La France parviendra-t-elle à faire émerger une entreprise dans l’envergure d’OpenAI ? L’espoir est permis en tout cas alors que Xavier Niel, le fondateur d’Iliad, a dévoilé ce vendredi les contours d’un nouveau laboratoire d’intelligence artificielle initié par Iliad, à l’occasion de la conférence ai-PULSE organisée par Scaleway à Station F.

Baptisée «Kyutai», cette structure a été présentée comme une fondation à but non lucratif. Celle-ci est financée à hauteur de 300 millions d’euros. Dans ce cadre, Iliad et le transporteur maritime CMA CGM ont annoncé qu’ils avaient investi 100 millions d’euros chacun dans le projet. La dernière tranche du financement a été apportée par d’autres donateurs, à l’image d’Eric Schmidt, ex-PDG de Google, via sa fondation. Ce dernier figure au sein du trio de fondateurs du laboratoire aux côtés de Xavier Niel et Rodolphe Saadé. C’est le fondateur de Free qui assurera la première présidence annuelle tournante de Kyutai.

Rodolphe Saadé : «Les Gafam tolèrent de moins en moins les publications scientifiques»

Situé à Paris, dans le IIIe arrondissement, ce laboratoire d’IA aura une approche open source et open science. «Les Gafam tolèrent de moins en moins les publications scientifiques. C’est dommage car les publications permettent de faire avancer les choses et d’attirer des talents dans ces environnements», a estimé Rodolphe Saadé, le patron de CMA CGM.

Pour que cette approche ouverte et partagée devienne une réalité, Kyutai pourra compter sur plusieurs chercheurs qui ont débauchés chez les Gafam. La plupart sont en effet issus du laboratoire parisien d’IA de Meta (FAIR) et de Google DeepMind. Ces derniers seront épaulés par un conseil scientifique, composé de trois chercheurs de renom dans le domaine de l’IA. Parmi eux, on retrouve notamment Yann Le Cun, le directeur scientifique de la recherche pour l’IA chez Meta. Le laboratoire pourra également s’appuyer sur la puissance de calcul mise à sa disposition par Scaleway, la filiale cloud d'Iliad. «Il s’agit à date de la plus grande de puissance de calcul déployée en Europe pour les applications IA», ont assuré Iliad et CMA CGM.

Xavier Niel : «On ne veut pas dépendre de choses créées différemment avec d’autres règles»

Avec ce laboratoire, Xavier Niel veut défendre la souveraineté française et européenne avec la création et l’entraînement de modèles d’IA sur le Vieux Continent. «Demain, est-ce que l’on veut que nos enfants utilisent des modèles créés au-delà des frontières de l’UE ? Non, nous voulons qu’ils utilisent des modèles créées ici. On ne veut pas dépendre de choses créées différemment avec d’autres règles», a indiqué l’entrepreneur français à l’origine d’Iliad, 42, Kima Ventures ou encore Station F. «Avec Rodolphe (Saadé, ndlr), nous avons investi dans quasiment toutes les startups d’IA qui fonctionnent et on continuera de le faire», a-t-il ajouté en référence aux fers de lance tricolores de l’IA générative que sont Mistral AI, Dust ou encore Poolside.

Désormais, reste à savoir si Kyutai sera en mesure de rivaliser avec la force de frappe des laboratoires des grands noms de la tech américaine et de sociétés comme OpenAI. «Il y a beaucoup d’idées en France mais peu de financements», a observé Rodolphe Saadé pour justifier son investissement dans ce nouveau laboratoire d’IA. «Mais avec assez peu de financements, nous sommes capables de changer le jeu», a complété Xavier Niel.

Un laboratoire présenté comme «un bien commun»

Si le laboratoire parisien parvient à monter en puissance, suivra-t-il le même chemin qu’OpenAI qui était à la base un organisme non lucratif avant de céder à la tentation de monétiser son offre ? Le propriétaire d’Iliad, interrogé à plusieurs reprises sur le sujet en conférence de presse, balaye cette hypothèse d’un revers de main : «Les modèles créés et entraînés par Kyutai n’ont pas vocation à être commercialisés. Tout est open source, il n’y a aucun avantage concurrentiel. Ça peut paraître bizarre car nous sommes dans un pays où la philanthropie n’est pas très développée, mais, avec Rodolphe, nous ne faisons que financer ce projet. Nous sommes engagés dans la mise en place d’un bien commun, gratuit et partagé.»

L'enjeu sera maintenant de créer une forte traction autour de ce projet et de recruter des talents pour lui faire prendre une envergure encore plus conséquente. Dans ce sens, la multiplication des chercheurs qui quittent les Gafam pour créer leur propre startup d'IA, à l'image de Mistral AI, donne des raisons d'espérer.