L’histoire Cathay Capital a commencé avec des pierres tombales, celle de Cathay Innovation avec des pastèques. Ming-Po Cai, entrepreneur franco-chinois, a démarré avec une activité de commercialisation de pierres tombales en marbre chinois. Il s’est rapidement tourné vers l’investissement en créant le fonds de private equity. Avec Denis Barrier, ils se lancent dans le venture capital avec Cathay Innovation.
Avec des implantations, au départ, en Chine, aux Etats-Unis et en France, Cathay Innovation a une ADN international. Avec leur premier fonds, Ming-Po Cai et Denis Barrier investissent dans PinDuoDuo. À l’époque, PinDuoDuo ne vendait que des fruits -dont des pastèques- sur son application. Aujourd’hui, le groupe chinois est un des acteurs du e-commerce les plus important avec près de 900 millions de clients.
Cathay Innovation aussi a poursuivi sa croissance. Le fonds s’apprête à closer son troisième véhicule d’investissement et vise le milliard d’euros. Il a également annoncé le lancement du C.Lab, un service de conseil pour faire le lien entre les grands groupes européens et les startups les plus prometteuses du monde entier. C’est d’ailleurs sa marque de fabrique depuis le début.
Pour Maddyness, Denis Barrier revient sur cette vision globale qui a guidé la stratégie de Cathay Innovation, incontournable sur la scène du capital-risque mondiale.
Maddyness : Comment a commencé l’aventure Cathay Innovation ? Tout est parti de votre rencontre avec Ming-Po Cai, le fondateur du groupe Cathay ?
Denis Barrier : Il y a neuf, presque dix ans, j’ai fait la connaissance de Ming-Po Cai, déjà fondateur de Cathay Capital, un fonds de private equity. Originaire de Chine, il est arrivé en France très jeune, avant même d’avoir atteint sa majorité. Entrepreneur dans l’âme, il possède également un parcours marqué par une forte dimension industrielle, notamment par sa contribution au développement de Seb en Chine.
Dans un premier temps, il a fondé une société spécialisée dans la commercialisation de pierres tombales, en utilisant du marbre importé de Chine. Par la suite, il a créé Cathay Capital avec l’objectif d’accompagner des entreprises françaises souhaitant s’implanter en Chine, et inversement. Quelques années plus tard, il a décidé d’étendre l’activité de Cathay Capital à New York afin d’en faire une véritable plateforme d’investissement global, en s’intéressant notamment au secteur technologique.
De mon côté, après avoir exercé en tant que chercheur, j’ai pris la direction du corporate venture d’Orange. Ce parcours m’a conduit dans la Silicon Valley, où j’ai intégré le fonds Orange Publicis. Mon rôle consistait à établir des liens solides avec les investisseurs en capital-risque américains et à offrir un soutien aux entreprises américaines dans leur expansion en Europe. Nous avions également une présence en Chine. Avec ce fonds, nous aspirions à développer des partenariats industriels tout en bâtissant une plateforme d’investissement mondiale, une démarche encore peu courante en Europe à l’époque.
C’est dans ce contexte que j’ai rencontré Ming-Po. Partageant une vision commune, nous souhaitions tous deux créer une plateforme globale associant des entreprises pour bâtir un écosystème solide et cohérent. Cette approche se révélait particulièrement adaptée au contexte européen, où les fonds de pension sont rares et les corporates jouent un rôle central. Ainsi, Cathay Innovation a vu le jour.
Notre premier soutien corporate a été Valeo, (un équipementier automobile, ndlr). Grâce à cet appui, nous avons levé 300 millions d’euros pour notre premier fonds.
Quels étaient vos autres LP’s ?
D.B. : Bpifrance a été l’un de nos premiers soutiens. Nous avons également investi personnellement, ce qui apportait une dimension entrepreneuriale à notre démarche. Valeo nous a rejoints, séduit par le concept d’un fonds d’investissement à portée mondiale, mais basé à Paris, ce qui offrait une perspective unique. De nombreuses entreprises ont suivi, notamment parce que, durant les 18 premiers mois, nous avons systématiquement dépassé nos objectifs.
Dans le cadre de ce premier fonds, nous avons soutenu de nombreuses entreprises leaders dans leur secteur, telles que Ledger, Owkin, et Pinduo.
En 2019, vous avez lancé le fonds 2 ?
D.B.: Avec 650 millions d’euros, nous avons largement dépassé notre objectif initial de 500 millions. La demande a été tellement forte que nous aurions pu envisager une levée de fonds pouvant atteindre jusqu’à un milliard d’euros.
