À l’heure où la dépense publique et la complexité administrative pèsent sur la compétitivité, sa voix a résonné comme un appel à l’action, à destination de celles et ceux qui créent, innovent et recrutent. Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation IFRAP, a donné le ton devant 120 décideurs RH réunis à l’occasion d’un dîner-débat organisé par Cercle Humania. La France, rappelle-t-elle, supporte un écart de 157 milliards d’euros de prélèvements obligatoires par rapport à la moyenne de la zone euro, « principalement porté par les entreprises ».
Mais soucieuse de ne pas être cataloguée d’oiseau de mauvais augure, elle ajoute : « On nous reproche de ne pas donner de messages positifs. Mais c’est complètement faux : nous sommes à la Fondation en réalité très optimistes. Nous avons énormément de talents en France, mais nous les bridons, nous les empêchons de se déployer et de se concrétiser. On peut choisir d’avoir moins de dépenses publiques, moins de déficits, moins d’aides, moins de charges, moins d’impôts sur les entreprises et sur le travail. On peut aussi décider d’avoir moins de normes, moins de réglementations, moins d’obstacles au développement industriel sur notre territoire. C’est possible ! C’est ce que j’ai voulu dire au président de la République : il suffit de le décider. »
Agnès Verdier-Molinié alerte sur une “crise de la dette”
Elle n’a pour autant pas éludé la gravité de la situation : « Si on continue comme ça, on risque d’avoir une crise de la dette. Est-ce qu’on veut attendre que le FMI vienne nous imposer ses solutions, ou est-ce que nous souhaitons décider nous-mêmes ? »
Agnès Verdier-Molinié a d’ailleurs rappelé que nous n’étions pas les premiers à passer un moment difficile. “Beaucoup de pays ont traversé des périodes où ils ont dû freiner fortement la dépense publique, confrontés à une dette galopante. C’est arrivé en Suède, aux Pays-Bas, au Portugal, en Irlande, en Grèce… Ces pays ont fait des choix pour renforcer la solidité de leurs finances publiques, en plaçant le travail au cœur de leur modèle. Le modèle social ne tient que si le travail en est le fil conducteur. Pour financer notre modèle social, il faut des entreprises qui créent de l’activité, qui se développent. Sans entreprises, sans salariés, il n’y a tout simplement pas de financements pour l’État, les collectivités ou la Sécurité sociale.”
Un rappel salutaire pour l’écosystème startup, souvent confronté à la difficulté d’attirer et de fidéliser les talents.
Le président Emmanuel Macron “évite les sujets qui fâchent”
La directrice de l’IFRAP a ensuite invité l’audience à se questionner sur le fléchage des dépenses. “Où les dépenses publiques s’envolent-elles ? Principalement sur le social et le local. La vraie question c’est : veut-on dépenser moins ? Est-on prêt à ouvrir la boîte noire de la dépense publique ? Sous Nicolas Sarkozy, il y a eu la révision générale des politiques publiques. Sous François Hollande, la modernisation de l’action publique. Arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron a lancé Cap 2022, avec un rapport rédigé par des experts brillants… Ce rapport n’a jamais été assumé ni vraiment publié. On évite les sujets qui fâchent. Nous attendons une remise à plat de l’organisation publique. Nul besoin d’être un expert pour voir qu’il y a des doublons partout, et donc des fuites de dépenses à tous les niveaux.”
Un discours qui fait écho aux préoccupations actuelles des entrepreneurs et investisseurs qui soulignent l’importance d’une gestion efficace des finances publiques pour préserver les dispositifs qui soutiennent l’innovation et la compétitivité, tout en appelant à une réforme structurelle qui éviterait que les startups ne soient les premières victimes des arbitrages budgétaires.
Entre les lignes du discours d’Agnès Verdier Molinié, il était possible de voir une injonction à l’action destinée à toutes les organisations. “Prendre ses responsabilités aujourd’hui, c’est beaucoup plus évident que de voir quelqu’un d’autre nous imposer des mesures plus sévères.”
Et pour cause, de la même manière qu’un pays doit anticiper et prendre ses responsabilités pour éviter une intervention extérieure douloureuse, comme celle du FMI, une entreprise ou une startup doit agir en amont pour rester maîtresse de son destin, éviter que des investisseurs n’imposent des décisions drastiques ou de subir une dilution massive lors d’une levée de fonds en situation de faiblesse.
Fiscalité, fuite des talents : l’alerte entrepreneuriale
La directrice de l’iFRAP souligne les effets pervers d’une fiscalité jugée punitive : « Taxer uniquement les plus riches ne résoudra pas les problèmes financiers de la France. Cette approche risque d’encourager encore plus les entrepreneurs à quitter le pays. » Depuis juin 2024, elle observe une multiplication des départs d’entrepreneurs, un signal d’alarme pour l’innovation française.
Dans la salle, plusieurs acquiescent : la compétitivité fiscale demeure un enjeu central, et la crainte de voir talents et capitaux s’exiler est désormais bien réelle.
Mais cette inquiétude mérite d’être nuancée. Le sommet Choose France, la semaine dernière, a rappelé que le pays reste attractif : de nombreux entrepreneurs réussissent, et la France conserve de solides atouts, notamment ses infrastructures, son système éducatif et sa recherche. Par ailleurs, la dynamique entrepreneuriale ne faiblit pas, avec un nombre record de créations d’entreprises en 2024.
Halte au millefeuille
Autre cheval de bataille pour Agnès Verdier-Molinié : la rationalisation des collectivités locales. « Rien qu’en Île-de-France, on compte cinq strates administratives et 30 000 élus, autant que dans tout le Royaume-Uni !. » Elle estime à 8 milliards d’euros par an les économies possibles en alignant les dépenses de fonctionnement des collectivités sur la moyenne nationale, et jusqu’à 30 milliards en visant les 10 % les mieux gérées.
Pour les startups et scale-ups, souvent freinées par la complexité des démarches et la lenteur des circuits décisionnels, la simplification administrative devient aussi un enjeu de croissance. « On doit arrêter d’empêcher les entreprises de se développer », martèle-t-elle.
La soirée s’est conclue sur des échanges nourris, preuve que ces sujets touchent au cœur des préoccupations de l’entreprise quelle que soit sa taille ou sa proposition de valeur. Le Cercle Humania donne déjà rendez-vous à ses membres le 2 juillet prochain, pour un dîner-débat en présence du Général Marc Boget.
L’occasion, une fois encore, de croiser les regards entre décideurs et de continuer à dessiner les contours d’une France plus agile, plus entrepreneuriale, et résolument tournée vers l’avenir.