La situation est alarmante : d’après un collectif de scientifiques, l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5° par rapport à la période pré-industrielle sera définitivement dépassé en 2028. Un sursaut collectif s’impose, et les consommateurs sont en première ligne. La question se pose alors : peut-on décarboner sans changer nos habitudes ? Une problématique explorée lors d’une table-ronde organisée par Maddyness, en partenariat avec Engie, le jeudi 19 juin. Avec comme intervenants Claire Gerbaud-Ndomba, directrice marketing, data et communication France B2C d’Engie, Simon Baldeyrou, directeur général de Phenix, et Fanny Picard, fondatrice du fonds d’investissement AlterEquity.
“Pour un certain nombre de cas, il faut changer durablement nos comportements mais c'est aussi important d'avoir des choses qui soient immédiates, faciles, sans prise de tête. Ça ne doit pas être sacrificiel”, estime Claire Gerbaud-Ndomba. Pour embarquer le plus grand nombre dans la transition, l’argument écologique ne suffit pas, le levier économique devient clé dans le discours.
“Ça marche pour le porte-monnaie, ça marche pour la planète”
Engie cite par exemple son programme Ecodéfi+ qui incite ses clients particuliers, grâce à des récompenses, à réduire leur consommation lors des pics de tensions sur le système électrique l’hiver, moments où l’énergie est la plus carbonée. “Nous avons plus de 170 000 clients qui se sont engagés dans cette démarche l’hiver dernier. Et nous leur avons redistribué 1,4 million d’euros. Ça marche pour le porte-monnaie, ça marche pour la planète”, assure la directrice marketing.
Même constat chez Phenix, qui accompagne la grande distribution dans sa lutte contre le gaspillage alimentaire. “Il faut que les consommateurs s'y retrouvent d'une façon ou d'une autre. Ceux qui achètent des paniers de produits qui n’ont plus que trois jours de vie sur Phenix le font parce que c'est moins cher”, affirme Simon Baldeyrou. “J’ai eu la chance d’évoluer durant 10 ans chez Deezer et on est passé de 90% de CD à 90% de streaming. Donc, ils sont capables de changer de comportement assez vite et assez violemment. C'est juste que le service qui était rendu était meilleur”.
Pas de solution miracle pour contenir le réchauffement climatique
Quelle est alors la place de la tech pour améliorer ce service et accompagner la décarbonation ? Un outil, mais sûrement pas une baguette magique, selon les trois intervenants. “Nous avons investi dans Elom Energy qui a développé une technologie permettant de diminuer de 5% le coût de production d'une centrale solaire, ou encore dans Syroco qui travaille à diminuer de 10% la consommation de fioul des gros navires. Les technologies apportent des solutions, mais attention à ne pas considérer qu'elles vont nous sauver. Sauvons-nous nous-mêmes en changeant nos comportements”, affirme Fanny Picard.
“La réalité, c'est que 40% du gaspillage alimentaire, c'est dans les frigos de chacun d'entre nous”, rappelle Simon Baldeyrou. “Et là, il n'y a pas de solution tech miracle, ce sont surtout les habitudes qui ne sont pas les bonnes”.
De nouveaux business models à trouver pour les entreprises
Dans cette transition écologique, les entreprises aussi ont leur rôle à jouer et se doivent d’être exemplaires pour leurs clients mais aussi leurs salariés. “Contrairement à d'autres, nous ne revenons pas sur nos ambitions carbone par exemple”, à savoir viser le net zéro carbone à horizon 2045, insiste Claire Gerbaud-Ndomba. “Nous sommes très fiers d’avoir été récompensés par le label Ecoprod de l’Afnor pour notre dernier film publicitaire ‘Mon Rendez-vous Engie’, ce qui signifie que l'ensemble de la production a été pensé pour diminuer l'empreinte carbone”.
L’alignement de l’entreprise est donc crucial, mais pour aller plus loin, il peut être nécessaire de repenser son business model. “Dans la grande distribution, ceux qui passent après nous, ce sont les collecteurs de déchets comme Suez, Veolia, Paprec, etc. Ces entreprises sont payées aujourd'hui à la collecte, plus il y a de déchets, plus elles gagnent d'argent. Comment vont-elles se transformer pour gagner autant d’argent qu’avec le modèle actuel mais en accompagnant leurs clients afin que moins de déchets soient produits ?”, s'interroge Simon Baldeyrou.
Consommateurs, salariés, citoyens
Fanny Picard assure alors être rigoureuse dans l’évaluation des business models des startups dans lesquelles elle investit et prêter attention aux “externalités négatives”. “Nous avions regardé une entreprise de gestion de flotte de trottinettes électriques mais nous nous étions rendu compte que les usagers étaient préalablement des personnes qui marchaient ou qui prenaient le métro”, explique-t-elle. “Le fait d'utiliser la trottinette, qui par ailleurs consomme de l'énergie et émet du CO2 pour sa production et son opération, avait un impact global qui était négatif”.
Au final, les trois intervenants s’accordent à dire que le changement de comportement individuel reste un levier important pour influencer les stratégies d’entreprise et les politiques publiques. “C'est bien l'humain qui va permettre que les choses changent”, affirme Claire Gerbaud-Ndomba. “Nous tous, à la fois en tant que consommateurs, mais aussi en tant que salariés et en tant que citoyens. En montrant aux politiques qu'on consomme moins, qu'on consomme mieux, qu'on pollue moins, ils vont effectivement réglementer pour contenir les dérèglements environnementaux”, abonde Fanny Picard. “Nous sommes dans un monde fini, il faut arrêter d'acheter pour exister. Il faut être pour exister. C'est un vrai changement civilisationnel qui va passer par une prise de conscience”.