Cette startup française semblait avoir réuni tous les ingrédients pour écrire une page historique de la recherche en santé. Les institutions publiques de l’Hexagone ont pourtant décidé de ne pas soutenir le professeur Luc Douay et ses équipes. Ils avaient découvert le moyen d’industrialiser la production de globules rouges pour répondre à la demande en sang de manière sûre et pérenne.

La Biotech EryPharm aurait pu résoudre ce problème mais elle s’est retrouvée à court de financement au moment de passer à la phase d’industrialisation. C’est finalement aux États-Unis qu’elle a trouvé un repreneur. Une victoire qui laisse un goût amer à son fondateur. D’autant que pendant ce temps, l’Établissement français du sang multiplie les campagnes de communications autour de l’urgence de donner son sang pour faire face à la pénurie actuelle.

Deux décennies de travail sur le sang

Pour le professeur Luc Douay, aujourd’hui 71 ans, l’aventure a commencé il y a déjà presque 30 ans. En effet, c’est en 1995 qu’il devient directeur médical et scientifique de l’Agence française du sang à la suite de l’affaire du sang contaminé. Il va ensuite diriger une cellule de recherche hospitalo-universitaire à l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) qui va donner naissance à la technologie au cœur d’EryPharm.

En quelques années, il arrive, avec son équipe, à démontrer sa capacité à fabriquer des globules rouges aussi proches que possible des globules rouges natifs. Il arrive même à prouver une efficacité transitionnelle deux fois supérieure à celle des globules rouges classiques. En effet, la durée de vie d’un globule rouge est d’environ 120 jours. Lors d’une prise de sang, les globules prélevés vont être très hétérogènes en âge, certains vont mourir dès le lendemain, d’autres 120 jours plus tard. On considère ainsi qu’il faut réaliser une transfusion dans les 28 jours. Dans le cas des travaux du professeur Douay, la population de globule rouge est homogène en âge et va donc pouvoir être transfusée jusqu’à 120 jours plus tard.

« On a réussi à créer une source quasi illimitée de globules rouges compatibles de façon universelle », explique-t-il à Maddyness. Non seulement la startup EryPharm a réussi cette prouesse, mais elle a également réussi à préparer l’industrialisation du procédé permettant de résoudre une fois pour toutes la problématique des pénuries de sang. Ne manquait plus alors que le financement.

Le financement dans le sang

Pour finaliser sa vision, le professeur Luc Douay cherchait 20 millions d’euros. « Ce n’est rien compte tenu des investissements que l’on peut voir passer tous les jours pour des choses beaucoup moins intéressantes, mais potentiellement plus lucratives », s’écrie-t-il avec amertume. « En France, nous n’avons retrouvé aucun soutien de la part des fonds privés ou des institutions publiques. On a été jusqu’à rencontrer un conseiller de l’Élysée, quelqu’un de compétent et d’important, mais il n’a pas considéré que c’était un sujet éminemment stratégique alors que l’on manque de sang et que l’on en réclame tous les jours. Je lui avais dit que ce serait quand même dommage que l’on fasse affaire avec l’Arabie Saoudite et il m’avait répondu qu’il n’avait aucun problème avec ça. Cela m’a beaucoup énervé ! »

Du côté des investisseurs privés, il se montre vaguement plus compréhensif : la technologie développée par EryPharm ne proposait pas un retour sur investissement suffisamment rapide, 8 ans plutôt que 5, considère le professeur.

Un autre frein apparaît : le sang produit par EryPharm serait plus coûteux que celui récupéré « gratuitement » auprès des donneurs. Il souligne d’ailleurs la gratuité très relative du modèle qui nécessite de coûteuses campagnes de communication avant de devoir le préparer en laboratoire et le distribuer. Mais si les globules rouges produits sont plus chers, ils sont aussi plus efficaces, avec moins de risques d’immunisation ou d’infection, en plus de leur durée de vie plus longue. « On a un service médical rendu supérieur avec un confort augmenté des patients », explique-t-il.

La suite de l’histoire d’EryPharm aux États-Unis

Il y a malgré tout une fin heureuse à cette histoire. En décembre 2022, le professeur Luc Douay présente ses résultats au Congrès américain d’hématologie. Cela retient l’attention de Safi Biotherapeutics, une entreprise américaine qui se propose de racheter leur technologie. « On a cédé nos actifs en échange de participation à leur entreprise », résume le professeur Luc Douay qui reste dans un rôle de conseiller scientifique.

S’il est ravi d’avoir trouvé un repreneur pour ce projet qui l’anime depuis des décennies, il multiplie les marques de regrets sur le fait que ce ne soit pas en France. « Je suis partagé entre la fierté, la joie et le regret. Mais au bout du compte, le projet va avancer, la science va avancer, et le grand vainqueur, ce sera le patient. Donc c’est parfait ! »