Quand on pense à la Grèce, on pense bien sûr à l’Antiquité, à la mythologie grecque, aux dieux comme Zeus, Poséïdon ou encore Athéna, et aux Jeux Olympiques, mais surtout au tourisme et à son interminable crise économique. Cette dernière a très durement frappé le pays, les Grecs ne le nient absolument pas d’ailleurs. Mais ils en ont marre d’être seulement réduits à celle-ci quand des initiatives commencent à porter leurs fruits pour redonner de l’éclat à un pays qui a tant influencé l’humanité depuis des millénaires.

Depuis quelques années, la Grèce abrite notamment un écosystème tech qui commence à faire de plus en plus de bruit sur la scène européenne. Évidemment, nous sommes encore loin des milliards alignés par la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou même la Suède. Mais la dynamique est là, portée par des serial entrepreneurs, parfois passés par les rangs d’universités américaines ou la Silicon Valley, et des structures clés qui veulent l’amplifier. Maddyness a pu mesurer cette effervescence croissante dans l'écosystème grec à l'occasion d'une Learning Expedition organisée début juin par l'Agence Raoul.

De 50 millions à 500 millions levés par an entre 2018 et 2024

Depuis la sortie de la tutelle financière de la Grèce en 2018, la progression est assez nette quand on se penche sur les montants levés par les startups locales. Il y a sept ans, les jeunes pousses grecques ne levaient que 50 millions d’euros en un an. En 2024, elles sont parvenues à capter 554 millions d’euros, un chiffre en hausse de 15 % par rapport à 2023. La bulle post-Covid avait même fait atteindre les 650 millions d’euros en 2021, mais la remontée des taux d’intérêt et la prudence des fonds d’investissement depuis trois ans ont légèrement atténué la courbe ascendante de l’écosystème grec. Si un peu moins d’une centaine de startups ont bouclé un tour de table l’an passé, il y aurait au total entre 800 et 1 000 jeunes pousses en Grèce, selon les structures qui accompagnent l'envol de l'écosystème.

Parmi elles, on retrouve notamment la HDBI (Hellenic Development Bank of Investments), fonds souverain grec dédié au capital-risque et au private-equity qui est l’équivalent de Bpifrance pour soutenir l’innovation et la croissance des startups et des PME en Grèce. L’institution gère une trentaine de fonds pour flécher plus de 2 milliards d’euros vers les startups du pays afin de les aider à prendre leur envol. «De 2000 à 2020, l’État grec a injecté 300 millions d'euros dans l'industrie du capital-risque. Sur la période de 2020 à 2024, ce montant atteint un milliard. Nous avons basculé dans une autre dimension !», souligne Antigoni Lymperopoulou, qui est à la tête de la HDBI. Avant d’ajouter : «L’investissement VC en France il y a 15 ans ressemble à peu près à ce qu’il est actuellement en Grèce. Et nous espérons bien suivre le même chemin que la France.»

La Grèce veut devenir une «Innovation Nation»

Tous les voyants semblent au vert pour suivre la voie tracée par la French Tech, d’autant plus que le gouvernement pro-business de Kyriákos Mitsotákis, au pouvoir depuis 2019, souhaite que la tech pèse 10 % du PIB sans pour autant fixer une échéance pour atteindre cet objectif. D’après les acteurs locaux, à l’image de Marco Veremis, qui a monté le fonds de capital-risque Big Pi Ventures avec le serial entrepreneur français Guy Krief, le chemin est encore long puisqu’on est aujourd’hui «autour de 1 à 1,5 %».

Pour se rapprocher de ce cap symbolique qui entérinerait le statut de «Startup Nation» de la Grèce, le pays cherche à doper son attractivité sur la scène internationale. Avec un positionnement géographique intéressant, car proche de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Asie, et une digitalisation des services publics qui s’est grandement accélérée pendant la pandémie de Covid-19, la Grèce, qui jouit en plus d’un climat très ensoleillé, veut en effet attirer des talents et des investisseurs du monde entier. Dans ce sens, un «Golden Visa» a d’ailleurs été mis en place en 2013 pour donner envie aux étrangers de s’installer en Grèce pendant plusieurs années en échange d’un investissement immobilier… ou d’un investissement d’au moins 250 000 euros dans une startup.

Le pays, qui a également mis sur pied une stratégie ambitieuse dans l'intelligence artificielle, commence à récolter les fruits de cette approche, avec des géants américains comme Google, Microsoft, Nvidia ou encore Tesla qui investissent de plus en plus en Grèce. Un mouvement qui devrait encore s'amplifier à l'avenir, notamment dans l'IA, alors que la Grèce a été retenue par l’Union européenne comme l’un des sept pays à accueillir une «AI Factory». Le projet grec, baptisé «Pharos», reposera sur le supercalculateur Daedalus avec un budget de 30 millions d’euros. Débuté en mars dernier, il doit s'étaler sur 36 mois pour être pleinement opérationnel.

Pour faire savoir au monde entier que la Grèce offre un cadre idéal pour développer une entreprise tech, Endeavor, réseau qui aide les startups grecques à déployer leurs ailes à l’international un peu à la manière d’un Business France, a lancé en 2024 une campagne de promotion de la tech grecque. Baptisée «Innovation Nation», elle repose sur des affiches décalées qui reprennent des éléments historiques de l’histoire grecque, comme le cheval de Troie par exemple.

