Courant 2020, Marie Ekeland annonçait la création de 2050, un fonds sans actionnaire pour bâtir la tech de 2050. En effet, après avoir contribué à la réussite d’Elaia Partners, à la création de France Digitale et Daphni, il était temps pour elle de construire un futur fertile grâce à la finance. Elle a ainsi choisi de créer une société d’investissement détenue par un fonds de pérennité, à but non lucratif.

À l’époque, Marie Ekeland s’était donné pour objectif de lever 100 à 150 millions d'euros par an jusqu'en 2030. Trois ans plus tard, l’état du financement l’a forcée à revoir ses ambitions même si ses objectifs restent les mêmes sur le long terme. « On ne s’appelle pas 2050 pour rien. On sait que le temps sera un élément principal de réponse », explique-t-elle à Maddyness.

Une posture à part dans le capital-risque

Marie Ekeland présente 2050 comme étant l’aboutissement des deux décennies précédentes de sa carrière. « Je suis rentrée dans le monde du capital-risque en 2000, au tout démarrage de l’industrie », raconte-t-elle. Le parcours de Marie Ekeland a débuté à Wall Street, en tant qu’informaticienne pour le géant JPMorgan. Quand elle revient en France, elle ne garde pas d’admiration pour la culture américaine contrairement à d’autres. Elle assiste donc à la construction du capital risque français qu’elle décrit comme étant « un copier-coller de la Silicon Valley ».

Marie Ekeland adopte donc immédiatement une posture à part : « J’ai un parcours de questionnement depuis que je suis entrée dans le métier… en me demandant quelle était la meilleure proposition de valeur pour accompagner les investisseurs. Je suis rentrée dans le métier pour être le plus utile en fait et j’ai continué de creuser cela tout au long de mon parcours. »

Des problèmes systémiques

Si elle ne souhaite pas suivre les règles sans les questionner, Marie Ekeland réussit progressivement à se construire un joli track record. Elle a par exemple permis à Elaia de récupérer 60 fois sa mise initiale dans une petite startup qui venait de se créer l’année précédente, Criteo.

« J’ai pourtant compris dans les boards des boîtes dans lesquelles j’étais, et même les plus grosses comme Criteo, qu’il y avait de nombreux problèmes que l’on ne pouvait pas régler au niveau des boîtes elles-mêmes. Le manque de talents digitaux en France, c’est pas Criteo tout seul qui peut le régler. De même que le manque d’attractivité de la France pour les grands investisseurs institutionnels. Aucune entreprise seule pouvait régler ces problèmes. Ce sont des nœuds systémiques, des problèmes structurels qui nécessitent de plus grandes actions. »

C’est notamment la raison d’être de France Digitale, l’association qu’elle a cofondée en 2012, qui souhaite faire grandir les écosystèmes et faire évoluer toute la filière. C’est aussi le point de départ de Daphni, le fond qu’elle a cofondé en 2015 où elle apprend une leçon importante pour la suite : « Mon expérience en tant qu’investisseur, c’est que mettre de l’intention dans le modèle historique du capital-risque, cela ne suffit pas pour avoir un impact systémique. »

C’est la raison pour laquelle Marie Ekeland décide de voir encore plus grand pour sa tentative suivante. Elle imagine alors 2050 qui prend forme durant l’année 2020.

Le long terme n’arrive jamais assez vite

Ce nouveau pari prend la forme d’un fonds sans actionnaires, résolument tourné vers le long terme et cherchant à maximiser l’alignement entre l’entreprise et les enjeux sociaux et environnementaux.

« Le cycle de développement des entreprises est très normé parce que le capital-risque fonctionne sur des fonds fermés à dix ans. Il y a une exigence de liquidité qui fait que tu ne peux pas accompagner les entreprises sur le long terme. Il faut penser de nouveaux modèles financiers où tu peux réaliser ta performance partiellement au fil de l’eau, mais en te permettant d’accompagner de manière à avoir tout le potentiel de l’entreprise. »

Le monde de la finance n’est pourtant pas encore totalement prêt pour cette vision et 2050 doit se contenter de gagner de petites batailles les unes après les autres avant de pouvoir déployer sa grande vision pour l’avenir. « La finance fonctionne sur les mêmes principes que le machine learning : tu prends des décisions aujourd’hui en regardant les performances passées. Mais cela rend difficile le fait de faire de la performance durable puisque ce sont de nouveaux modèles où il n’y a pas de track record. »

Les 100 à 150 millions d’euros levés chaque année ne seront donc pas pour tout de suite pour 2050. « On va aller plus lentement. Mais on va y arriver parce que les fondamentaux sont tellement là. On le sent : les entrepreneurs attendent que les fonds puissent les accompagner comme nous pour poser la bonne gouvernance et pour aligner mission, profit et impact. »

Aujourd’hui, 2050 a plus de 130 millions d’euros sous gestion et a investi dans 10 sociétés pour des tickets compris entre 1 et 12 millions d’euros. Ces investissements ont été réalisés majoritairement en France (auprès de Sweep, Withings, Fifteen, WeTradeLocal et Tilli), en Suède (Paebbl et Climateview), puis aux Pays-Bas (Settly) et aux États-Unis (Kickstarster).

Marie Ekeland ne perd donc surtout pas espoir et célèbre le fait de voir les pièces du puzzle s’interconnecter lentement les unes aux autres. « J’avais l’impression de monter l’Everest par la face nord. Mais j’ai rencontré Aunnie Patton Powell, une chercheuse en finance qui s’intéresse justement aux nouveaux produits financiers pour financer la transformation durable. Elle m’a dit : non tu ne montes pas l’Everest, tu es en train de pousser la pointe vers le bas pour que les autres puissent monter. »