Le paysage mondial des startups connaît un bouleversement majeur marqué par un contexte économique de l’après Covid incertain. Avec des conditions de financement plus strictes, lever de l'argent est devenu un défi majeur. L'accès au capital s'est resserré après une ère de financements accessibles pour de nombreuses startups et scale-ups. Les entreprises rencontrent désormais des difficultés pour atteindre leurs objectifs commerciaux ou de rentabilité et font bientôt face à une vague de faillites.

Parmi les entreprises de premiers plans touchées figurent Cityscoot, Lilium, Masteos, Ynsect et Northvolt.  On observe alors que seulement 9 % des startups ayant levé des fonds en série A au troisième trimestre 2022 sont passées à la série B en moins de deux ans, contre environ 28 % en 2018 et jusqu’à 40 % les années précédentes. De plus, d’après Crunchbase, le financement en VC des startups européennes a chuté à 10 milliards de dollars au troisième trimestre 2024, soit le total trimestriel le plus bas depuis 2020.

Dans un tel contexte de financement, l'écosystème des startups est contraint de se réinventer pour rester compétitif.

En tant qu'ancien employé chez ETF Securities, startup puis licorne, durant la récession de 2007-2009 et fondateur d'une startup cleantech en 2011, elle-même confrontée à des problèmes de revenus et de gouvernance, j'ai dû gérer ma part de crises et en tirer mes leçons. Je m’appuie sur deux décennies d'expérience en tant qu'exécutif, ainsi que mon rôle actuel de Directeur du Corporate Venture de Sopra Steria, Sopra Steria Ventures, et de mentor pour des startups Tech et à impact B2B.

Comprendre la crise : pourquoi est-il plus difficile de passer de la série A à la série B ?

Avant la pandémie, de nombreuses startups ont levé des fonds sans trajectoire de rentabilité claire. Ce modèle est devenu insoutenable avec la hausse des taux d'intérêt. Les investisseurs et les VC ont alors commencé à privilégier le critère de la performance économique. Ils sont devenus bien plus sélectifs, un réajustement fondamental du marché, et leur grille d’évaluation d’une entreprise et son produit ou solution s’est durcie.

Ainsi, passer de la série A – avec un revenu annuel récurrent (Annual Recurring Revenue ou ARR en anglais) de 2 à 3 millions d'euros – à la série B – avec un ARR de 8 à 10 millions d'euros (en moyenne) – devient de plus en plus difficile, on parle de "compression des levées de fonds".

Selon les données de Crunchbase, l'investissement dans les startups a chuté de 38 % dans le monde en 2023, avec 40 % de baisse dans le financement des premières étapes. Dans le même temps, le taux d’échec a explosé : 60 % de fermeture de start-up aux US et une tendance similaire en Europe. Par exemple, 76 startups françaises ont fait face à des poursuites judiciaires en 2023, et davantage en 2024, d’après la Banque de France.

En crise ? Vous n'êtes pas seul : des conseils pratiques pour les fondateurs

Des solutions existent pour pallier la situation mais seule une solide préparation pourra offrir des perspectives optimistes aux entreprises. Les fondateurs doivent prendre les rênes et cela au plus tôt. La priorité est aux opérations, aux finances et à la confiance, afin de bâtir les jalons de la résilience et sécuriser l'avenir.

Rationaliser les opérations et gérer les flux de trésorerie – Les fondateurs doivent être proactifs en mettant l’accent sur la rentabilité et la gestion des flux de trésorerie. C’est d’autant plus important que les investisseurs seront plus attentifs à la stabilité des modèles économiques qu’à la croissance.

Anticiper les scénarios de sortie – L’identification des stratégies de sortie dès le départ est cruciale. La faillite, le refinancement par d'autres VC, la levée des fonds supplémentaires, la fusion avec d’autres startups ou la clôture des contrats clients, il faut passer au crible chaque possibilité.

