C'est une opération marketing qui fait grand bruit à l'époque. Le 8 mars 2023, 22 personnalités masculines influentes sur le réseau social Linkedin ont prêté, le temps d'une journée, leur compte à des femmes du domaine de la tech. Leurs photos de profil ont été remplacées et un post, rédigé par les expertes identifiées par le collectif SISTA et l'ONU Femmes France, à l'origine de la campagne #AMaPlace, a été publié. L'objectif : rappeler que les femmes sont encore trop peu nombreuses dans le secteur des nouvelles technologies. Elles ne représentent alors que 2 employées sur 10...

Lorsque la fondatrice du collectif SISTA lui propose quelques jours avant l'échéance de participer à l’opération, Chloé Hermary doit prendre la place d’un dirigeant d’entreprise. Mais de fil en aiguille, la fondatrice d'Ada Tech School, une école d'informatique inclusive, se retrouve finalement à occuper le compte du… Président de la République. Elle nous raconte un an après cette expérience insolite, et l'impact qu'elle a eu sur son quotidien.

La surprise du compte présidentiel

Dans son post, toujours visible en ligne, Chloé Hermary regrettait que les femmes ne soient "toujours pas assez visibles dans le monde du travail". "Elles gagnent en moyenne 15% de moins que les hommes à poste égal et à compétences égales (...), elles ne sont pas assez représentées dans les instances dirigeantes, énumérait-elle. Dans le CAC 40 et le Next 40, seules 4 entreprises sont dirigées par des femmes." "Je crois qu'il faut profondément changer et s'appuyer sur l'éducation pour contribuer à faire naître une société plus juste. Or je suis persuadée que la tech est un accélérateur puissant pour y parvenir."

A l'approche du prochain 8 mars, journée internationale des droits des femmes, Chloé Hermary craint que des gens ne pensent encore qu’elle ait piraté le compte Linkedin d’Emmanuel Macron. "Après l'opération, j’ai reçu tellement de messages de personnes qui pensaient que je l’avais hacké, et se demandaient comment j’avais bien pu faire ça, s’amuse-t-elle. Mais non, promis, tout était bien consenti et organisé : j’ai rédigé le post en toute indépendance, mais il a ensuite été validé et partagé par ses équipes !"

Heureusement, la dirigeante a aussi bénéficié d'un écho plus positif... et d'une belle visibilité. "Enormément de partages, de messages privés et d’abonnements sur Linkedin", se souvient-elle. Coup du hasard, la chaîne M6 préparait alors un reportage pour l'émission Zone Interdite sur la place des femmes dans la société. Ni une, ni deux : Chloé Hermary a été interrogée, et la séquence ajoutée au contenu.

Une classe entière recrutée après le post Linkedin

La visibilité directe sur Linkedin ainsi que ce passage à la télévision nationale ont eu un effet boule de neige. L’école a recruté 30 nouveaux élèves suite à l’opération, soit une classe entière et 10% de l’effectif total qu’elle comptait alors !

"Ça a été pour nous un beau coup de projecteur, reconnaît la fondatrice d'Ada Tech School. Et puis, nous n'avons pas touché uniquement des très jeunes, et c'est aussi important." Elle précise : "l'un des leviers dans le numérique, et le coeur de notre cible, ce sont les 25 / 35 ans."

En France, un actif sur cinq est en reconversion, et le numérique est l'un des secteurs privilégiés, notamment par les femmes. "Si elles s’orientent très peu vers le domaine informatique en post-bac, elles le font bien davantage lorsqu'il s'agit d'une démarche de reconversion", se réjouit Chloé Hermary.

Elle constate depuis quelques années une véritable prise de conscience générale "quant au fait que la tech soit un secteur d'impact et d'opportunités" pour les talents féminins. Ce n'est pas uniquement un mouvement personnel, mais aussi politique. La loi Rixain, qui encourage à plus de parité dans les entreprises, a par exemple eu un effet positif. En parallèle, le gouvernement aurait tendance depuis quelques temps à plus encourager les voies d'apprentissage professionnalisantes, ce qui aura un effet positif, pour la spécialiste, sur la parité en écoles d'informatique. "Ce sont des modes de formation qui ont un très grand pouvoir de mobilité sociale, qui sont très porteurs et dans lesquels il est urgent d'investir", souligne Chloé Hermary.

Au tour des entreprises de repenser leurs critères

"Il y a encore à faire, reconnaît-elle pour autant, un an après #AMaPlace. Il faut par exemple que les entreprises changent la façon dont elles évaluent et jugent les talents. Nous sommes contactés chaque semaine par des sociétés : certains disent vouloir à la fois des profils Bac+5, et des femmes. On leur répond que... Oui, mais non. Il faut avoir conscience que si on veut recruter plus de femmes, il va falloir aussi s'ouvrir à des parcours différents, à une l'idée de mobilité professionnelle, au fait que l'on puisse se former toute sa vie, et pas uniquement en post-bac."

Elle rappelle aussi régulièrement qu'en matière de recrutement, il n'y a pas de "baguette magique qui existe". Les employées, pour des raisons sociologiques, tombent parfois sur des freins dans leur carrière. "Il faut réévaluer la performance dans certains cas, ne pas juger sur le temps passé devant l'ordinateur. Parce que la charge du foyer et de l'éducation des enfants repose encore beaucoup sur les femmes, il faut composer avec cela."

Des bourses pour plus d'inclusivité

En quelques années, l'école Ada Tech School a connu une forte expansion. Elle ne comptait qu'une soixantaine d'élèves il y a deux ans, et près de 300 à ce jour. Le campus de Paris a du être agrandi, et deux autres campus, à Lyon et Nantes, ont également été ouverts.

Des programmes ont aussi été mis en place pour plus d'inclusivité. Depuis 2022, Chloé Hermary collabore avec des marques, d'abord la ligne de vêtements Ba&sh, puis Dailymotion, pour financer des bourses d'études et permettre à des personnes issues de milieux plus défavorisés ou dans des situations plus précaires (des mères célibataires avec un enfant à charge, par exemple) de pouvoir elles aussi se tourner vers la tech. Elle espère à terme "systématiser ce soutien financier". Ce 8 mars, elle sera toute la semaine en conférences dans des entreprises... De quoi avancer d'encore un pas ou deux.