Nous avons ensuite poursuivi notre expansion en Asie du Sud-Est et en Amérique latine, car nous estimons que le digital se développera de manière très importante dans ces régions.
Cette expansion, c’était par des ouvertures de bureaux ?
D.B.: Nous avons des bureaux en Amérique latine et en Asie du Sud-Est. Par exemple, nous sommes investisseurs dans la plus grande fintech et dans la plus importante entreprise purement dédiée à l’intelligence artificielle en Asie du Sud-Est. Avec notre deuxième fonds, nous avons véritablement construit une plateforme visant à faciliter la collaboration entre les startups et les entreprises. Il est possible que cette plateforme soit l’une des plus importantes au monde au sein d’un fonds de capital-risque.
Nous attirons désormais des investisseurs du monde entier qui, après avoir observé les pratiques en Silicon Valley, souhaitent investir dans nos fonds pour bénéficier de ces partenariats uniques. Nous sommes en train de nous imposer comme une référence mondiale, en tant qu’investisseur facilitant le lien entre corporates et startups. C’est une véritable création de valeur.
Un objectif d’un milliard d’euros pour le fonds III
Vous avez resserré votre thèse pour le fonds III ?
D.B.: Nous avons constaté, en collaboration avec nos grands groupes partenaires, que nos investissements se sont principalement concentrés sur quatre verticales : fintech, digital healthcare, énergie & mobilité, et consumer. Ces secteurs constitueront la base de notre troisième fonds. Notre objectif est de lever environ un milliard d’euros, avec un closing prévu pour le milieu de l’année prochaine. Nous avons demandé à nos corporates de jouer un rôle clé dans le financement de ce fonds, afin de créer des pratiques solides permettant aux startups d’anticiper les évolutions à venir. BNP Paribas est devenu le sponsor de notre verticale fintech, Total et Valeo de la verticale énergie et mobilité, Sanofi soutient le digital healthcare, et Pernod Ricard le secteur du consumer.
Nous ne nous contentons pas d’être un fonds de venture classique. Nous apportons une valeur ajoutée en facilitant la collaboration entre startups et industriels. Le fonds III sera également un fonds axé sur l’intelligence artificielle appliquée à ces trois verticales.
Je pense que, pour la première fois, la tech va réellement prendre une place centrale dans l’économie mondiale, grâce à cette transformation opérée par l’IA. Après le lancement d’Internet, puis du Web 2.0, nous entrons aujourd’hui dans une troisième phase.
Nous avons également doublé notre présence dans la Silicon Valley, où nous sommes désormais le fonds européen le plus actif. Nous y avons une équipe de développement commercial importante. Cette décision a été prise à contre-courant, au moment où certains prédisaient que la tech se déplacerait vers Miami ou le Texas. Or, aujourd’hui, il apparaît clairement que la majorité des investissements en IA dans le monde se concentrent autour de San Francisco.
Combien de temps restez-vous dans les startups ?
D.B.: Entre 3 et 10 ans. Nous anticipons des retours significatifs de nos startups et nous espérons pouvoir démontrer l’année prochaine que notre méthode permet de faire fructifier le capital de manière efficace.
Il y a des exits à venir ?
D.B. : Nous avons plusieurs IPO en préparation. Nous sommes convaincus que l'année prochaine marquera le retour des introductions en bourse. Un certain nombre de nos participations sont actuellement en train de se préparer à cet exercice, principalement en dehors de l’Europe pour le moment.
Quel regard portez-vous sur l’écosystème asiatique ? Comment se différencie-t-il de l’Europe ?
D.B.: En ce qui concerne la Chine, il s’agit d’un véritable pôle technologique, particulièrement axé sur la transition énergétique et industrielle. Ce sont des domaines propices aux investissements. Sur le plan de l’intelligence artificielle, la Chine représente la deuxième économie mondiale, avec un écosystème entrepreneurial particulièrement dynamique. Il est donc logique de poursuivre nos investissements dans cette région.
En Asie du Sud-Est, incluant l’Inde, se concentre 40 % de la croissance mondiale. L’ensemble de la population y est équipée de smartphones, ce qui favorise le développement rapide de nombreux services. Prenons l'exemple de Finaccel, qui proposait initialement une solution de type "buy now, pay later" et qui est désormais devenue une banque générant entre 500 millions et un milliard de revenus nets, de manière profitable. En Asie du Sud-Est, on retrouve à la fois la dimension technologique présente en Chine, mais aussi un environnement en pleine émergence, où les technologies ont un fort potentiel de croissance pour les nouveaux services.
