C’est l’histoire d’un classique dans le monde de la tech : une startup vient bousculer l’ordre établi d’un secteur d’activité composé d’acteurs installés. En 2016, la legaltech française Doctrine, spécialisée dans la recherche juridique, se lance et vient concurrencer les géants de l’édition juridique comme Dalloz, Lexbase, LexisNexis, Lextenso et Lamy Liaisons. Résultat : des parts de marché gagnées et un procès intenté contre la startup par ces cinq grands acteurs.

Ces derniers reprochent à Forseti, la société mère de Doctrine, d’avoir constitué sa base de données, composée de millions de décisions de justice, illicitement et de manière déloyale. Pour rappel, Doctrine permet à ses clients abonnés, des avocats, des juristes et des professionnels du droit et de l'assurance, d’avoir accès à un grand nombre de décisions de justice. Les éditeurs juridiques l’assignent donc pour «concurrence déloyale, pratiques commerciales trompeuses et parasitisme ». « Les cinq éditeurs font feu de tout bois depuis 9 ans pour nous déstabiliser. Quand on avait un an d’existence, on avait littéralement plus de mises en demeure que de clients », affirme Guillaume Carrère, CEO de Doctrine.

Des amendes de 40 000 à 50 000 euros

Après une première décision rendue par le tribunal de commerce en 2023, qui exonère de toute responsabilité la startup, la cour d’appel de Paris vient de statuer mercredi dernier. Contrairement au tribunal de commerce, elle estime qu’il « existe des présomptions graves, précises et concordantes démontrant que Forseti s’est procuré des centaines de milliers de décisions de justice des tribunaux judiciaires de première instance, des milliers de décisions de justice des tribunaux administratifs, et trois millions de décisions de tribunaux de commerce de manière illicite ».

Elle condamne Doctrine verser à chacun des plaignants une somme de 40 000 ou 50 000 euros, « en réparation du préjudice subi pour concurrence déloyale ». Cependant, la cour d’appel, n’estime pas que Forseti ait commis des actes relevant de pratiques commerciales trompeuses ou du parasitisme commercial. « Nous prenons une amende. Nous avons été flashé pour un excès de vitesse, mais on ne nous a pas retiré nos points », réagit Guillaume Carrère. La collecte des décisions judiciaires par Doctrine a eu lieu entre 2016 et 2019. Or, « le décret de la loi pour une république numérique de 2016, n'a été publié qu'en 2020 », se défend Guillaume Carrère.

Pas de pourvoi en cassation

Malgré cette condamnation, Guillaume Carrère s'avoue « soulagé ». « La Cour d'appel a confirmé que nous pouvions garder 100% de nos décisions, car elles sont publiques, et a reconnu la qualité de nos pratiques en matière de sécurité et de confidentialité depuis 2019. Les éditeurs ont été débouté de 80% de leurs demandes » poursuit le chef d'entreprise. L’entreprise souhaite ainsi « passer à autre chose ». Elle ne forme pas de pourvoi en cassation et préfère en rester là. Elle devra tout de même publier le jugement sur sa page d’accueil pendant 60 jours.

« Si l’on prend une seconde de la hauteur, qu’est-ce que cette affaire dit ? Pendant 200 ans, les éditeurs ont pu évoluer sans être concurrencés. En moins de 9 ans, nous avons bouleversé le marché grâce à notre technologie. Nous avons dicté les tendances de l’IA juridique. C’est normal que les éditeurs considèrent que nous avançons trop vite pour eux et tentent par tous les moyens de ralentir notre croissance en lançant des opérations de déstabilisation médiatique et judiciaire et en faisant des amalgames », met en avant Guillaume Carrère. Le dirigeant fait ici référence à une décision qui sera rendue ce vendredi par le tribunal correctionnel. Un ancien salarié de Doctrine est poursuivi pour « escroquerie » et « extraction illégale de données issues de systèmes de traitement automatisé de l’Etat ».

« Les éditeurs juridiques font volontairement l’amalgame entre la décision rendue mercredi dernier, dans le cadre d’une procédure civile qui nous oppose et une à venir au pénal pour laquelle Doctrine a été mise hors de cause. Leur stratégie est d’instrumentaliser sur cet amalgame pour freiner notre croissance et notre développement. »

L’entreprise, qui a été rachetée par le fonds américain Summit Partners en 2023, et qui est soutenue par Peugeot Invest, est rentable depuis quatre ans. Elle emploie 190 salariés en France. Elle compte encore accélérer à l’international. Elle se développe déjà en Europe, en Italie et en Allemagne et envisage « prochainement » de potentiels rachats d’entreprises.