Grenoble a «le sens de la tech» ! C’était le message prôné par les organisateurs pour cette deuxième édition de Tech&Fest qui s'est déroulée à Grenoble, au pied des Alpes, ces 5 et 6 février. Porté par le groupe de presse Ebra (Le Dauphiné Libéré et Numerama), ce rendez-vous au cœur d’un territoire aux allures de «Silicon Valley» européenne, selon ses défenseurs, a pris son envol l’an passé. Un coup de poker dans un calendrier des événements tech très chargé qui s’est avéré payant, avec plus de 15 000 visiteurs accueillis pour cette édition inaugurale.
Galvanisée par ce démarrage réussi, l’équipe de Tech&Fest avait forcément des attentes plus élevées pour cette deuxième édition, avec 20 000 personnes attendues. Comme l’an passé, nous étions de la partie et on peut vous confirmer que les allées étaient bien garnies. Si une réorganisation complète des espaces a été effectuée pour ce cru 2025, l’idée était toujours de favoriser les échanges entre deux mondes qui ont mis du temps avant de vraiment se parler : celui de la recherche et celui de la tech. Deux univers complémentaires qui peuvent déboucher sur des solutions bénéfiques pour la planète et l’humanité. «Chez Tech&Fest, on pense que le monde ne sera pas sauvé par la tech, mais il ne sera pas sauvé sans elle», estime Georges Bosi, rédacteur en chef adjoint du Dauphiné Libéré, en charge de l’actualité B2B.
«Chaudron grenoblois»
Avec des laboratoires de premier plan, comme ceux du CEA et de l’Inria, Grenoble et la vallée du Grésivaudan constituent une place forte de l’excellence à la française en matière d’innovation. Mais encore faut-il réussir à faire sortir ces idées des laboratoires pour les transformer en véritables produits à vocation business… Faire basculer des chercheurs vers l’entrepreneuriat n’est pas chose aisée, mais en facilitant le dialogue entre ces deux univers, la dynamique s’est accélérée ces dernières années.
Star locale de la French Tech, Verkor, startup qui ambitionne de devenir un géant européen de la production de batteries électriques, n’est sans doute pas étrangère à la montée en puissance de l’écosystème grenoblois. Ce n’est pas un hasard si Benoît Lemaignan et Gilles Moreau, fondateurs de Verkor, ont d’ailleurs été fortement mis à contribution durant ces deux jours de Tech&Fest, rendez-vous qualifié de «chaudron grenoblois» par le patron de l'entreprise tricolore.
Du temps long nécessaire pour créer des champions de la tech et réussir la réindustrialisation de la France
Dans ce «chaudron», pas moins de 250 intervenants se sont succédés sur les différentes scènes installées à Alpexpo. Sur la scène principale, Mehdi Gmar, directeur général de CNRS Innovation, et Nicolas Chandellier, directeur général de Carbon, étaient notamment invités à commenter le dialogue entre le monde de la recherche et celui des industriels. L’occasion pour le premier de lancer un appel : «Il faut multiplier les moments où l’on parle aux industriels. Et il faut aussi changer de regard sur la recherche fondamentale. Le côté VRP de la recherche publique, il faut qu’on en soit fier.» Une balle saisie au rebond par le deuxième : «Pourquoi est-ce qu’on ne ferait pas de l’industrie le lieu de l’incubation, le lieu où tout le monde se retrouve ?»
Dans ce rendez-vous moins corporate que VivaTech, les langues se délient plus facilement et certains n’hésitent pas à lâcher des punchlines pour glisser quelques tacles bien sentis. C’est le cas notamment de Guillaume Morelli, directeur des activités de cotation en France et dans la Péninsule ibérique chez Euronext. Il a dressé un constat sans concession sur l’état du financement de la tech en Europe. «C’est la fin du mythe de l’argent gratuit et illimité», a-t-il lancé d’entrée de jeu.
