« L’écosystème tech est très endogame, et loin d’être représentatif de la population française », affirme d’emblée Anthony Babkine, cofondateur de Diversidays, une association qui promeut l’égalité des chances. « Aujourd’hui, 60 % des fondateurs de startups sont des CSP+ parisiens qui ont fait de grandes écoles. Et le problème se répercute à l’échelle de l’écosystème, car ces fondateurs ont tendance à recruter des gens qui leur ressemblent », poursuit-il sur la scène de la Maddy Keynote. « Beaucoup de dirigeants pensent qu’ils n’ont plus besoin d’être convaincus de l’importance de la diversité, et c’est sincère, mais dans les faits, ce sont les mêmes qui, par facilité, continuent à recruter des profils qui leur ressemblent : des hommes blancs sortis de grandes écoles », confirme Clara Chappaz, directrice de la French Tech.

Plus l’écosystème pèse dans l’économie française, plus ce manque de diversité porte préjudice à l’ensemble de la société. Au-delà des considérations sociétales, la performance économique peut aussi pâtir du manque de diversité. « Le lien entre diversité et performance économique n’est plus à prouver. La diversité permet des prises de décisions mesurées et sécurisées, grâce à la confrontation de plusieurs points de vue », avance Cécile Presta, directrice des ressources humaines chez Klépierre, leader européen des centres commerciaux. « Sur la question de la diversité et de la performance, il y a aussi le sous-jacent du bien-être au travail », rappelle Anthony Babkine. « Une personne qui se sent à sa place, considérée et respectée, va logiquement être plus performante », explique-t-il.

Une prise de conscience généralisée

La période de l’affichage semble terminée. Aujourd’hui, les entreprises, quelle que soit leur taille, ont, pour la plupart, conscience qu’elles ne peuvent enjoliver la réalité sur les sujets de la diversité et de l’inclusion. « C’est un sujet sur lequel nous devons adopter une approche humble. Depuis quelques années, nous avons pris conscience des progrès qui devaient être faits en la matière et posé des objectifs précis. Nous communiquons seulement quand les résultats sont atteints et nous ne pourrions de toute façon pas nous permettre de nous contenter d’affichage, car le niveau de diversité est facilement observable en interne comme en externe », partage Cécile Presta.

Un point de vue partagé par les autres intervenants. « L’alignement, c’est la clé. Quand des candidats reviennent d’un entretien en ayant vu dans les couloirs l’inverse de ce que vante une société dans sa communication de marque employeur, c’est un véritable problème », souligne Anthony Babkine. Mais prise de conscience ne rime pas forcément avec progrès immédiats. « Ces dernières années, il y a eu une réelle prise de conscience des enjeux liés à la diversité. Mais cela ne suffit pas, les chiffres et les faits parlent, tout le travail reste à faire, et les entreprises assument qu’elles n’ont pas encore réussi à atteindre leurs objectifs », partage Clara Chappaz. La mission French Tech qu’elle dirige a notamment beaucoup travaillé sur le sujet de la parité, qui est aujourd’hui affiché comme une priorité stratégique par 85 % des 1.200 startups qu’elle a interrogées.

L’écosystème se met en mouvement sur le sujet de la parité

Un sujet sur lequel a également beaucoup travaillé Klépierre, en particulier sur ses fonctions financières historiquement très genrées. En 2018, l’entreprise comptait 17 % de femmes dans son comité de direction et 20 % de femmes parmi les 100 premiers managers. Aujourd’hui, elle a atteint les objectifs qu’elle s’était fixés avec 45 % de femmes dans son comité de direction et 40 % de femmes parmi les 100 premiers managers. « Ces résultats ont été obtenus grâce à un travail de mesure et de reporting continu. Nous avons revu notre façon de sourcer les candidats, nos process de recrutement, notamment en intégrant systématiquement des femmes dans les shortlists, et nous avons sensibilisé et formé les managers à ce sujet », explique Cécile Presta. « C’est un travail de fond, qui prend du temps, car pour que les changements s’opèrent, il faut convaincre en interne, choisir de ne plus céder à la facilité et aux habitudes et aussi saisir des opportunités », ajoute-t-elle.

Pourtant, à ce sujet aussi, si des actions sont mises en place, la réalité reste loin d’être satisfaisante au sein de l’écosystème tech. À la sortie du Next40, en 2019, aucune femme ne figurait parmi les fondateurs. Depuis, seule Éléonore Crespo, la cofondatrice de Pigment, a intégré l’indice. « C’est un ratio encore plus faible que celui du CAC40, qui compte trois femmes dirigeantes, c’est un vrai problème », reconnaît Clara Chappaz. Heureusement, sur d’autres aspects, les choses progressent. Lancé en 2022, le pacte Parité rassemble 700 startups signataires qui comptent aujourd’hui en moyenne 43 % de femmes, 38 % de femmes managers, et 25 % de femmes aux boards.

Diversité et inclusion ne se limitent pas à la parité

Mais la diversité et l’inclusion ne se limitent pas à l’égalité entre les genres. Toutes les diversités au sens large doivent être adressées : origines sociales, géographiques, classes d’âges, handicap, etc. « Certes, progresser sur le sujet de la parité ne suffit pas, mais si on montre déjà qu’on peut changer les choses sur ce sujet, c’est encourageant pour la mixité en général », souligne Clara Chappaz. Des sujets sur lesquels la French Tech a déjà commencé à agir, notamment avec le programme French Tech Tremplin qui soutient 2.000 entrepreneurs issus des quartiers prioritaires, des réfugiés ou des personnes porteuses de handicap.

Pour faire pencher la balance du bon côté sur l’ensemble des diversités, faudra-t-il un cadre contraignant ou une volonté plus profonde ? « Un cadre contraignant est nécessaire, car il pousse les entreprises à agir, mais il n’est pas suffisant. Si on veut progresser, il faut être militant », répond Cécile Presta. La DRH cite notamment la problématique du handicap. « En France, beaucoup d’entreprises préfèrent encore payer l’amende plutôt que d’intégrer 6 % de personnes en situation de handicap, comme l’exige la loi », relève-t-elle. Même constat sur le sujet des seniors ou de la mixité sociale. « Je ne crois plus à la démarche volontariste. Il faut des mesures plus coercitives pour que les choses bougent. La place des femmes a progressé notamment grâce à la loi Rixain. Il faut faire la même chose sur les sujets de l’âge, des origines sociales ou du handicap. Aujourd’hui, nous sommes trop mous sur ces sujets en France », insiste Anthony Babkine.

Pour les trois panélistes, tout doit commencer avec la mesure. « Tout ce qui ne se mesure pas n’avance pas ! », martèle Anthony Babkine. La mesure permet selon lui d’être lucide sur la situation, les manques et les failles. Une fois passée l’étape de la mesure, les trois experts s’accordent à dire qu’il faut se fixer des objectifs et se former aux questions de la diversité et de l’inclusion. « Les objectifs ne sont pas que l’affaire des ressources humaines, les managers doivent être dans la démarche, sinon cela ne fonctionne pas », rappelle Clara Chappaz. « Il faut se former aux biais, aux enjeux de la diversité, revoir les process de recrutement », ajoute-t-elle.

Enfin, il convient de se faire accompagner de tiers et d’associations spécialistes du sujet, comme Mosaïk. « En tant que fondateurs, il faut regarder d’autres viviers que les cercles traditionnels. Il y a des milliers de talents derrière le périphérique qui attendent de rentrer dans le monde de la tech ! », conclut Anthony Babkine.