Parmi les articles de la nouvelle loi dite « de simplification de la vie économique », un article vise à simplifier l'implantation de datacenters sur le territoire. Cette loi représente une volonté manifeste du gouvernement de soutenir la souveraineté de son économie numérique, dont les datacenters sont un élément clé, pour encourager sa croissance, son attractivité, sa compétitivité mais aussi son autonomie face aux mastodontes américains et, plus généralement, aux acteurs hors UE. Un projet qui semble primordial aux vues du contexte géopolitique actuel et des annonces venant d’Outre-Atlantique. Cependant, certains aspects dans la proposition de loi restent encore à préciser.
Autorisations préfectorales et implications locales
L'un des changements les plus notables apportés par cette loi est le transfert du pouvoir d’autorisation des municipalités aux préfets. En effet, ce ne sont plus les municipalités qui auront la main sur les décisions relatives à l’implantation des datacenters, ce qui pourrait provoquer des résistances locales, engendrer un décalage entre les intérêts économiques et les préoccupations des habitants. En outre, certains éléments sont encore flous : le préfet pourra-t-il « outrepasser les lois d'urbanisme » et les contraintes écologiques ? Cela soulève la question d'une possible discordance entre développement économique et protection de l’environnement, notamment s'il faut choisir entre la construction d'un datacenter et la préservation d'espèces protégées.
Accès au statut PIINM
Pour bénéficier de cette simplification d’implantation, les datacenters devront avoir le statut PIINM (projet industriel d’intérêt national majeur). Or les critères d'évaluation permettant d’accéder à ce statut ne sont pas clairement définis. Quels acteurs pourront réellement en profiter ? Des acteurs de proximité comme PHOCEA DC seront-ils concernés ? Ou bien seules les grandes entreprises capables de faire face à la demande du marché IA seront-elles retenues ? Cela soulève une véritable inquiétude concernant la place des acteurs locaux dans un marché dominé par des groupes de taille hyperscale, et remet en question l'équité des opportunités offertes par cette loi. Si seuls les gros acteurs du marché peuvent bénéficier de ce statut, cela réduira de fait les chances de développement des entreprises locales dans un cadre pourtant censé favoriser l'implantation de projets à dimensions variées.
Et qu’en est-il des entreprises étrangères qui ont des accords avec la France ? Prenons l’exemple du Japon. Le pays a conclu des accords de non-divulgation et de protection des données avec la France. Grâce à ces accords, une filiale française d'un groupe japonais peut-elle bénéficier du statut PIINM ?
Impacts environnementaux et responsabilité du secteur
Aujourd’hui, l’impact écologique des datacenters est un des principaux arguments des opposants à leur implantation et à l’article de loi sur le sujet. Or, les datacenters sont plutôt de très bons élèves en matière d’éco-responsabilité et d'empreinte carbone. De nombreuses innovations émergent de la R&D destinée à la réduction de l’empreinte des datacenters.
Et il ne faut pas oublier que l'expansion des datacenters répond à une demande, est poussée par la multiplication de nos usages numériques. Ce n’est pas la création de nouveaux datacenters qui engendre ces nouveaux usages. Plutôt que de prendre le problème à l’envers et de se focaliser uniquement sur les impacts écologiques négatifs, il faut examiner de quoi découle ce besoin croissant en infrastructures. Les data centers sont essentiels à l'évolution du paysage numérique.
Protection de la souveraineté nationale
Une autre des préoccupations majeures concerne la manière dont la loi pourrait être instrumentalisée par des fonds d'investissement étrangers. Avant tout, il paraît essentiel de parler de souveraineté nationale puisqu’on parle d’implantation sur le sol français, et non pas de souveraineté européenne. Les entreprises françaises sont soumises aux lois économiques européennes, mais ce n’est pas l’enjeu auquel répond, ou tout du moins doit répondre, cette loi. La souveraineté européenne reflète une logique économique, mais ce dont a aujourd’hui besoin la France pour booster sa croissance numérique, c’est d’adopter une logique étatique.
En ce sens, il faudrait mettre en place des dispositifs pour garantir que les projets labellisés PIINM restent sous contrôle français. Car, comment faire pour que les datacenters ayant le statut de PIINM le restent et maintiennent un actionnariat majoritairement souverain français ? Comment s’assurer qu’un datacenter PIINM ne soit pas immédiatement racheté par une entreprise étrangère ? Ou pour empêcher qu’une entreprise hors UE crée une filiale détenue par une holding européenne, que la filiale obtienne le statut PIINM, et soit ensuite rachetée par l’entreprise ?
Sans définition précise impliquant un engagement sur le long terme, le statut PIINM risque de devenir le « cheval de Troie » pour percer la souveraineté. Les entreprises locales se retrouveraient alors écrasées sous des montages financiers complexes.
Appel au leadership et responsabilité de l’État
Enfin, il est nécessaire aujourd’hui l’État applique ce qu’il prône et s’engage concrètement envers les acteurs locaux, notamment en intégrant au Code de la commande publique le recours à des acteurs souverains. L'État doit aussi être le premier à montrer l'exemple sur ce qu’il demande aux entreprises. Pourquoi les startups et la Silicon Valley américaines sont-elles si puissantes ? Parce que leur premier client, c'est l'État américain lui-même. L’État doit servir de modèle, inciter les collectivités à privilégier les solutions numériques souveraines et à orienter leur consommation vers des acteurs français. La récente promesse du gouvernement de lancer un appel d’offre pour éventuellement remplacer Microsoft pour l’hébergement de la plateforme
La loi de simplification de la vie économique démontre une volonté de soutenir la croissance locale, un tournant très attendu par les acteurs français de toute taille. Cependant, elle doit être accompagnée d’un cadre législatif et réglementaire bien défini pour éviter qu’elle ne devienne un outil de déréglementation au bénéfice de grands intérêts étrangers. Cette loi doit être une opportunité pour la France de renforcer sa position, mais aussi un appel à l’action pour une politique plus proactive en matière de souveraineté.
Face à des enjeux géopolitiques croissants, le pays doit prendre ses responsabilités et déployer une approche qui combine développement économique, intégration urbaine et acceptabilité sociétale tout en respectant l'environnement, protection de la souveraineté et sécurité des données des citoyens. C'est avec cette combinaison que les projets de datacenters obtiendront l'acceptabilité sociétale.