Inventé par l'avocat au Barreau de Paris Sacha Benichou et démocratisé par l'incubateur américain Y Combinator ou encore par The Family en France dès 2013, le BSA-AIR ("bon de souscription d'actions - accord d'investissement rapide") est un outil rapide, flexible et facile à mettre en œuvre pour engager des premiers investisseurs. Un cadre juridique unifié pour toutes les parties prenantes qui permet de pallier l'inertie connue dans le cadre d'une augmentation de capital classique.

Concrètement, en passant par ce biais, l’investisseur octroie des fonds en échange d’un bon de souscription d’action qui prévoit une entrée différée au capital. Il pourra ensuite attendre la survenance d’une valorisation décotée - généralement au moment d’une levée de fonds - pour devenir réellement actionnaire. Le prix d’achat d’une action étant fixé selon le taux de décote. Ainsi, des conditions sont établies d'emblée pour fixer un plancher (floor) et un plafond (cap) qui permet de cantonner la valorisation et prévoir une date butoir pour déterminer quand sera déclenchée la conversion des bons en actions.

Un outil d'amorçage et de sauvetage

« La pratique s'est accélérée ces dernières années en même temps que la multiplication des levées de fonds dans la French Tech, analyse Victor Thion, Partner chez Kickston. C'est un outil d'engagement rapide qui était en adéquation avec les dynamiques du marché de l'early stage à cette époque ». Ainsi, le BSA-AIR a été fortement plébiscité, notamment pendant la crise sanitaire, pour obtenir du cash rapidement avec moins de paperasse.

Serge Vatine, fondateur et Partner chez Bold, estime que le BSA-AIR reste risqué dans ce contexte où toutes les startups n'auront pas la chance de survivre. « Cela permet d'éviter des discussions sans fin autour de la valorisation et surtout l'investisseur ne sera jamais perdant en cas de décote, explique-t-il. Mais il y a toujours le risque d'une faillite si la startup n'arrive toujours pas à trouver des fonds ». D'autant plus qu'en cas d'exit (rachat, IPO ou procédure de sauvegarde), le BSA-AIR ne prévoit pas de clause de liquidation préférentielle - qui donne droit à l'investisseur d'être remboursé en priorité, devant les autres associés. 

Serge Vatine estime que le contexte pourrait tout de même être favorable au BSA-AIR car, étant donné que les investisseurs institutionnels délaissent plus ou moins les phases de pré-amorçage, « cela va laisser de la place aux non-institutionnels qui ont moins d'exigences en termes de traction et de chiffre d'affaires, et qui ont donc tout intérêt à privilégier cet outil pour minimiser les risques ». D'après lui, c'est un « outil dans l'ère du temps » qui permet de trouver un financement rapide sans passer par une levée de fonds « coûteuse, complexe et surtout aléatoire ».

De son côté, Pierre Ferron ingénieur patrimonial chez Edmond de Rothschild constate aussi toujours un recours fréquent du BSA-AIR dans le cadre d'amorçages menés par des business angels. Mais cela vaut aussi pour les bridges, ces levées de fonds intermédiaires entre deux tours. « Il est souvent utilisé comme première étape de croissance pour recruter par exemple mais aussi en cas d'urgence lorsque la startup n'arrive pas à boucler une série A et commence à manquer de liquidités », détaille-t-il. Ce dernier ajoute tout de même qu'il « serait dommage que le BSA-AIR devienne un outil de sauvetage systématique ».

Le BSA-AIR n'est pas une garantie de tour de table futur

Pierre Ferron constate aussi que les investisseurs entrés dès la série A bénéficient de plus de reconnaissance que ceux arrivés en pré-amorçage. Il faut donc d'après lui veiller à bien ficeler le pacte d'associés - avec par exemple des clauses de sortie conjointe ou forcée - pour répondre au mieux à leurs attentes et éviter les blocages. « Certains business angels ne souhaitent pas sortir du capital après les séries B ou C et cela peut créer des problèmes de gouvernance non négligeables », explique-t-il.

« Certains fonds d'investissement ou family offices qui avaient souscrit des BSA-AIR ont ressenti la frustration de ne pas être invités à la table des négociations dans le cadre du tour qui a permis la conversion des leurs BSA-AIR en actions », décrit Damien Gorse, avocat au Barreau de Paris et Associé du cabinet Squair. « Les nouveaux investisseurs les ont souvent assimilés aux friends and family ou business angels du tour précédent, sans doute notamment en raison de la décote dont ils bénéficiaient ». Cela a selon lui contribué à une raréfaction du recours au BSA-AIR par les investisseurs institutionnels, plus particulièrement lorsque les montants d’investissement sont relativement significatifs.

Cette désaffection pour les BSA-AIR est sans doute aggravée par l’incertitude qui plane autour des levées et l’augmentation des délais pour compléter un tour. « Avec le retournement du marché, certaines startups qui étaient pourtant sûres de lever des fonds très vite peinent à boucler leur série A, poursuit Damien Gorse. Or, le BSA-AIR est un outil adapté pour un temps court. Sans un minimum de certitude sur la conversion rapide de leurs BSA-AIR, les investisseurs préféreront revenir à de l’equity classique, le cas échéant couplé d’un BSA ratchet pour anticiper les mauvaises surprises en termes de valorisation ». Les BSA-AIR restent toutefois selon lui encore très pertinents et sont régulièrement utilisés dans le cadre de "bridges défensifs".

« Le montant obtenu lors d'un BSA-AIR, s’il peut aider à engager d’autres investisseurs, n’est pas une garantie de conclusion d’un tour de table futur », tient à rappeler Victor Thion. Autrement dit, l'argent récolté sera effectivement versé directement à l'entreprise bénéficiaire mais cela n'exclut pas le risque de ne pas parvenir à approcher d'autres investisseurs. « Le fait qu'un BSA-AIR soit déjà engagé peut être perçu par certains investisseurs comme un signe de difficulté à boucler un tour de table plus complet », raconte-t-il. De plus, les détenteurs de bons de souscription obtiennent des avantages fiscaux uniquement après conversion.

« Le nombre d'associés peut ajouter de la complexité dans la gestion de la société, confirme Serge Vatine. Mais cela peut être résolu en les réunissant dans une holding autogérée comme un SPV (special purpose vehicle) ». Ce dernier conseille de prévoir une clause de conversion des bons de souscription en actions ordinaires avec des droits minimums prédéterminés et surtout de « ne pas garantir que les titulaires de BSA-AIR auront des droits totalement alignés avec les investisseurs du prochain tour, puisqu’il s’agit souvent d’un élément de négociation ».