Après avoir touché 10 millions de personnes l’an passé, cette campagne se poursuit cette année sur des événements tech internationaux, et ce fut d’ailleurs récemment le cas à Paris à l’occasion de VivaTech. Endeavor a en effet profité du salon parisien pour emmener une délégation d’une quarantaine de personnes dans la capitale française. L’occasion de mieux faire connaître la vitalité de l’écosystème grec dans l’Hexagone et de s’inspirer de quelques spécificités de la tech tricolore pour franchir un nouveau cap.

Apostolos Apostolakis, le pionnier

Si l’écosystème grec est désormais en mesure d’afficher un visage aussi offensif, c’est parce qu’une poignée d’acteurs ont choisi de défier le marasme qui régnait dans le pays au début des années 2010 lorsque le pays connaissait une crise économique, politique et sociale particulièrement violente. C’est le cas notamment d’Apostolos Apostolakis, serial entrepreneur et investisseur grec qui a lancé des scaleups majeures comme e-food ou encore Taxibeat. A la suite de la vente d’e-food à Delivery Hero, il a lancé Venture Friends, l’un des premiers fonds de capital-risque en Grèce, en 2016. «Cela a ouvert l’appétit pour l’investissement dans la tech grecque. Nous avons pris beaucoup de risques», indique cette figure très respectée de l’écosystème.

Depuis le lancement de Venture Friends, ce sont 170 millions d’euros qui ont été mobilisés sur trois fonds. Un joli tour de force quand les investisseurs étrangers désertaient la Grèce à cause des soubresauts économiques qui secouaient le pays jusqu’au crépuscule des années 2010. Cela a notamment permis de soutenir des pépites comme Blueground, l’une des toutes premières licornes grecques.

Il s’agit d’une entreprise fondée en 2013 qui s’est positionnée sur le segment de la location meublée longue durée sur des séjours de plus de 30 jours pour cibler les digital nomads et les expatriés. Avec un réseau de 40 000 appartements dans le monde, la société, qui a réussi à trouver un positionnement qui ne la place en concurrence frontale avec Airbnb, ne cache pas ses ambitions. Elle vise désormais le cap des 100 000 appartements dans 100 villes dans les prochaines années. Après des ventes qui ont bondi à 560 millions de dollars en 2023, la scaleup a bouclé une série D de 45 millions de dollars en mars 2024 pour entrer dans le cercle très fermé des licornes grecques.

Apostolos Apostolakis a également soutenu l’envol de Doctoranytime, le «Doctolib» grec. Cette société a été lancée en 2012 par Eleftheria Zourou. Alors que cette dernière menait une brillante carrière dans le secteur marketing chez L’Oréal, elle a tout plaqué après le décès de son père à cause d’un cancer. Confrontée aux lacunes du système de santé grec, elle a estimé qu’elle devait agir pour changer la donne. «Je ne voulais pas être une entrepreneuse, mais je me suis aperçue sur j’avais un nouvel objectif dans la vie», assure-t-elle.

«Quand j’ai lancé la société, c’était très difficile. Il n’y avait pas d’écosystème tech en Grèce. L’ État ne comprenait pas ce qu’était une startup et les armateurs ne comprenaient pas l’intérêt d’investir dans la tech. Heureusement, Apostolos était là et il a investi dans ma startup», se souvient l’entrepreneuse. Depuis, Doctoranytime s’est bien développé à l’international et opère désormais en Belgique et dans des pays d’Amérique latine, comme le Brésil, le Mexique, la Colombie ou encore l’Équateur. «Ce sont des pays avec des problématiques similaires à celles qu’il y avait en Grèce», souligne Eleftheria Zourou.

Un écosystème adoubé par le co-fondateur de Google Maps

Après avoir ouvert la voie au capital-risque dans la tech, Apostolos Apostolakis a vu des structures comme Big Pi Ventures, le tout premier fonds growth de Grèce qui doit aider les startup locales à lever des tickets de 10 à 20 millions d'euros, et Apeiron Ventures, fonds d’investissement en amorçage lancé en 2024 avec un premier véhicule de 25 millions d’euros, soutenir l’effort de guerre pour contribuer à l’envol de la tech grecque. Un envol reconnu au-delà des frontières du pays, notamment en France, puisqu’une antenne de la French Tech existe à Athènes et le bureau grec de Business France a rouvert en septembre 2023 après avoir fermé en 2019.

Ce n’est pas un hasard non plus si Lars Rasmussen, un Danois à l’origine d’une startup qui donnera naissance à Google Maps, s’est installé à Athènes avec sa femme Elomida Visviki. Surpris par la vitalité de l’écosystème local, le couple a décidé d’apporter sa pierre à l’édifice au-delà de leur rôle de business angels en créant un festival tech inspiré de Slush : Panathēnea. Reposant sur les racines antiques de la Grèce, la première édition de ce nouveau rendez-vous a eu lieu en mai 2025. Le signe qu’un écosystème tech béni des dieux grecs est en train de naître à Athènes ?