Maddyness : quelle est l’histoire de Braineet et comment en êtes-vous arrivés à cet exit ?

Jonathan Livescault : J’ai créé Braineet il y a dix ans, avec mon associé Pierre Gourlaouen. Au départ, c’était un réseau social pour collecter les idées des utilisateurs à destination des marques, en 140 caractères et commençant par “what if?”. L’idée a pris avec des dizaines de milliers d’utilisateurs et un modèle économique vérifié avec des marques payant pour le service.

Puis nous avons participé à un programme d’incubation de Microsoft, qui nous a permis de rencontrer des directions de plusieurs grands groupes. Celle d’EDF avait le même besoin de collecte d’idées, mais en interne. Et là, sans le savoir, on est entré dans le monde du software, avec le développement d’une plateforme d’idéation pour les collaborateurs de chacun de nos clients, vendue selon un modèle SaaS.

Au fil du temps, nos outils ont évolué avec nos clients (les directions innovation des grands groupes) et avec leurs besoins, pour devenir un logiciel de pilotage de toute l’innovation (idéation, CRM de startups, base de connaissances, portefeuille de projets, reporting). Ce qui est le cas par exemple chez La Poste, avec la plateforme “La Place de l’Innovation” qui repose sur notre logiciel.

M : Pourquoi vendre Braineet aujourd’hui ?

J.L : En tant qu'entrepreneurs, nous nous sommes retrouvés face à trois options :
être rentable, en générant suffisamment de trésorerie pour avoir de la visibilité et de l’indépendance. C’était le cas de Braineet depuis 2020, et on pouvait tout à fait continuer sur cette lancée, mais avec l’inconvénient de ne pas pouvoir accélérer très fortement ; relever des fonds avec des VC ou un fonds de Private Equity, se diluer, repartir dans un projet de 5 ans : c’est une option que l’on a assez vite écartée ; trouver le bon partenaire avec lequel accélérer, pour faire x3, 4 ou 5 rapidement.

Nous avons choisi la troisième option, celle de sortir de notre zone de confort pour passer d’une boîte de 15 personnes à 150, avec plusieurs bureaux dans le monde, de grosses ambitions dont l’accélération aux Etats-Unis, une belle complémentarité et des valeurs communes.

J’aurais sûrement adoré créer une licorne, et c’était l’ambition au départ avec le positionnement de réseau social des idées, mais après quelques années d’entrepreneuriat et des pivots successifs, la réalité nous rattrape et la définition du succès change : trouver des clients qui ont un vrai problème et être capable de le résoudre dix fois mieux que les alternatives. Une fois qu’on a trouvé ce « Product Market Fit », on a envie d’accélérer afin d’aider de plus en plus de clients, partout dans le monde. Pour Braineet, c’est le moment d’accélérer plus vite avec Itonics au niveau mondial que si nous avions continué seul.

De façon pragmatique, c’était aussi le bon moment pour vendre, avec une croissance de plus de 50 % du chiffre d’affaires, notamment à l’international, accompagnée d’une belle rentabilité. Les conditions étaient idéales, même si jusqu’à la veille de la signature on se demande si on prend la bonne décision.

M : Avec le recul, quelles sont vos erreurs, ou au contraire les bonnes décisions que vous avez prises ?

J.L : Comme tous les entrepreneurs, on a fait des erreurs. Mais aussi des bonnes choses, sinon il n’y aurait probablement pas eu cet exit ! Un point important : dès le début, nous avons cherché à maîtriser notre « cash burn » et donc notre « cap table », en levant ce dont nous avions besoin mais sans trop nous diluer, et en faisant attention notamment aux clauses de liquidité préférentielle qui changent la donne pour les fondateurs au moment de l’exit.

Ainsi depuis la création de Braineet, nous avons fait seulement deux petites levées de fonds, en 2016 [1 million d’euros auprès de Newfund et des business angels Xavier Niel, Jacques-Antoine Granjon et Marc Simoncini, ndlr] et en 2018 [1 million d’euros à nouveau, auprès d’Altavia AdVentures et Newfund, ndlr]. Nous avons aussi eu un peu recours à la dette avec le PGE, mais en restant toujours très prudents. Résultat : au moment de cet exit, nous avions une dette nette négative, c'est-à-dire plus de trésorerie que de dettes, ce qui a un impact sur la valorisation.

Plus globalement, mieux votre société se porte financièrement au moment de l’exit, et plus vous pouvez défendre vos positions durant la négociation, et ce jusqu’au dernier jour du « closing ».

M : Maintenant, quelle est la suite pour vous ?

J.L : Avec Pierre, nous sommes très contents de démarrer un nouveau projet ambitieux avec la combinaison de Braineet et d’Itonics. Ce qui nous plaît, c’est que notre rôle va au-delà de la gestion de Braineet, avec une vision d’ensemble et des synergies à créer. Nous avons beaucoup à apprendre. Itonics est un leader européen, très complémentaire avec Braineet, avec une forte présence en Allemagne, en Suisse et en Autriche. Nous leur ouvrons les portes du marché français, notre produit est important pour eux, et les Etats-Unis (qui représentent déjà 25 % de nos chiffres d’affaires combinés) sont une priorité. Par ailleurs, nous partageons la même vision, ce qui est fondamental : faire en sorte que l’innovation dans les grands groupes soit beaucoup plus systématique et structurée.

M : Pour conclure, un conseil pour les entrepreneurs ?

J.L : Focalisez-vous sur le besoin numéro 1 d’un petit groupe de personnes. Par définition, votre niche sera petite au début, mais elle pourra toujours s’étendre. Donc co-développez le produit avec vos premiers utilisateurs. Sur ce point, nous avons vraiment changé du tout au tout. Au début, nous tenions absolument à imposer notre vision, notre intuition : nous étions persuadés qu’il y aurait un réseau social mondial pour partager ses idées avec les marques… Nous nous sommes obstinés pendant un moment, avant d’inverser totalement notre approche pour comprendre les besoins de nos clients. Et plus nous avons avancé, plus nous nous sommes focalisés sur leur besoin numéro 1, en co-créant la solution avec eux.