que celles qui étaient valorisées autour du milliard d’euros aient “conclu à des multiples de valorisations bien inférieurs” à l’année précédente, et aient donc “techniquement perdu leur statut de licorne.”

“Cela dit, cela n’enlève rien au fait que ces licornes françaises continuent d’opérer sur des marchés porteurs, et continuent de croître, modère-t-il. Ce qui comptera vraiment c’est le moment de l’exit. Quand le marché offrira de meilleures perspectives, ce sera intéressant d’observer quelles licornes sortiront à des valorisations supérieures à celles de leurs tours précédents.” D’ici là, “le fait qu’elles restent comme licornes dans l’imaginaire collectif n’est au fond pas très grave, car les valorisations évoquées ne sont que des valorisations sur le papier. Ce phénomène de valorisations en baisse existe dans tous les pays, voire encore davantage dans les pays anglosaxons.” 

Des valorisations en baisse pour toutes les startups

Un constat que partage Sébastien Le Roy, partner du fonds Serena. Les valorisations technologiques ne grossissent plus autant et aussi vite qu’avant. Cela s’explique évidemment par le contexte macroéconomique actuel. “Si on prend l’exemple du software, détaille Sébastien Roy, on avait avant des sociétés avec de très belles croissances en Bourse, qui pouvaient être valorisées jusqu’à 20 fois leur revenu. Nous sommes désormais plus proches des 10, avec même un niveau médian de 6 fois”. Le marché du venture capital se serait adapté à la dégringolade des marchés boursiers, d’année en année, et certaines startups chercheraient avant tout à maintenir leur valorisation ou rattraper leur niveau d’antan. Mais ce n’est pas tout.

Les jeunes pousses auraient aussi pris conscience, estime Sébastien Le Roy, des “déficiences” de l’ancien business model, à savoir “la course à la valorisation”. Elles ne chercheraient plus autant qu’avant à atteindre le seuil du statut de licorne, et ce le plus rapidement possible. L’heure est plutôt à la “consolidation des fondamentaux”, et à vouloir assurer un revenu récurrent. “Plutôt que de chercher le milliard de valorisation, on va chercher les 100 millions de revenu annuel récurrent”, résume le partner de Serena. “Les valorisations, conclut-il, se sont finalement plutôt rationalisées et normalisées, y compris au early stade, où l’on pouvait voir des valorisations fois 50 ou fois 100 sur des séries A. Même les sociétés relativement jeunes se focalisent désormais sur la recherche de stabilité et de pérennité”.

Pressions politiques ou médiatiques : pourquoi une telle course à la licorne ?

Philippe Rodriguez le confirme. “Lors de la dernière phase d’euphorie du marché, entre 2019 et 2021, le montant levé par une startup, et donc implicitement sa valorisation, était vu comme un indicateur de succès.” Il nous explique que c’est grâce à cela qu’elles parvenaient à obtenir des retombées médiatiques, et donc à renforcer leur crédibilité auprès des clients et futurs partenaires. A ceci, s’ajoutait une pression politique à créer des licornes - on se souvient de l’annonce d’Emmanuel Macron qui souhaitait encore l'an dernier 100 licornes d’ici 2030.

Résultat : les jeunes pousses se sont  “uniquement focalisées sur la croissance”, parfois à leurs dépends. Le risque, en effet, une fois que l’on a été nommé licorne est “que sur les tours de financement d’après, notamment si le marché se retourne, ou lors de l’exit, il soit très compliqué d’atteindre les mêmes niveaux de valorisation, quand bien même la startup aurait continué de croître", explique Philippe Rodriguez.

En dépit de la baisse des valorisations, le founder et managing partner d’Avolta est donc loin d’être alarmiste. Il estime que la French Tech n’en est pas pour autant affaiblie, bien au contraire. Et les chiffres lui donnent raison. En 2017, la liste des licornes françaises se limitait à trois noms. “Nous étions très loin derrière”, se souvient lui aussi Sébastien Le Roy. “Aujourd’hui, poursuit-il, on commence à rattraper significativement notre retard, notamment par rapport au Royaume-Uni qui est un peu l’exemple en la matière en Europe, avec une quarantaine de licornes”.