« Le dataïsme, c’est l’appréhension du monde selon un gros flot de données. Cela entraîne des changements en profondeur qui altèrent nos rapports aux autres, à soi, et même à la vie démocratique. » Ce mercredi 14 mai, Laurent Darmon, directeur de l'innovation au Crédit Agricole, directeur général de La Fabrique by CA (le startup studio de la banque) et docteur en sciences de l'information et de la communication, sort son livre aujourd’hui « Bienvenue dans le dataïsme. » Selon lui, nous avons basculé dans une nouvelle ère, celle des données, qui intervient après l'ère religieuse et l'ère scientifique. « Et nous commençons tous à y adhérer, consciemment ou inconsciemment », estime-t-il. « Nous sommes conscients d’être équipés d’objets connectés qui mesurent notre rythme cardiaque et tout un tas de données par exemple. Mais moins conscients de nourrir des algorithmes en notant des films ou en « likant » des photos sur les réseaux sociaux », détaille-t-il.
Pour l’auteur, cette nouvelle ère comprend de nombreux avantages. « Nous sommes en train de passer d’une médecine « prêt à porter », où tout le monde prend le même dosage, pendant le même nombre de jours à une médecine quasi sur-mesure, qui s’adapte aux patients », illustre par exemple Laurent Darmon. Selon lui, l’éducation est également en pleine transformation. « On est appelé aujourd'hui à prendre beaucoup plus en compte les besoins des enfants, et leurs éventuels troubles. »
« Chacun peut faire le buzz dans sa communauté voire au-delà »
Pour autant, les bouleversements liés au dataïsme ne sont pas sans danger. « En matière d’information par exemple, il existait jusque-là des intermédiaires, qui filtraient l'information, la triaient, avant que cette dernière n’arrive dans la sphère publique. Aujourd’hui, tout cela vole en éclat. Chacun d’entre nous peut faire le buzz dans sa communauté voire au-delà », souligne Laurent Darmon.
Un phénomène qui génère une « altération de la vérité », selon l’auteur. « Nous sommes de plus en plus sensibles au vraisemblable. L’information qui génère de l’émotion l’emporte sur l’information véridique. Et l’intelligence artificielle a tendance à privilégier ce qui est source d’émotions. » Dans son ouvrage, Laurent Darmon pointe par ailleurs l’anonymat sur les réseaux sociaux, qui en fait parfois des zones de non droit. « Tout ce qu’on ne tolérait pas dans la société classique est aujourd’hui possible sur le web. Le principe d’anonymisation doit être interrogé. Car la liberté d’expression ne permet pas la diffamation. Pour autant, il devient très compliqué d’appliquer la loi quand les personnes sont anonymes », poursuit-il.
« On commence à vivre dans une autre version de nous-même »
Sur le plan humain, le dataïsme rendrait la population beaucoup plus autocentrée. « L’humain a, de base, une tendance égocentrique. Tous les outils connectés ont du succès puisqu’ils permettent de tout mesurer sur soi. Aujourd’hui il existe même des “body connectés” pour bébé, dotés de capteurs pour surveiller l’état de santé du nourrisson en temps réel. On commence à vivre dans une autre version de nous-même », estime l’auteur qui prend aussi pour exemple la mise en scène des internautes sur les réseaux sociaux.
Selon lui, à l’ère de la religion, Dieu était la réponse à tous nos questionnements sur le Pourquoi quand l’ère de la science a permis de répondre à nos interrogations sur le Comment. Dans l’ère du dataïsme, on s’intéresse uniquement au résultat. « Waze en est la caricature. Peu importe si le trajet proposé est optimal, cela m’enlève une charge mentale. Même si cela implique d’abandonner mon libre arbitre. » D’une certaine manière, les algorithmes réduisent donc « la logique de liberté », estime Laurent Darmon.
« L’Europe a assez de poids pour réguler les choses »
Heureusement, des solutions existent pour défendre la vérité et ne pas sombrer dans un monde totalement déshumanisé. « Pour lutter contre les fake news, on peut s’appuyer sur la vérification collaborative. Les producteurs d’algorithmes peuvent par ailleurs adapter leurs contenus en rendant les informations fausses moins virales. »
D’un point de vue global, de nouvelles réglementations devraient également permettre de rééquilibrer les choses. « C’est un sujet qui doit être appréhendé au moins au niveau européen. Il faut trouver la juste mesure pour ne pas qu’il y ait d’effet de rejet mais l’Europe a assez de poids au niveau international pour réguler les choses. »
Laurent Darmon, Bienvenue dans le dataïsme, Editions de la Rémanence - 262 pages - 18 €