En France, l'argent demeure encore un sujet délicat, surtout en milieu professionnel. Selon l'étude People at Work 2023 d'ADP, 61 % des Français affirment que la rémunération est le facteur déterminant dans leur travail. Malgré cela, la moitié estime percevoir un salaire insuffisant. Quelle est la cause de cette insatisfaction ? Outre le niveau de rémunération lui-même, l'opacité persistante de certains processus décisionnels alimente le sentiment d'injustice, selon Virgile Raingeard, PDG de Figures, une startup spécialisée dans la gestion salariale.

La solution ? Remettre à plat sa politique de rémunération afin de lui donner un cadre clair, explicite et accessible. Ceci enjoint l’entreprise à répondre à deux questions fondamentales pour les salariés et les candidats : « Pourquoi mon salaire est ce qu’il est et comment va-t-il évoluer ? », explique Sandrine Dorbes, créatrice de How Much, cabinet de conseil en rémunération. Une évidence ? Pas vraiment puisque 50 % seulement des entreprises déclarent que leur politique de rémunération serait prête à être communiquée.

Politique de rémunération : 4 basiques pour la structurer

Pour élaborer une politique en cohérence avec sa stratégie, Sandrine Dorbes s’appuie sur une approche réflexive en 4 étapes :

Pourquoi : « Quelle est ma stratégie d’entreprise ? »

L’idée est d’aller à l’encontre d’un réflexe quasi pavlovien : regarder ce que fait le voisin. « Il faut commencer par questionner la stratégie, les valeurs et la culture de l'entreprise car la rémunération émane de ces piliers. Or, les entreprises ne savent pas toujours y répondre », explique Sandrine Dorbes.

Quoi : « De quoi ai-je besoin pour aller dans cette direction ? »

Une fois le cap donné, il s’agit de valider de quelles typologies de profils l’entreprise a besoin : quelle séniorité, quels métiers, faut-il retenir les talents ou les attirer ?

Comment : « Quels sont les leviers pour acquérir ce dont j’ai besoin »

Cette étape consiste à examiner les différentes composantes de la rémunération et d’identifier la meilleure articulation possible pour bâtir la politique salariale. Par exemple, le salaire fixe, les primes liées à la performance opérationnelle ou à la pénibilité, le partage des bénéfices (épargne salariale), les BSPCE ou encore les avantages sociaux. On évite les listes à la Prévert au profit d'un tri cohérent à l’aune de la stratégie d’entreprise.

Combien : « Quelle est la masse salariale disponible ? »

Il s’agit d'anticiper l'ensemble des rémunérations brutes des salariés pour chaque établissement de l'entreprise. « L’objectif est d'estimer les évolutions possibles de la masse salariale sans mettre en péril l’entreprise. Dans l’idéal, il faut le faire sur deux ans, même en startup », insiste Sandrine Dorbes. À ce stade, s'appuyer sur un benchmark de rémunération peut être également intéressant pour se positionner sur le marché, notamment sur certains postes.

Une fois cette introspection menée, la prochaine étape consiste à formaliser la grille de salaire. Sa vocation ? Synthétiser la politique de rémunération et faire office de référentiel assurant l’équité dans les prises de décision. Le sentiment de justice organisationnelle repose également sur les critères d’attribution choisis par l’entreprise. « C’est un exercice sémantique délicat car la rémunération peut dépendre du niveau de responsabilité, de l’impact, de la prise d’initiative, de l’influence… Des termes qui diffèrent d’une entreprise à une autre, surtout leur déclinaison opérationnelle », décrit Sandrine Dorbes. En ce sens, un travail collectif sur la définition de ces critères demeure une bonne pratique, notamment avec les acteurs du dialogue social.

La transparence : la clé de voûte pour assurer l’équité ?

La grille de salaire est un premier pas vers la transparence : « Elle assure une justice procédurale aux yeux des salariés », explique Virgile Raingeard. Mais faut-il aller plus loin comme Alan ou Lucca qui prône une transparence plus radicale : rendre accessible les salaires individuels ? « Cette approche n’est pas idoine pour toutes les entreprises. C’est plus simple quand la transparence fait partie de leur ADN depuis le départ. »

Néanmoins, le contexte légal européen semble encourager davantage de transparence. La directive sur la transparence des rémunérations adoptée en mars 2023 par le Parlement prévoit que les employeurs fournissent à leurs collaborateurs, sur demande, des informations sur les niveaux de rémunération moyens des salariés effectuant un travail identique. Les entreprises devront également afficher la fourchette de rémunération sur leurs offres d’emploi. Aujourd’hui, seuls 30 % des recruteurs l’indiquent de manière systématique. La transposition de la directive dans le droit français est prévue d’ici juin 2026. De quoi accélérer le pas.

Le futur de la rémunération sera donc transparent ou ne sera pas. Un autre axe semble frayer son chemin selon Virgile Raingeard : « Je pense que la flexibilité est inévitable avec un format à la demande, aussi appelé l’acompte sur salaire. Avec l’inflation ou la montée de la précarité, c’est une aspiration forte des salariés. La flexibilité peut aussi se décliner au niveau du package : une partie du salaire en fixe complétée par des composantes plus individualisées en fonction des besoins individuels. » Un format déjà développé outre-Atlantique mais qui reste sporadique en Europe.