Avec plusieurs dizaines de milliers de citoyens français qui y vivent, Londres demeure la ville étrangère «la plus française». Ville cosmopolite par excellence, la capitale britannique attire de par son foisonnement culturel… et technologique. En effet, si Paris et la France se targuent d’être devenus le premier écosystème technologique de l’Europe continentale, devant Berlin et l’Allemagne, c’est bien Londres et le Royaume-Uni qui continuent de mener la danse sur l’ensemble du Vieux Continent. Il suffit de jeter un œil aux chiffres récents pour s’en rendre compte.

Au premier semestre, les startups françaises ont levé près de 4,3 milliards d’euros tandis que les jeunes pousses britanniques ont réussi à capter 7 milliards d’euros d’investissements sur la même période, selon le baromètre réalisé par EY. Car si la French Tech est monté en puissance de manière remarquable au cours de la décennie écoulée, l’écosystème britannique est structuré depuis plus longtemps, et donc plus mature.

Londres, place financière forte de l’Europe, est ainsi devenu le berceau de nombreux poids lourds européens de la tech, notamment avec des fintechs comme Revolut, Wise, Monzo, GoCardless ou encore SumUp. Certes, la France compte de belles pépites comme BlaBlaCar, Doctolib, Lydia, Qonto, Withings ou encore Pigment, celles-ci n’ont pas encore pris l’envergure des startups britanniques les plus importantes. Il y a donc encore des efforts à fournir pour combler l’écart qui sépare la France du Royaume-Uni, et Jean-Noël Barrot, ministre délégué au Numérique, n’a d’ailleurs pas dit autre chose à l’occasion des 10 ans du label French Tech.

«Nous ne voyons pas Paris, Berlin ou Tel-Aviv comme des concurrents»

Pour autant, si Paris et Londres adorent attiser leur rivalité historique, les deux capitales européennes peuvent également se nourrir l’une de l’autre. C’est en tout cas l’avis de Laura Citron, directrice générale de London & Partners, organisme qui accompagne les entreprises étrangères dans leur processus d’implantation dans la ville traversée par la Tamise. «La France a toujours été l’un des marchés européens les plus importants pour les startups et scaleups britanniques, et Londres est la première ville mondiale pour les expansions françaises à l’international», relève-t-elle auprès de Maddyness.

Par conséquent, la Londonienne estime que la capitale britannique et Paris sont complémentaires, d’autant plus que les deux villes sont reliées en seulement deux heures avec l’Eurostar. «Nous ne voyons pas Paris, Berlin ou Tel-Aviv comme des concurrents. Vu de Shenzhen, l’Europe constitue est un seul écosystème. On veut donc que notre écosystème européen soit uni. Et Londres a vraiment une foi très européenne», assure Laura Citron. A ses yeux, le Brexit n’a pas remis en cause l’attractivité de Londres sur le plan technologique. «Certes, il y a plus de papiers à faire, mais ce n’est pas la fin du monde», lance-t-elle avec humour. Ces dernières années, Londres est ainsi devenu un haut lieu pour les startups du gaming et de l'intelligence artificielle. Et preuve que la capitale anglaise est attractive au-delà des frontières du pays, 43 % des fondateurs de startups d'IA basées à Londres ne sont pas britanniques.

Une chaîne de financement plus mature qu’en France

Il faut dire que Londres a des arguments à faire valoir pour attirer des talents internationaux, et notamment français. La ville est par exemple très attractive pour dénicher des financements. «Il y a beaucoup de fondateurs français à Londres, et la plupart viennent pour lever des capitaux. Le paysage des fonds a beaucoup changé à Londres. Il y a 10 ans, il y avait très peu de late-stage là-bas. Après avoir levé 20 millions d’euros, il fallait souvent se tourner vers des fonds basés aux États-Unis. Maintenant, il y a de très grands tours de table. Il est possible d’aller jusqu’à la série D sans avoir recours à des fonds situés à l’étranger», observe Laura Citron. Une vraie valeur ajoutée alors que l’écosystème français du capital-risque, très performant en amorçage, peine à tirer son épingle du jeu dans les opérations à sept chiffres.

