Peut-on faire de l’impact et du capital risque ? Peut-on concilier engagement environnemental et profits ? Selon Damien Ricordeau, la réponse est oui. Il va même plus loin : un capitalisme régulé est nécessaire pour encourager un changement à l’échelle des besoins de la planète. Et l’entrepreneur financier ouvre la voie. Après avoir lancé Finergreen, une banque d'affaires dédiée à la transition écologique, Damien Ricordeau a créé sa société de gestion TimeToAct Capital. Le fonds d’investissement green fête à peine ses un an et a déjà investi dans deux startups en capital risque. Il gère une trentaine de millions d’euros sous gestion et projette le lancement de son premier véhicule d’investissement. 

Après cinq ans au sein de la banque Edmond de Rothschild, Damien Ricordeau décide de se lancer et de s’engager. “Être entrepreneur demande beaucoup d'énergie et beaucoup de motivation. Ma motivation, mon énergie, c'est de me dire que je fais quelque chose de positif pour la planète.” Pour autant, son fonds d’investissement VC répond aux mêmes exigences financières qu’un fonds de capital-risque classique. Par ailleurs, il opère une verticale dédiée à la transition énergétique et un fonds dédié aux forêts qui fonctionne comme un fonds d’infrastructure. Damien Ricordeau partage sa vision et sa stratégie.

D'où vous vient cet engagement pour la transition écologique, et pourquoi vous spécialiser dans  l’impact environnemental ?  

Je viens d’un parcours financier : j’ai étudié à Dauphine, puis j’ai fait mes premières armes à la banque Edmond de Rothschild, dans un fonds d’investissement généraliste, pendant cinq ans.  

À la fin de cette période, j’ai eu envie de mettre mes compétences au service de la transition énergétique. J’ai donc lancé ma propre banque d’affaires. À l’époque, le secteur du photovoltaïque  connaissait un fort essor, mais les financements étaient limités. Nous avons ainsi commencé à aider des porteurs de projets à lever des fonds pour des installations de toitures photovoltaïques, notamment pour des groupements agricoles. Nous avons démarré en France, puis rapidement  décidé d’étendre nos activités à l’international. Notre deuxième bureau avec Finergreen, cette banque d’affaires que j’ai fondée, a ouvert en Afrique, à Abidjan.  

Pourquoi l’Afrique ? Parce que c’est un marché complexe pour une banque d’affaires, mais aussi  parce que, dans cette région, près de la moitié de la population n’a toujours pas accès à l’électricité.  Nous avons vu là l’opportunité d’apporter de l’électricité, et qui plus est de l’électricité verte issue  d’énergies renouvelables, créant ainsi un double impact positif pour le continent. C’est ainsi que nous  nous sommes spécialisés dans le financement à impact, en Europe et dans les pays émergents.  

Après une dizaine d’années, j’ai voulu aller encore plus loin. J’ai nommé un nouveau CEO à la tête de  Finergreen, un ancien responsable monde M&A de HSBC, pour me consacrer à une nouvelle activité  d’investissement. Je suis donc revenu à mes premiers amours financiers, et j’ai cofondé une société  de gestion, TimeToAct Capital, avec Frédéric Payet, qui dirigeait les investissements en infrastructures chez Crédit Agricole Assurances.  

Notre ambition est de créer une société de gestion unique, dédiée aux investissements climatiques  avec trois axes d’investissement : la transition énergétique, les solutions basées sur la nature (comme  la reforestation), et le venture climate tech. Ces axes sont parfaitement complémentaires.  

Pour la première verticale, l’idée est de passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables. La  seconde verticale vise à absorber le CO₂ déjà présent dans l’atmosphère de manière naturelle, grâce  aux forêts, tout en préservant la biodiversité. Enfin, le troisième axe, le climate tech, vise à soutenir  les technologies ayant un impact positif à grande échelle pour l’environnement.  

“On peut gagner de l’argent et faire de l’impact”

Est-ce que ce n’est pas encore trois mondes différents : la transition écologique, la banque d’affaires,  puis le VC ?  

Aujourd'hui, on oppose encore trop souvent finance et impact. On a l'impression que, pour avoir un  impact positif, il faut faire des dons ou accepter de faibles rendements, car il semble difficile d’allier rendement et impact. Mais c'est une erreur.  