Dans ce nouveau paradigme, quid de la situation européenne ? «Dans la concurrence pour le capital, l’Europe n’est pas très bien placée. Il faut qu’on modifie la culture du risque en Europe, notamment en débloquant des freins réglementaires. Pourquoi est-ce qu’on n’a pas créé de champions jusque-là ? Après la crise de 2008, on a mis en place une culture réglementaire du risque autour de l’épargne. En Europe, on ne s’occupe pas assez de libérer de l’épargne pour des projets à long terme et ambitieux. Or pour créer des champions de la tech, il faut avoir du temps long, absolument nécessaire à la prise de risque. Et pour cela, il faut une Bourse dynamique», a expliqué Guillaume Morelli. Face à la très forte attractivité du Nasdaq aux États-Unis, le chantier s’annonce colossal…
Le raisonnement du responsable d'Euronext fait écho à la pensée de l'ex-commissaire européen Thierry Breton, l'un des intervenants les plus attendus de cette édition 2025, pour défendre le modèle européen en matière d'innovation. Très en forme, il n'a pas fait dans la dentelle. «Les géants américains doivent comprendre qu’on roule à droite et pas à gauche en Europe. On a notre propre code de la route et ils doivent le respecter. S’ils roulent à droite, ils doivent changer leur volant. Notre démocratie est intangible et elle n’est pas à vendre», a-t-il notamment lancé.
Dans l’Hexagone, la capacité d'innovation dépend notamment du plan France 2030, qui a placé la réindustrialisation du pays au cœur de cette feuille de route. Mais si celle-ci n’est pas simple, Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance, appelle à ne pas abdiquer. «La réindustrialisation, ça va être long. Il faudra du capital et que tout le monde s’y mette, mais c’est possible», a-t-il estimé. Avant d’imager son propos : «En apparence, le tennis a l’air assez simple, mais c’est complexe en réalité. Au tennis, si vous n’êtes pas très entraîné et pas très technique, vous mettez toutes les balles dehors. C’est pareil pour la réindustrialisation !» Une métaphore qui mérite réflexion…
iForum, Village Décarbonation et Learning Expedition
Au milieu de ces échanges, les visiteurs avaient la possibilité de naviguer entre plusieurs espaces, à l’image de l’iForum, difficile à manquer avec son pavillon de 600 mètres carrés au cœur d’Alpexpo. Cet événement dans l’événement, qui célébrait sa 27e édition cette année, vise à servir de tremplin pour les acteurs de l’écosystème local d’innovation. Et dans ce cadre, une vingtaine de startups ont pu présenter leur projet devant 65 investisseurs français et internationaux. Ces derniers ont décidé d’attribuer le prix iVenture à Aniah, jeune pousse qui développe une technologie de vérification pour détecter et corriger les erreurs dès les premières étapes de conception de semi-conducteurs.
D’autres jeunes pousses étaient à l’honneur dans le «Village Décarbonation» pour mettre en avant des solutions concrètes qui protègent la planète. Parmi elles, il y avait notamment Sami, startup hébergée à la Climate House. Elle vient de racheter Good Steps, spécialiste du pilotage ESG et de la mise en conformité CSRD. Mais les startups n’étaient pas les seules à l’honneur puisque des grands groupes étaient aussi présents, à l’image de SNCF, TotalEnergies ou encore Hewlett Packard Enterprise. Le groupe américain proposait d’ailleurs une Learning Expedition pour visiter son site grenoblois, et en particulier son supercalculateur d’IA Champollion, développé avec Nvidia. On a pris part à cette visite et on peut vous dire que nos oreilles s’en souviennent encore !
Une 3e édition en 2026
Cette édition 2025 de Tech&Fest s’est achevée par l’intervention du militant écologiste Paul Watson, fondateur de Sea Shepherd, libéré récemment après une détention de cinq mois au Groenland. Puis pour tenir sa promesse de festival, c’est le duo Bon Entendeur qui s’est chargé de clôturer l’événement grenoblois.
Les organisateurs ont déjà prévenu que Tech&Fest reviendrait pour une troisième édition en 2026, qui devrait avoir un rayonnement plus international. Et pour cause, l’équipe derrière le rendez-vous grenoblois annonce que Tech&Fest accueillera l’an prochain le High Level Forum, un réseau international d’innovation dirigé par Julie Galland, directrice de la recherche technologique au CEA. En parallèle, une quarantaine de délégations scientifiques du monde entier sont attendues, issues de Stanford et du MIT aux États-Unis, d’Oxford en Angleterre, de Technion en Israël, ou encore des universités de Sydney et Tokyo.
Ce beau casting doit faire prendre une nouvelle envergure à l’événement phare pour l’écosystème d’innovation de l’arc alpin. «Cet événement prendra sa place entre le CES de Las Vegas, le MWC, VivaTech et d’autres rendez-vous», prédit Christophe Victor, directeur général du Dauphiné Libéré et co-fondateur de Tech &Fest. Le rendez-vous est donc pris pour l’année prochaine.