Dans ce contexte, les fonds internationaux, notamment américains, ont fait de Londres leur base arrière en Europe au cours de ces dernières années. «Andreessen Horowitz a ouvert son premier bureau en dehors des États-Unis à Londres», note ainsi la patronne de London & Partners. D’autres fonds majeurs de la Silicon Valley, à l’image de Sequoia et Lightspeed, ont également ouvert une antenne dans la capitale britannique pour s’immiscer dans les tours de table des startups européennes les plus prometteuses.

Quand le parc olympique de Londres se transforme en hub d’innovation majeur

Outre un écosystème plus mature, Londres peut également compter sur l’émergence de nouveaux lieux symboliques de son écosystème technologique pour accroître son attractivité à l’international. Si Paris a Station F depuis 2017, la capitale britannique dispose de plusieurs hubs majeurs d’innovation, le plus récent étant celui bâti depuis quelques années dans le parc olympique créé pour les Jeux Olympiques de Londres 2012.

Dans un rayon de quelques kilomètres, plusieurs structures ont vu le jour, à l’image de HereEast, un immense campus d’innovation qui réunit des startups, des investisseurs, des chercheurs, des universitaires et des institutions pour favoriser le développement de nouveaux projets innovants et importants. Ce nouveau fleuron de la tech londonienne était auparavant le complexe dédié aux médias pendant les Olympiades de 2012. «C’est un bon moment pour nous de réfléchir à l’héritage laissé par les JO près de 12 ans plus tard. Ce quartier n’était pas du tout utilisé avant. Maintenant, il accueille de grands centres d’innovation et génère beaucoup d’emplois. C’est un nouveau quartier culturel, East Bank, qui commence à voir le jour. C’est probablement le plus grand investissement réalisé depuis l’époque victorienne», se réjouit Laura Citron.

Alors que les Jeux Olympiques de Paris 2024 se profilent à l’horizon, cet exemple de transformation urbaine a de quoi laisser songeur les Français qui s’inquiètent de l’organisation et de l’héritage des JO. «Mon message pour les Parisiens, c’est qu’il faut être patient. A Londres, c’est seulement maintenant que l’on voit vraiment les effets des Jeux», indique la directrice générale de London & Partners. «Paris et Londres sont deux villes qui ont de grandes marques sportives», ajoute-t-elle. Au vu de leur proximité géographique et de l’imminence des Olympiades parisiennes, certaines startups britanniques veulent en profiter pour monter en puissance en France.

Pour les startups britanniques, est-ce «le bon moment pour débarquer à Paris» ?

C’est le cas de Stadion, une startup londonienne qui développe des expériences digitales à destination des organisations sportives, notamment les clubs de football, pour enrichir leur relation avec les fans de sport. «80 % de nos clients sont au Royaume-Uni, mais il faut chercher à faire du business à l’extérieur. Comme la France est très proche, c’est souvent le deuxième marché privilégié par les startups britanniques. En plus, c’est le bon moment pour débarquer à Paris. On sent qu’il y a des opportunités pour faire des partenariats avec des entreprises et des startups accélérées par des incubateurs comme Station F. Il y a des choses très innovantes à Paris actuellement», estime Russell Stopford, CEO de Stadion depuis l’an passé. Ce dernier était auparavant responsable du numérique du Paris Saint-Germain, du FC Barcelone et de Manchester City. Son passage dans la capitale française lui a ainsi permis d’appréhender le marché tricolore. «Avec la French Tech, Station F ou encore Bpifrance, on ressent la dynamique qui pousse les investissements en France. C’est donc très excitant de voir ce que nous pouvons faire avec les Français», ajoute-t-il.

Autrement dit, les opportunités se situent des deux côtés de la Manche. Pour les Britanniques, Paris constitue une belle porte d’entrée vers l’Europe continentale, tandis que les Français peuvent capitaliser sur un écosystème britannique plus mature pour franchir de nouveaux caps dans leur développement. Et ce malgré le Brexit qui avait fait l’effet d’une douche froide, pour ne pas dire glaciale, en 2016. «Le Brexit n’a pas vraiment changé beaucoup de choses», confirme Russell Stopford. Dans ce contexte, la montée en puissance de la French Tech et la résilience de l’écosystème britannique semblent offrir de nouvelles possibilités de coopération entre Paris et Londres. Les voix se font d’ailleurs de plus en plus nombreuses en Europe pour faire front commun face aux États-Unis et à la Chine, deux ogres mondiaux de la tech qu’il sera impossible de défier si chaque pays européen veut faire cavalier solitaire.