Il est tout à fait possible de générer un impact et de gagner de l'argent, et c'est justement cette  combinaison qui peut changer les choses. Prenons l'exemple des forêts primaires : si on comptait  uniquement sur les ONG pour les préserver, nous n'en aurions bientôt plus, car ces projets manquent  d'échelle. Il n’existe pas de modèle économique solide qui permette de lever suffisamment de fonds  pour les protéger.  

Mon approche, depuis mes débuts en finance verte, est de montrer qu'il est possible de générer des  profits tout en ayant un impact. Aujourd'hui, les projets que nous menons sont tout à fait rentables.  Si nous réussissons à prouver que cet équilibre entre rentabilité et impact est viable, c'est ce qui nous permettra de passer à l’échelle, même dans des secteurs parfois complexes. 

On parle de VC Climate Tech : pourquoi un nom spécifique ? Est-ce une manière différente d’investir  dans le VC ?  

La plupart des fonds de venture capital sont soit généralistes, soit thématiques. Le VC Climate Tech, axé sur les investissements climatiques, devient un segment de marché à part entière. C’est l’angle  que nous avons choisi : nous abordons tous nos investissements en VC sous ce prisme-là.  

Cela dit, en termes de structure, il n'y a pas de différence fondamentale par rapport aux autres fonds d'investissement VC généralistes. Le processus d’investissement est le même en termes de montant, de gouvernance et de sortie. La différence se situe dans nos critères  d’investissement : nous considérons à la fois des paramètres financiers et extra-financiers.  

Alors que le VC classique se concentre uniquement sur les critères financiers, nous les évaluons également, mais nous ajoutons une contrainte supplémentaire. Nous analysons les co-bénéfices que  chaque technologie peut avoir sur l’environnement, avec des indicateurs de performance (KPI)  spécifiques à cet aspect. Cela nous permet de mesurer l'impact environnemental en parallèle de la  rentabilité.  

Quels sont-ils ?  

Nous avons des KPI classiques, comme le nombre de tonnes de CO₂ évitées par rapport à une solution  traditionnelle. Cela peut inclure également des indicateurs tels que la quantité de matériaux  économisés grâce à une technologie spécifique. Nous adaptons nos critères en fonction de chaque  entreprise pour évaluer concrètement l'impact de nos investissements. 

Qui sont vos LPs ? Est-il plus difficile de les convaincre qu’un fonds généraliste ?  

Il y a eu un véritable engouement pour l’investissement vert, mais cette tendance s'est essoufflée au  cours des 18 derniers mois. De nombreux acteurs se concentrent à nouveau uniquement sur les rendements financiers, notamment aux États-Unis, où des fonds de pension comme BlackRock ont  affirmé ne plus accorder d'importance aux critères autres. De notre côté, nous restons convaincus  que pour évaluer la performance réelle d'une entreprise, il faut prendre en compte à la fois les  impacts financiers et extra-financiers.  

Nous collaborons avec trois types de LPs : d'abord, les investisseurs institutionnels, notamment des  entités publiques, qui sont essentiels pour monter un fonds. Ensuite, les family offices, souvent  dirigés par des entrepreneurs ayant gagné de l'argent dans des secteurs à impact climatique et  souhaitant réinvestir dans cette voie. En général, ils investissent des tickets un peu moins élevés.  Enfin, les entreprises (ou corporates), qui prennent conscience que, pour aligner leur modèle économique avec les exigences environnementales, elles doivent investir dans des technologies plus propres. C’est ainsi qu’elles collaborent avec nous sur ces sujets.  

Un fonds VC paneuropéen

Vous avez annoncé votre premier fonds en mai, dédié aux forêts. Pourquoi avoir choisi ce sujet en  particulier et où en êtes-vous dans votre avancée ?  

Nous avons choisi de nous concentrer sur les forêts car il existe un véritable manque d’investissement  dans ce domaine en France.  

Traditionnellement, les forêts sont valorisées pour leur production de bois, mais elles ont une autre  fonction essentielle : la captation du CO₂. Grâce au système de label bas carbone en France, il est désormais possible de valoriser cet aspect en générant des revenus via la vente de crédits carbone. Notre Fonds Forêt France est le premier à se consacrer uniquement à la valorisation des forêts à 

travers les crédits carbone, sans dépendre de la production de bois, ce qui nous permet de restaurer des écosystèmes forestiers.  

