Moins prisée que la création de startups, la reprise d’entreprise est pourtant une véritable opportunité pour les entrepreneurs chevronnés. Ce marché a d’ailleurs connu une hausse de 10% en 2024 par rapport à l’année précédente, selon Bpifrance. Cedric Meston, lui, ne se contente pas de reprendre des entreprises florissantes après un départ en retraite. Son créneau, c’est la reprise d’entreprises en difficulté. Le fondateur d’Happyvore vient tout juste de relancer la marque Tupperware en France, un nom qui a fait sa place dans les quotidiens des consommateurs.

Tupperware est en réalité la cinquième entreprise que Cédric Meston et ses associés s’attachent à remettre sur les bons rails. Il révèle d’ailleurs dans cet entretien avoir créé une structure indépendante, baptisée Revive, et pleinement dédiée à la relance d'entreprises en sauvegarde judiciaire, enregistrant un chiffre d'affaires de maximum 200 millions d'euros. Cedric Meston revient aussi sur les prémices et les objectifs du dossier Tupperware et détaille sa vision du marché de la reprise.

Maddyness : Pourquoi avez-vous pris la décision de quitter HappyVore en début d’année ?

Cedric Meston : Les projets de relance d’entreprises en difficulté m’ont toujours passionné. Lorsqu’ils sont bien menés, ils permettent de sauver durablement des emplois et des actifs. J'ai notamment aidé un ami à reprendre Jay & Joy, le leader du fromage végétal, et je me suis dit : “On n’a qu’une vie et c’est ma passion.” J'ai donc décidé de quitter HappyVore pour m’y consacrer pleinement. Il y a peu de personnes ayant une grande expérience dans la restructuration et connaissant parfaitement les défis liés à la reprise d’une entreprise, à sa relance, ainsi que les problématiques spécifiques aux procédures collectives. Lorsqu’on maîtrise bien ce sujet et qu'on l’aborde de manière positive, on peut avoir un impact significatif et rapide sur des projets. Moi c'est ça qui me drive et qui me motive. 

Pourquoi Tupperware ? Comment avez-vous mis la main sur le dossier de cette marque iconique ?

Tupperware est en fait la cinquième entreprise que je reprends à la barre du tribunal, avec d’autres entrepreneurs. Au fil du temps, nous avons acquis une légitimité auprès du tribunal de commerce et des administrateurs. Le groupe Tupperware a subi un fort impact du Covid, particulièrement sur les réunions Tupperware, qui étaient une composante essentielle du modèle économique. Parallèlement, l'entreprise était très peu digitalisée ; à notre arrivée, des ventes se réalisaient encore avec des bons de commande papier !

Le groupe est passé de 4 milliards à 2 milliards de chiffre d'affaires entre 2020 et 2024. Fin 2024, Tupperware est entré en redressement judiciaire aux États-Unis et un fonds a racheté la marque. Toutes les filiales européennes se sont retrouvées soit en redressement, soit en liquidation. C'est à ce moment que j'ai pris contact avec le management de Tupperware. Nous avons négocié un accord pour céder les moules encore utilisés et obtenir une licence exclusive pour distribuer les produits de la marque Tupperware dans cinq pays européens : la France, l'Allemagne, la Belgique, la Pologne et l'Italie.

À ce stade, nous pouvions distribuer les produits, mais il ne nous restait plus rien d’autre, aucun système logistique. Nous avons donc relancé l’entreprise avec de nouveaux outils, en intégrant l’intelligence artificielle, l’automatisation ou encore des applications dédiées. Par exemple, les vendeuses Tupperware disposent désormais d'une application sur leur téléphone avec le catalogue, leur permettant de vendre directement.

Il y a 10 jours, nous avons déposé le plan de sauvegarde au tribunal de commerce de Nanterre. La procédure est en cours et notre objectif est de sortir de la procédure collective d'ici fin juin.

C'était important pour vous de garder un réseau de vendeurs indépendants ?

Oui, absolument. Il est crucial de préserver ce qui fonctionne bien. Et la force de Tupperware, c'était ce réseau de vente. Derrière ce réseau, il y a 20 000 vendeurs et vendeuses qui dépendent de la marque Tupperware pour vivre, et qui ne travaillaient plus depuis trois mois. Notre priorité numéro un, dès que nous avons repris l'entreprise, était de relancer ce réseau de vente qui était à l’arrêt. C’est pourquoi nous n'avons pas d'abord priorisé les enseignes de grande distribution ; nous les aborderons dans un second temps.

Quels ont été les retours du réseau de vendeurs Tupperware suite à la reprise ? Vous avez dû avoir des messages émouvants…

Oui, c'était vraiment très émouvant, franchement c'était exceptionnel ! Chaque projet, d'un point de vue humain, est toujours extrêmement fort. Lorsqu'une entreprise se trouve dans cette situation, qu'elle sait qu'elle risque de disparaître, l'engagement devient profond. Ce qui me motive, c’est de faire en sorte que cela fonctionne et de maximiser la situation pour toutes les parties. Nous reprenons Tupperware, mais notre objectif n’est pas de remplacer le comité de direction, mais plutôt d’apporter de la valeur. Il n'y a pas de question d'ego ; si nous ne servons à rien, nous partons.

