Les GPU (Graphics Processing Units) sont devenus les moteurs fondamentaux de l’intelligence artificielle moderne. Leur capacité à exécuter des milliers d'opérations matricielles en parallèle les rend incontournables pour l'entraînement comme pour l’inférence des modèles de deep learning. Aujourd’hui, 98 % des GPU utilisés dans les data centers IA sont fournis par Nvidia, qui verrouille également l’écosystème logiciel via sa plateforme CUDA.

L'Europe ne maîtrise ni la production des GPU ni leur chaîne d’approvisionnement. Une seule usine de TSMC à Taïwan fabrique ces puces critiques. En 2024, Google, Meta et Amazon ont capté trois quarts de la production. La Chine, quant à elle, augmente fortement ses demandes en GPU ces dernières semaines pour sécuriser ses commandes. Résultat : les acteurs européens, publics comme privés, peinent à accéder à ces ressources stratégiques, avec des conséquences dramatiques. L’accès au cloud ? Verrouillé, car sans GPU, pas de calcul intensif, et sans calcul intensif, impossible de faire tourner les modèles d’IA sur le cloud. Les quotas ? Rationnés. Les projets ? Ralentis, voire abandonnés.

Un cap européen à affirmer pour une IA souveraine

Les risques sont multiples. Ils sont d’abord géopolitiques, car un embargo américain pourrait exclure une partie de l’Europe de l’accès aux GPUs de dernière génération. Ils sont aussi technologiques, car sans capacité locale, l’Europe ne peut concevoir, tester, ni faire émerger ses propres innovations. Enfin, ils sont économiques, les entreprises européennes sont condamnées à sous-performer face à des concurrents mieux équipés.

L’Europe a amorcé plusieurs initiatives structurantes pour reprendre la main sur ses infrastructures numériques. Le programme EuroHPC vise à déployer des supercalculateurs de rang mondial sur le continent, tandis que le Chips Act ambitionne de doubler la part européenne dans la production mondiale de semi-conducteurs d’ici 2030. À l’échelle nationale, le plan France 2030, doté de 109 milliards d’euros, prévoit d’importants investissements dans l’innovation, incluant les infrastructures d’intelligence artificielle.

Sur le terrain, ces projets bénéficient principalement aux géants industriels et aux institutions de recherche. On peut le regretter. Les startups, PME et éditeurs, pourtant au cœur de l’innovation, peinent à accéder aux ressources, aux financements, ou même à l’information. Une souveraineté technologique européenne ne peut se construire sans eux.

Il devient urgent de réorienter l’effort vers un bénéfice plus collectif. Cela suppose de massifier et territorialiser les capacités de calcul à travers un cloud souverain européen, plus distribué, plus accessible. Il faut également garantir un accès effectif à ces infrastructures avancées pour les petites structures, via des quotas réservés et des crédits cloud, pour ne pas laisser l’innovation dépendre de la taille critique.

Par ailleurs, la sécurité de l’approvisionnement passe aussi par des partenariats stratégiques avec les fondeurs mondiaux et les hyperscalers. Enfin, aucune indépendance n’est possible sans un écosystème logiciel robuste, libre, et interopérable. L’open source doit devenir un pilier central de la stratégie européenne.

Explorer des alternatives aux GPU

Pour briser cette dépendance, l’Europe doit aussi investir dans des architectures matérielles alternatives. Elles existent ! Par exemple, le Britannique Graphcore propose des IPU (Intelligent Processing Units), conçues dès l’origine pour l’IA, avec une architecture plus économe en énergie, et performante sur certaines charges spécifiques. De son côté, la startup française LightOn développe des OPU (Optical Processing Units), qui exploitent la lumière pour exécuter les calculs matriciels à très haute vitesse, ouvrant la voie à de nouveaux paradigmes en calcul intensif.Ces technologies sont encore jeunes, mais elles dessinent des voies concrètes pour construire une filière matérielle souveraine, adaptée aux besoins de l’IA de demain.

Une IA européenne souveraine n’est pas une utopie. Mais elle repose sur des choix industriels, une vision politique, et une gouvernance ouverte. Laisser les cartes aux seuls géants américains ou asiatiques, c’est faire une croix sur notre indépendance technologique et nos capacités d’innovation. Pour disposer d’une souveraineté en matière d’IA, l’Europe doit donc agir, vite, et avec plus d’audace.