Nous bénéficions donc d’une diversité géographique, accompagnée d’une diversité au sein de nos équipes. Notre philosophie est celle du "leadership local, vision globale". Concrètement, cela signifie que, pour un dossier américain, ce sont avant tout des Américains qui sont les mieux placés pour donner un avis éclairé. En Chine, ce sont des équipes locales, et ainsi de suite. Cependant, la vision reste globale, avec une communication étroite entre les équipes, permettant à chacun de suivre ce qui se passe dans les autres régions.
« Nous prenons nos décisions d’investissement à l’unanimité »
Comment vous positionnez-vous par rapport aux enjeux de souveraineté française et européenne ?
D.B.: Nous ne nous contentons pas d’être des investisseurs. Nous travaillons avant tout pour aider ces startups à créer les industriels de demain, en partenariat avec les grandes entreprises françaises du CAC40. Les startups américaines ou chinoises peuvent également jouer un rôle crucial dans la transformation des industriels français. Pour nous, la souveraineté industrielle française ne se limite pas à produire en France pour les Français. Il s’agit aussi de développer un tissu industriel composé de champions nationaux capables de vendre les meilleurs produits à l’échelle mondiale.
Dans le cadre de la transformation par l’intelligence artificielle, si nous réussissons notre mission de soutenir des entreprises qui transforment leur secteur et de les accompagner pour devenir les leaders de demain, nous contribuons ainsi à la souveraineté industrielle française. À une époque de transition technologique, sociale et mondiale, où il est essentiel d’avoir des acteurs qui participent activement à ces mutations, c’est ainsi que nous apportons notre contribution. Notre plateforme est un levier dans cette dynamique.
Le fait que nous ayons maintenu une présence importante dans la Silicon Valley et à l’international nous permet également de ramener en France des informations, des partenariats et des méthodes de travail que d’autres acteurs ne sont pas en mesure d’offrir.
En somme, nous sommes créateurs d’écosystèmes. Nous apportons un réseau global, interconnecté, pour les entrepreneurs français.
Quel est votre regard sur l’avenir des fintechs ? Quelles sont les prochaines innovations sur lesquelles accélérer ?
La finance a besoin d'outils capables d'être automatisés et d'offrir à l'humain une vision à 360 degrés, afin de soutenir la prise de décision. Il existe donc une réelle nécessité pour de tels outils, soutenue par un modèle économique solide pour deux raisons principales. D'abord, dans le secteur financier, les décisions reposent généralement sur des données. Ensuite, il est toujours nécessaire de continuer à financer les projets et de chercher à améliorer constamment les processus.
Enfin, l'émergence de la finance décentralisée et des cryptomonnaies ouvre de nouvelles perspectives. Ces technologies reposent sur la blockchain, qui permet une architecture décentralisée de transactions certifiées et sans frais. Associée aux données et à l'intelligence artificielle, la blockchain pourrait offrir les solutions et produits financiers de demain. En optimisant les coûts et en apportant des améliorations, nous serons en mesure de développer une nouvelle génération de solutions financières qui auront un impact significatif sur la vie des gens.
Qui sont vos co-investisseurs ?
Nous avons co-investi avec de nombreux fonds français, ainsi qu’avec des fonds américains, non seulement aux États-Unis, mais aussi à l'international, et avec des fonds chinois en Chine. En Asie du Sud-Est et en Amérique latine, les capitaux sont très internationaux, car l'industrie du capital-risque y est moins développée.
Comment prenez-vous vos décisions d’investissement ?
La décision se prend à l'unanimité des partners. Avec Ming-Po et moi-même, nous sommes huit partners. Nous pouvons être fiers d'avoir constitué une équipe mondiale. Il est essentiel que chacun accepte l'autre et travaille dans un esprit de coopération. Nous exigeons un certain niveau de rigueur. Par exemple, pour un investissement aux États-Unis, il n'est pas acceptable qu'un Français dise : "Finalement, je n’étais pas d’accord", et inversement. Chacun doit avoir confiance dans le travail réalisé par les leaders des autres zones géographiques, ce qui permet d'apporter des perspectives variées. Pour nous, la diversité est complète, et pas seulement en termes de genre. Pour ma part, je joue un rôle de chef d’orchestre : je ne décide pas à la place des partners, mais j’anime la discussion pour faciliter la prise de décision collective.