Est-ce que vous voyez des points communs entre HappyVore et Tupperware ? 

Énormément. Avec HappyVore, je négociais avec la grande distribution, tandis qu’aujourd’hui, je négocie pour réduire les dettes ! Mais au fond, c’est la même compétence.

Vous envisagez de reprendre d’autres entreprises ?

Derrière Tupperware, Jay & Joy et les projets à venir, j’ai créé une structure indépendante, appelée Revive, dédiée à la reprise et à la relance d’entreprises en difficulté. L'objectif est de réengager les équipes tout en préservant les actifs. J’ai réuni autour de moi une petite dizaine d'anciens entrepreneurs spécialisés dans la reprise, avec des compétences sur des problématiques très spécifiques, comme les ressources humaines. Notre défi est de capitaliser sur cette équipe pour reprendre des entreprises en difficulté, avec un chiffre d'affaires allant jusqu’à 200 millions d'euros, comme nous venons de le faire avec Tupperware.

Quelle place occupe la reprise d’entreprises dans l’économie globale, comment vous engagez-vous ?

Nous assistons à un changement de paradigme économique qui entraîne des difficultés accrues pour certains secteurs. De ce fait, de nombreuses entreprises se retrouvent en procédure collective. Plus spécifiquement, dans l’écosystème des startups, on observe une forte création d’entreprises avec d’importants investissements, où les entrepreneurs étaient initialement très focalisés sur la croissance du chiffre d'affaires, avec une vision secondaire de l’EBITDA. Ce modèle a beaucoup évolué ; il est désormais bien plus difficile à défendre et à financer, car l'argent est devenu beaucoup plus "cher". Cependant, de nombreuses entreprises possèdent de très beaux actifs, des innovations, du développement et de la recherche, mais se retrouvent néanmoins en redressement. C’est une grande perte, car si le modèle et le mode opératoire avaient été différents, ces entreprises auraient pu prospérer. Cela a été le cas pour Jay & Joy et Les Nouveaux Affineurs, qui avaient derrière elles des usines en France et plusieurs années de R&D.

Au final, très peu de personnes savent comment relancer une entreprise, comment la reprendre, ou comment savoir si cela en vaut la peine. C’est pourquoi nous allons lancer France Reprise : l’idée est de centraliser toutes les informations pour accompagner les repreneurs, en leur fournissant chaque semaine une liste des nouvelles opportunités, grâce à des partenariats avec différents acteurs de la reprise en France. Ce projet vise aussi à créer une communauté, car beaucoup de repreneurs sont isolés. L’objectif est de leur permettre d’échanger, de discuter et de les accompagner avec des outils adaptés. Il y a actuellement 60 000 entreprises à reprendre, et notre ambition est d’aider autant que possible les futurs repreneurs.

Quel est votre regard sur le fonctionnement des tribunaux de commerce et le rôle des mandataires judiciaires ? Font-ils bien leur job ? 

Le système de procédure collective français est véritablement exceptionnel, car il permet, à chaque étape d'une entreprise en difficulté, de sauver et de revendre son activité. Il existe trois niveaux : la sauvegarde, la liquidation et le redressement. La sauvegarde est assez spécifique à la France, bien que d’autres pays la proposent également. Personnellement, j’essaie de privilégier les accompagnements en sauvegarde, car elle permet un plan de continuation, où l’on reprend l’entreprise dans son intégralité, avec ses dettes.

Le problème du redressement et de la liquidation, c’est qu’on ne reprend que des actifs. On crée alors une nouvelle société, mais on ne reprend pas les dettes, ce qui engendre souvent des réactions en chaîne, notamment pour les fournisseurs.

Ce que je trouve un peu dommage, bien que cela tende à évoluer, c’est que ce système n’est pas toujours entrepreneur-friendly. Les parties prenantes dans les procédures collectives, et c’est normal, défendent avant tout les intérêts de l’État et des créanciers, ce qui n’est pas toujours simple pour les entrepreneurs. Il faut avoir une peau de rhinocéros, il faut savoir se défendre. C’est d’ailleurs l’un des freins qui rend ce domaine difficile à aborder pour les nouveaux entrepreneurs.

Existe-t-il des moments où vous considérez qu'il est vain de poursuivre le redressement d'une entreprise ?

C’est tout l’inverse, il ne faut surtout pas y aller dans ces cas-là ! Franchement, il y a des entreprises qui ne méritent pas d’exister. Elles ne créent pas de valeur, ont été montées avec beaucoup d’argent sur des valorisations irrationnelles, et structurellement, elles ne peuvent pas gagner d’argent. Et là, il ne faut pas y aller car on ne peut pas les sauver. En revanche, lorsqu’on reprend une entreprise, c’est pour gagner, pas pour se planter trois mois, six mois plus tard. C’est une énorme responsabilité, c’est un engagement qu’on prend vis à vis du tribunal, de l’administration, des créanciers, des employés. Nous n’avons pas droit à l’erreur.