Dans la nuit du mercredi 2 avril 2025, Donald Trump a déclenché une onde de choc que nombre d’économistes n’hésitent pas à qualifier d’historique, tant sur le fond que sur la forme. En direct, l’ancien président américain a annoncé l’instauration de droits de douane de 10 % sur toutes les importations vers les États-Unis, accompagnés de surtaxes massives : 34 % sur les produits chinois, 24 % sur ceux du Japon, et 20 % pour les biens européens. Un coup de tonnerre dans un ciel déjà menaçant, qui a immédiatement fait chuter les marchés : -6 % pour le Nasdaq, -4,8 % pour le S&P 500, et un recul de 1,6 % du dollar face à l’euro.

“Actuellement, on est tous un peu dans un état de sidération”, résume Maya Noël, directrice générale de France Digitale. Les contours de la décision d'augmenter les droits de douane restent encore flous. Toutefois, la dépendance structurelle de la Tech européenne aux infrastructures et solutions américaines – cloud, SaaS, publicité – rend la secousse inquiétante. Cela dit, nuance-t-elle, seulement 20 % des startups françaises réalisent une part significative de leur chiffre d’affaires hors de l’Europe.

Un reflux attendu des investissements américains

Un constat partagé par Louis Sautet, partner chez Founders Future (fonds d’investissement de Marc Menasé, par ailleurs actionnaire de Maddyness), qui vient d’annoncer qu’il ouvrait un bureau aux Etats-Unis  : “Je ne pense pas que la tech sera le secteur le plus touché par ces annonces. Les marges brutes y sont excellentes, et les startups françaises sont déjà compétitives en prix sur le marché américain. On ne retrouvera pas les mêmes distorsions qu’avec les biens physiques.”

Pour autant, certains signaux doivent alerter. Louis Sautet identifie trois points de vigilance. Ainsi, il pourrait y avoir une possible réorientation des fonds américains vers des investissements domestiques. Cela signifie que les VC américains pourraient préférer investir dans des startups américaines qu'étrangères. De plus, il souligne qu'il pourrait y avoir une exposition indirecte des startups via leurs clients – notamment si elles ciblent des secteurs manufacturiers ou automobiles, particulièrement visés. Enfin, il explique qu'une hausse probable des coûts pourrait avoir lieu pour les startups qui intègrent des briques technologiques américaines, comme AWS ou OpenAI, et dont les infrastructures deviendront plus coûteuses à déployer.

Upela : l’anticipation pragmatique d’une PME en première ligne

Certaines startups, plus exposées, n’ont pas attendu le 2 avril pour réagir. Chez Upela, plateforme de logistique B2B, la tension est perceptible depuis déjà plusieurs mois. “Depuis la nomination de Trump en janvier, on a vu doubler le nombre de blocages douaniers vers et depuis les États-Unis, sans toujours en connaître la cause”, explique Rémi Lantieri-Jullien, porte-parole et directeur marketing de la plateforme. Luxe, viticulture, pièces détachées automobiles : les secteurs les plus impactés sont identifiés.

Conscient du tournant, Upela a entamé un recentrage stratégique dès le début de l’année : “L’Allemagne est devenue notre premier marché, suivie de l’Espagne. On a aussi ouvert la Belgique pour diversifier nos relais de croissance.” Une réorganisation dictée par la réalité du terrain. Lors de la dernière Fashion Week parisienne, l’équipe d’Upela a dû mobiliser en urgence une cellule pour débloquer une livraison express d’un créateur, coincée à la douane. “C’est ce type de réactivité qui fait la différence pour nos clients aujourd’hui.”

Un point de friction persiste toutefois : l'absence de lien direct avec les services douaniers. « On échange avec les transporteurs, mais pas avec les douanes. Il y a des informations qu’on pourrait relayer à nos clients pour éviter des erreurs ou des blocages, si on avait les bons interlocuteurs. »

Construire une souveraineté sans repli

Du côté de France Digitale, cette crise vient renforcer un diagnostic posé de longue date : l’Europe ne peut plus se contenter d’un rôle passif sur la scène technologique mondiale. Le Digital Markets Act, entré en vigueur en mars 2024, a marqué une première étape en encadrant les pratiques des géants du numérique. Mais Maya Noël appelle à aller plus loin : “Il faut un vrai bonus européen dans la commande publique, pour favoriser les solutions qui respectent nos standards environnementaux, sociaux et géopolitiques. Ce n’est pas du protectionnisme, insiste-t-elle, mais du réalisme stratégique.”

Une position alignée avec celle de Christine Lagarde, présidente de la BCE, qui a évoqué “un moment décisif pour accélérer l’indépendance stratégique de l’Europe”. “Ce que nous vivons, conclut Maya Noël, c’est un réveil brutal. Le constat est posé depuis des années. Il est temps d’agir.”