Thierry Breton est en forme. Après avoir quitté avec fracas la Commission européenne en septembre dernier à cause de ses mauvaises relations avec Ursula von der Leyen, l’ex-commissaire européen au marché intérieur, au numérique, à l’industrie et à la défense continue de défendre son bilan à Bruxelles et la souveraineté de l’Europe. L’ancien patron d’Atos, qui intègre en ce début d’année le conseil consultatif international de Bank of America, n’a pas manqué de le faire lors de son passage à Tech&Fest cette semaine, à Grenoble.

Celui qui a défendu de nouvelles réglementations de premier plan dans l’espace numérique (Digital Services Act, Digital Markets Act, AI Act…) durant son mandat à Bruxelles estime qu’il faut arrêter de dire que l’Europe est seulement capable de réguler et incapable d’innover. « Pour la première fois, un continent s’est levé et a exprimé sa volonté de reprendre le contrôle de son espace informationnel. Ces lois (DSA, DMA, etc., ndlr) sont faites pour protéger nos consommateurs et elles ont été votées à l’unanimité par les 27 États membres de l’Union européenne. Désormais, nous avons un marché unique de la donnée et du numérique en Europe », a observé Thierry Breton.

« Régulation et innovation ne sont pas antinomiques »

Aux yeux de l’ancien patron d’Atos, il est vital de se méfier des messages véhiculés par les leaders technologiques en dehors du Vieux Continent, notamment de l’autre côté de l’Atlantique. « La réglementation protège, mais elle n’empêche pas l’innovation. C’est une petite musique portée par les Gafam pour nous vassaliser. Mais attention à ceux qui s’apparent à des idiots utiles et qui véhiculent un message anti-européen, anti-souveraineté et anti-innovation. Dire que l’Europe n’innove pas, c’est une fake news. Soyez fiers de l’Europe, ne soyez pas des idiots utiles ! », a mis en garde Thierry Breton. Avant de citer un exemple pour justifier son propos : « Le pays le plus régulé au monde est la Chine et cela ne l’empêche pas de délivrer des innovations technologiques. Dans l’IA, ils ont quand même réussi à nous sortir DeepSeek. Ça veut peut-être dire que régulation et innovation ne sont pas antinomiques. »

Dans ce contexte, il a estimé que les Gafam doivent se plier aux règles européennes, surtout qu’ils ne peuvent se priver d’un marché potentiel de 450 millions de consommateurs. « C’est un marché 1,5 fois plus important qu’aux États-Unis. Ça ne leur plaît pas, mais il faut le garder coûte que coûte », a prévenu l’ex-commissaire européen. Ce dernier a appelé à arrêter de faire des concessions en permanence à Google, Amazon, Apple et consorts. « Les géants américains doivent comprendre qu’on roule à droite et pas à gauche en Europe. On a notre propre code de la route et ils doivent le respecter. S’ils roulent à droite, ils doivent changer leur volant. Notre démocratie est intangible et elle n’est pas à vendre », a lancé un Thierry Breton remonté comme un coucou.

« Il faut un marché unique de capitaux en Europe »

Si l’Europe doit être fière de ce qu’elle est et de ce qu’elle représente, l’ancien commissaire européen est cependant conscient qu’il reste beaucoup à faire pour améliorer l’attractivité du Vieux Continent. Il identifie un axe d’amélioration principal : le financement de l’écosystème tech. Un serpent de mer en France et dans le reste de l’Europe, où France Digitale appelle à la mise en place d’une initiative Tibi à l’échelle européenne.

« Ce qui nous manque, ce ne sont pas les talents, les entrepreneurs, les technologies ou les données. C’est d’avoir les moyens financiers pour accompagner le développement de nos projets », a ainsi reconnu Thierry Breton. Avant de poursuivre : « Le taux d’épargne européen est à 16 %. Aux États-Unis, il est de 6 %. Il n’y a pas photo : les Américains investissent dans la tech, ils prennent des risques. Dans ce contexte, l’objectif prioritaire est d’avoir un marché unique de capitaux. Et une fois qu’on aura cette Union européenne des capitaux, nous aurons tout ce qu’il faut pour s’engager dans la troisième phase technologique incarnée par l’envol de l’intelligence artificielle. » Charge maintenant à l’équipe d’Ursula von der Leyen, qui ne porte pas Thierry Breton dans son cœur, de réussir à changer le modèle européen de financement de la tech. Le défi sera de taille sur un continent qui a une plus forte aversion au risque que les États-Unis.