Les deeptechs ont pris leur place sur le marché français. Reste à savoir si elles vont réussir à la conserver… Portées par le plan deeptech, lancé par l’Etat en 2019, puis par la création de l’association France Deeptech quatre ans plus tard, ces jeunes pousses innovantes ont réussi à attirer un nombre croissant d’investisseurs. Selon les données de Bpifrance, elles ont ainsi levé plus de 4 Md€ en 2023, soit quatre fois plus qu’en 2018, tandis que sur la même période, le nombre de création de ces start-ups a doublé chaque année. Un engouement qui se conjugue souvent à celui suscité par la finance à impact.
La technologie au service de l’impact
Que ce soit via des solutions de stockage d’énergie, de captation et de valorisation de carbone, ou encore avec les futures applications offertes par l’informatique quantique, beaucoup de deeptechs mettent leur technologie de rupture au service des enjeux environnementaux et sociétaux. C’est le cas par exemple de Fairbrics qui a mis au point un procédé pour transformer le CO2 en polyester. Ce dernier est ensuite utilisé pour la confection de vêtements ou la production d’emballages. La puissance de calcul promise par les ordinateurs quantiques, sur lesquels planchent notamment Alice & Bob (100 M€ levés en début d’année) et Pasqal (100 M€ collectés en 2023), offre quant à elle de nombreuses perspectives d’applications, que ce soit dans le domaine médical ou environnemental. Le quantique peut ainsi faciliter le développement de nouvelles molécules mais aussi améliorer la modélisation des prévisions climatiques.
Ces quelques exemples, parmi d’autres, illustrent la valeur ajoutée extra-financière des deeptechs. Mais si ces dernières ont la capacité de contribuer à une économie plus durable, elles nécessitent, pour se développer, d’importants investissements pour permettre notamment d’assurer la R&D. Des financements conséquents à obtenir auprès d’actionnaires patients, de nombreuses années pouvant être nécessaires avant de traduire ces travaux en chiffre d’affaires significatif.
Le retrait des Etats-Unis : une opportunité pour l’Europe
Or, bien que les enjeux liés au changement climatique soient toujours aussi prégnants, la réélection de Donald Trump, connu pour ses positions en faveur des énergies fossiles symbolisées par le slogan « drill, baby drill », pourrait mettre un coup de frein à ce mouvement. Plusieurs acteurs financiers américains ont ainsi fait marche arrière, à l’image de BlackRock qui s’est retiré de Net Zero Asset Managers, une alliance de gestionnaires d’actifs engagés en faveur de la neutralité carbone. Il est par ailleurs probable que les fonds américains, encore positionnés sur le domaine des deeptechs, privilégient fortement les projets locaux suivant la politique « America First » promue Outre-Atlantique.
Le recul des investisseurs américains sur ces sujets représente ainsi un défi pour l’ensemble de l’écosystème. Quelle sera la réaction de leurs homologues européens ? Vont-ils continuer de financer les deeptechs, dont l’activité basée généralement sur du hardware, s’avère très capitalistique ? L’Europe a certainement un rôle à jouer sur ce sujet puisqu’elle concentre déjà 22 % des montants levés par les deeptechs au niveau mondial. En continuant d’accompagner ces sociétés innovantes, elle s’offre l’opportunité de faire émerger les futurs leaders des technologies de demain. La France dispose de tous les atouts nécessaires pour participer à la construction de cet écosystème. Elle bénéficie notamment d’une avance scientifique dans certains domaines, comme celui de l’énergie nucléaire. Le 12 février dernier, les équipes du CEA (Commissariat à l'Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives) ont établi un record mondial en réussissant à maintenir un plasma en fusion plus de 22 minutes, dépassant ainsi de 25 % le précédent record de durée enregistré par les Chinois. Une avancée importante pour le sujet de la fusion nucléaire, comme future source d’énergie, auquel s’attelle également Renaissance Fusion, une start-up grenobloise qui vient de collecter 32 M€.
Ensemble, acteurs privés et publics ont la possibilité d’accompagner ces projets de rupture dont la réussite alimentera le développement des économies européennes et mondiale à moyen et long terme. A l’image du secteur de la défense, qui fait désormais l’objet d’une approche coordonnée entre les Etats membres de l’UE, la deeptech a besoin d’un soutien massif de la part des Européens, en mobilisant les investisseurs financiers et les partenaires publics, afin de faire éclore les champions technologiques de demain. C’est une opportunité pour l’Europe, qu’elle ne devrait pas rater.