Se recentrer sur l'activité – Les opérations principales doivent continuer à tourner, un peu de développement pourra permettre d’étendre la feuille de route. D’autres aspects doivent être aussi soigneusement étudiés, allant de la renégociation des contrats fournisseurs, les conditions de paiement et une possible résiliation anticipée, à la planification de licenciements potentiels, l’identification des personnes clés à conserver et celles à laisser partir.

Poursuivre la facturation – L’optimisation des flux de trésorerie et l’encaissement de fonds doivent être au premier plan. En ce qui concerne les clients et les crédits : l’évaluation des conditions de paiement et leur sécurisation doivent être réalisées rapidement, l'écart entre la signature du contrat et le paiement réduit au maximum, et la durée des contrats avancée au plus tôt – par exemple, dans le cas d’un software-as-a-service (SaaS), passer de trois à un an est une bonne pratique. Si la situation se détériore, il faut engager des administrateurs judiciaires et des avocats spécialisés pour explorer les options de dernier recours.

Conserver la transparence et sa réputation – La situation doit être communiquée aux collaborateurs dès que possible, y compris le plan d'action, et les confessions de dernière minute évitées autant que possible. Cela aidera à protéger la confiance des équipes et l'image du fondateur.

En parallèle, il est important de parler aux parties prenantes plus régulièrement, toutes les une à deux semaines, en s'assurant que les décisions prises sont alignées avec le discours tenu. Ils auront besoin de rapports fréquents, y compris sur les progrès dans l'exécution du plan d’action et les possibles ajustements.

Rassurer les clients – Les clients doivent être tenus au courant et se sentir confiants sur le fait que leurs intérêts sont prioritaires. Les affaires en cours ont besoin d’être maintenues, et, en cas de faillite, les paiements pour maintenir les services doivent être négociés.

Demander un soutien financier supplémentaire – Si nécessaire, il faut demander aux investisseurs clés de couvrir les frais juridiques et les ressources qui pourraient aider à stabiliser l'entreprise à moyen terme. Conjointement, les options de levée de fonds et de financement – par emprunt ou par actions – pour soutenir les opérations doivent toutes être envisagées.

Adopter un état d'esprit humble – La demande de conseils en externe est très précieuse. Les fondateurs peuvent faire appel à des institutions juridiques et comptables spécialisées et tirer parti de leurs réseaux entrepreneuriaux – ils auront vécu des défis similaires et pourront offrir des conseils concrets en plus de leur soutien.

Ne pas négliger les CVC

Le soutien peut aussi provenir des VC d'entreprise (CVC) – des investisseurs stratégiques, riches en ressources et axés sur le long-terme. Ils constituent un atout considérable en période de crise et peuvent apporter leur conseil comme prêter main forte dans la stabilisation des activités de la startup. Par exemple, ils peuvent aider à sécuriser son marché et ses clients. L'objectif ne sera pas nécessairement d'atteindre le prochain stade de financement, mais d'assurer la pérennité de l’entreprise.

En effet, l’ambition et la vision des CVC vont au-delà de l’horizon financier parce qu’elles s’intéressent au développement de relations collaboratives et mutuellement bénéfiques. Les CVC offrent aux startups un accès aux réseaux de l'entreprise plus large et les connectent à des clients parfois inaccessibles autrement. Leur proposition de valeur inclut la création de partenariats commerciaux et technologiques ainsi que de nouvelles synergies.

Avec ces fondations, les jeunes entreprises peuvent tester leurs produits sur de nouveaux marchés et étendre leurs opérations. Elles favorisent ainsi leur croissance et détectent de nouvelles opportunités d'intégration tout en posant les bases d’un succès à long terme.

Alors que la crise mondiale du financement présente d'immenses défis, elle offre aussi son lot d’opportunités pour se réinventer. Avec des fondamentaux solides et les fruits de partenariats stratégiques, les startups peuvent s'adapter à la nouvelle réalité. Les fondateurs qui restent agiles, transparents et proactifs ne se contenteront pas de survivre, mais pourront même prospérer dans cet écosystème en constante évolution