Pour la première fois en France, un fonds est dédié exclusivement à la restauration des écosystèmes  forestiers. Nous prévoyons de replanter 13 000 hectares de forêts et, ce faisant, de protéger la  biodiversité en réhabilitant les habitats naturels pour la faune locale.  

Il s’agit d’un investissement en infrastructure : nous investissons dans la forêt en tant qu’actif. Nous  ne sommes pas propriétaires fonciers, mais nous finançons la restauration des forêts et, en échange, nous obtenons une exclusivité sur les droits carbone.  

Côté VC, quelle est votre thèse ? Quels sont les critères déterminants ? Vers quel type de projet  souhaitez-vous vous diriger en priorité ?  

Émilie Finiels et Alexis Figeac, qui nous ont rejoints en début d’année, sont en charge du développement de ce fonds. Alexis Figeac est basé à Berlin, en Allemagne, et notre fonds est axé sur  le marché européen.  

Notre deal flow est résolument européen, avec des bureaux TimeToAct Capital à Paris, Madrid et Berlin, ce qui nous permet de couvrir à la fois l’Europe du Nord et l’Europe du Sud. Nous avons défini quatre sous-segments d'investissement. Le premier concerne le réseau et la mobilité.  

Nous avons déjà réalisé un premier investissement en France avec Cap’Bornes, une entreprise spécialisée dans la mobilité douce qui fabrique des bornes de recharge lente pour les copropriétés.  

Le deuxième segment est celui de l’économie circulaire, qui englobe des initiatives comme le recyclage de déchets.  

Le troisième segment couvre l’agri-tech et la biodiversité, et enfin, le dernier est consacré à la fabrication durable.  

À ce jour, nous avons réalisé deux investissements. Le premier, comme je le disais, Cap’Bornes, dans le domaine de la mobilité douce. Le deuxième est une entreprise spécialisée dans le recyclage des pneumatiques usagées via un procédé de pyrolyse pour en extraire des matières premières  secondaires, destinées aux industries chimiques et comme composant du carburant durable pour l'aviation.

Combien avez-vous sous gestion ?  

Nous sommes une jeune société de gestion, avec un an d’existence. Nous avons obtenu notre  agrément en avril et sommes actuellement en train de commercialiser notre premier fonds. Pour l’instant, nous utilisons uniquement nos fonds propres et ceux des family offices qui nous ont soutenus durant cette phase de lancement. Nous avons ainsi investi environ 30 millions d’euros.  Maintenant, nous prévoyons de lever des fonds auprès d’investisseurs institutionnels pour déployer  pleinement notre stratégie. Nous lancerons notre fonds VC Europe au début de l’année prochaine.  

Quel serait votre message à la Mission French Tech ou aux pouvoirs publics ? Est-ce le rôle des  politiques d’encourager ces investissements ?  

Les pouvoirs publics jouent un rôle crucial, mais à mon avis, ce n’est pas seulement au niveau national que cela doit se faire ; c’est à l’échelle européenne, voire mondiale.  

Il est essentiel de mettre en place un cadre juridique qui permette au marché de se développer, après quoi il appartient aux investisseurs de croire en cette transition. Prenons l'exemple de la finance carbone : sans un cadre international pour l’utilisation des crédits carbone, les investissements dans ce secteur ne verront pas le jour. C’est la première étape. Une fois ce cadre établi, la question pour moi, en tant qu’investisseur, est de savoir si je suis prêt à décarboner mon activité.  

De nombreuses entreprises se sont déjà fixé pour objectif d’être neutres en carbone d’ici 2050, ce qui  les incite à investir dans des technologies vertes pour décarboner leur bilan. Les secteurs comme le  maritime et l’aviation, par exemple, sont d'importants émetteurs de gaz à effet de serre. Si nous  pouvions, dès aujourd'hui et dans un avenir proche, développer des moteurs à combustibles propres  comme les e-fuels pour les avions, nous pourrions réduire drastiquement leurs  émissions de CO₂. C’est sur ce type d’innovation que nous devons concentrer nos efforts.  

