Dans un contexte de crises multiples, certains évoquent l’ère de la permacrise où la complexité des décisions enjoint les organisations à revoir leurs modèles de gestion. Cependant, faut-il nécessairement subvertir les modèles existants pour embrasser des pratiques dites innovantes à hue et à dia ? Pierre Fournier, fondateur de la méthode WILL et auteur du premier roman de management éponyme en France, propose de revenir aux fondamentaux : « Les innovations ne suffisent malheureusement pas. Il faut un changement de paradigme managérial qui passe par la maîtrise des bases, permettant ainsi aux organisations de fonctionner de manière plus efficace. »

Cette perspective est partagée par Clément Meyer, qui, grâce à l'association étudiante L’Odyssée managériale, s'est aventuré, en duo avec son frère Romain, à la découverte des pratiques managériales les plus innovantes à travers huit pays (Norvège, Vietnam, Islande, Brésil, Colombie, Canada, États-Unis et Corée du Sud). Mais de quel socle parle-t-on ? De l'écoute, un invariant managérial à consolider. « Plus particulièrement, il s’agit de l'écoute active. Celle qui permet au leader de prendre le temps de comprendre les besoins implicites de son collaborateur sans jugement ni solution hâtive », insiste Pierre Fournier. Une fois cette attention managériale maîtrisée, il devient alors possible d'explorer un leadership plus plus flexible, adaptatif et humain. Voici quatre pratiques à expérimenter. 

1. S’inspirer de la programmation neurolinguistique (PNL)

Parmi les outils de la méthode WILL, « La Pyramide de Robert Dilts - auteur et expert américain en PNL - est particulièrement puissante pour transformer la communication entre le manager et son équipe », explique Pierre Fournier. Cette approche vise à comprendre et à modéliser les schémas de pensée, de langage et de comportement humains afin de favoriser la communication. Pour ce faire, l’auteur a formalisé un modèle de « niveaux logiques » offrant une vue systémique d’une problématique, permettant d'organiser les techniques de résolution à plusieurs niveaux : l’environnement, le comportement, les capacités, les croyances/valeurs, l’identité et le sens. 

Un manager peut alors identifier les facteurs influençant un sujet bloquant en passant par les différents niveaux susmentionnés. Grâce à ce questionnement, il est en mesure d'identifier des axes de résolution : développement de compétences, travail sur les croyances limitantes, mise en avant de difficultées liées à l’environnement, etc.

2. Se lancer dans le care management… authentique

Prendre soin de la relation avec ses collaborateurs est un enjeu crucial, surtout lorsque l’engagement salarial ne dépasse que péniblement les 7 %. En effet, les managers efficaces pourraient accroître la productivité de leur équipe de 22 % grâce à l'influence positive qu'ils exercent. Comment instaurer une proximité qualitative qui nourrit l'engagement ? « Durant notre exploration internationale, la création d’une culture de confiance a été l'un des sujets les plus fréquemment abordés lors de nos discussions. Et c’est en Norvège que nous avons découvert des éléments de réponse très intéressants, au sein de l'entreprise Miles », souligne Clément Meyer. 

La particularité de cette entreprise ? D'abord, la dénomination symbolique des postes au sein de l'équipe dirigeante : « Tous les managers détiennent le titre de “XXX Servant leader”, un label inspiré du travail de Robert K. Greenleaf sur le Servant Leadership. L'objectif est de montrer aux collaborateurs que l'équipe dirigeante est au service de ses employés, et non l’inverse. » Puis, dans la pratique, cela se traduit par la mise en place du « one-to-one authentique », un rituel individuel mensuel entre le manager et chacun de ses collaborateurs. Cet échange met l'accent sur les volets personnels et motivationnels de ces derniers.

Cette approche se rapproche de la communication non violente (CNV), axée sur l'empathie et la compréhension mutuelle. « La CNV vise à exprimer ses ressentis et besoins de manière constructive, tout en écoutant activement les autres pour favoriser des échanges respectueux. C’est donc un moyen d’exprimer ses sentiments, ce qui est encore largement tabou dans les organisations. » Surtout pour les managers. 

3. Contextualiser les prises de décision 

Dans l'inconscient collectif, le leadership traditionnel est souvent assimilé à un rôle solitaire et vertical. Selon une étude de Deloitte, seulement 31 % des PDG prennent des décisions de manière collaborative au sein d'une équipe. Pour Clément Meyer, c'est un écueil : « Les entreprises sont encore trop souvent conçues de manière pyramidale, avec une gestion de la complexité par le contrôle et des décisions prises en huis clos. » Un management plus collectif, avec une gouvernance plus partagée, gagne du terrain dans le monde professionnel. 

Dans cette perspective, Percolab se distingue en termes de prise de décisions : « Rencontrée au Canada, cette organisation a développé une méthode de prise de décisions consciente et contextualisée. Plus une décision comporte un risque élevé et a un impact sur une longue durée, plus elle doit être prise de manière collective via des modalités telles que le consensus, le consentement ou encore la sollicitation d’avis. À l'inverse, plus une décision relève d’un risque minimal avec un impact à courte durée, plus il faut la circonscrire à une ou deux personnes », explique Clément Meyer.

4. Miser sur un organigramme d’influence  

La posture du manager est intrinsèquement liée à l'organisation d'une entreprise. Repenser son rôle nécessite une révision des strates souvent statutaires. Officience, une entreprise franco-vietnamienne, a conçu un modèle à l’orthogonal, centré sur l'influence : « Les liens d'autorité disparaissent : pas de manager, pas de dirigeant, pas d'organisation pyramidale. Ils sont remplacés par des rapports d'influence entre les salariés selon deux grandes typologies : les influenceurs de proximité, ceux qui connaissent le salarié, ses compétences, son potentiel... Puis les influenceurs dits spirituels : ceux qui sont inspirants et jouent le rôle de coach ou de mentor. Ce sont essentiellement des leaders naturels en raison de leur ancienneté, de leurs compétences et de leur perspective élargie sur l'organisation », explique Clément Meyer. 

Les collaborateurs sont autonomes sur la constitution de leur « réseau » puisqu'ils choisissent eux-mêmes leurs « influenceurs ». L'organigramme est érigé selon cette logique de relations d'influence croisée et organique. Résultat ? Les managers ne sont pas imposés, mais choisis en fonction d’un intérêt ou de leurs compétences. Ce qui garantit des relations plus saines entre les individus et un renforcement de la responsabilité individuelle.