Le capitalisme peut servir la transition écologique

Faut-il aussi travailler avec des fournisseurs de services ou de produits décarbonés, comme les  solutions de messagerie instantanée ?  

Oui, c'est essentiel. Nous parlons ici des scopes 1, 2 et 3. Le scope 1 couvre toutes les actions que  l’entreprise peut mener pour réduire ses propres émissions. Le scope 2 englobe les émissions  indirectes provenant des partenaires et des fournisseurs. Quant au scope 3, il s'agit de la  compensation : une fois que l'entreprise a réduit au maximum ses propres émissions et celles de ses  partenaires, elle compense ce qui reste inévitable.  

En tant qu’individu, devons-nous réfléchir et agir de la même manière ? A-t-on un vrai pouvoir ?  

Absolument. Voici deux exemples concrets : aujourd'hui, chacun peut choisir d'investir dans des  plateformes de crowdfunding qui financent des projets verts. Personnellement, c'est ce que je fais  avec mon épargne, en soutenant des initiatives comme la reforestation, l'énergie solaire, ou des  startups à impact.  

Deuxième exemple : chaque personne a son propre bilan carbone. À l’image de la déclaration de  revenus, il serait intéressant d’établir une déclaration de son bilan carbone, non pas pour pénaliser,  mais pour sensibiliser et encourager une prise de conscience. Ensuite, chacun pourrait, sur une base  volontaire, compenser son empreinte carbone. Les pouvoirs publics pourraient aussi jouer un rôle en  soutenant ce type de projet.  

J’ai moi-même évalué mon bilan carbone, en tenant compte des vols que j'ai pris, par exemple. À la  fin, je choisis de compenser via des plateformes dédiées. Ainsi, nous pouvons non seulement investir  pour l’avenir, mais aussi « réparer » le présent, en agissant dès maintenant.  

Y a-t-il encore un besoin d’éducation et de sensibilisation des individus ?  

Il y a un besoin immense. Vous, par exemple, avez-vous déjà réalisé votre bilan carbone ? La réponse  à cette question montre bien l’ampleur du travail qu’il reste à faire en matière de sensibilisation. 

Il y a encore énormément de chemin à parcourir pour informer sur ce sujet. Si chacun suivait les  étapes que nous avons évoquées, non seulement une grande partie de l’épargne pourrait être  orientée vers des investissements d’avenir, mais nous contribuerions également à réparer la planète  face aux impacts de notre consommation actuelle. On ne peut pas demander aux gens de cesser de  consommer du jour au lendemain, mais si chacun prend conscience de l’impact carbone de sa  consommation et s’engage à le compenser, nous pouvons mieux préparer l’avenir.  

Quels sont, selon vous, les défis les plus urgents pour les années à venir ?  

Le défi principal est de trouver des solutions qui nous permettront de réduire notre consommation  énergétique. Le changement climatique que nous connaissons aujourd’hui est le résultat de l’utilisation massive de pétrole et de gaz, qui ont engendré d’énormes émissions de CO₂. 

Notre priorité est donc de développer des technologies capables de réduire significativement notre  empreinte carbone.  

Pour protéger la planète, faut-il précipiter la fin du capitalisme et changer de modèle ?  

En réalité, c’est tout l’inverse. Selon moi, nous avons besoin d’un capitalisme organisé et régulé. Sans capitalisme, nous ne pourrions pas atteindre l’échelle nécessaire pour opérer des changements  significatifs. Il faut des incitations financières pour attirer les investisseurs et encourager la prise de risque. Avec un cadre réglementaire établi, nous pouvons orienter ces efforts vers des solutions durables.  

Prenons l’exemple des politiques fiscales : pourquoi les trains sont-ils lourdement taxés alors que les  avions ne le sont pas ? C’est un non-sens, mais cela découle de décisions politiques. Heureusement, certaines initiatives vont dans la bonne direction, comme l’obligation faite aux compagnies aériennes en France de compenser 100 % de leurs vols intérieurs par l’achat de crédits carbone.  

Nous avons besoin du capitalisme pour mobiliser les capitaux, et de la réglementation pour guider et  orienter ces investissements de manière responsable.