Expérimentée dans tous les secteurs — RH, finance, logistique, service client, secteur public —, elle a donné lieu à une avalanche de projets pilotes. Utiles, ces tests ont permis d’acculturer, de cadrer, parfois d’inspirer. Mais dans l’immense majorité des cas, ils restent sans lendemain. Le blocage n’est ni technique, ni culturel. Il est structurel. Des IA, on en a. Ce qu’il manque, ce sont des couches applicatives conçues pour les industrialiser dans l’environnement réel — rendre l’IA intégrable, supervisable, maintenable. Sans cette brique, pas de passage à l’échelle.

Car industrialiser l’IA Gen, ce n’est pas simplement “mettre en production”. C’est créer les conditions d’un usage massif, fiable et adapté à la complexité du terrain. Cela passe, techniquement, par une couche applicative scalable : interopérable, maintenable, et capable d’orchestrer des agents IA en conditions réelles.

Une décennie d’illusions productives

Extraction de données, copilotes métiers, moteurs de recommandations, chatbots internes : tout a été testé. Peu a été adopté. Selon Gartner (2024), seuls 30 % des POC IA Gen donneront lieu à un déploiement à grande échelle en 2025. Le constat est dur mais clair : on applaudit la démo, on oublie la production. Les projets s’empilent sans cadre commun, sans ancrage métier, sans vision d’ensemble.

Cette illusion productive crée aujourd’hui une triple fatigue. Fatigue des métiers, mobilisés sans être associés. Fatigue des équipes techniques, qui accumulent une dette liée à des architectures jetables. Fatigue des startups, coincées dans des cycles d’avant-vente sans perspective claire. Côté dirigeants, un autre malaise émerge : l’incapacité à sortir de l’expérimentation, ou à dépasser des cas d’usage défensifs — comme les “secureChat” internes, vite oubliés. Et quand un projet aboutit enfin, il déçoit souvent. Les solutions “fait maison”, difficiles à maintenir à l’état de l’art, deviennent vite obsolètes. La technologie évolue trop vite pour des organisations dont ce n’est pas le métier, avec à la clé des outils coûteux, peu utilisés, et qui peinent à engager. L’Europe finance l’amont, mais néglige l’aval. Elle innove, mais n’industrialise pas. Trop souvent, l’IA a été pensée loin du terrain, dans les directions innovation ou les data labs loin des équipes métier.. Ce modèle atteint ses limites. Les métiers sont les seuls à maîtriser leurs processus, les cas d’usage, les exceptions. Ils doivent être impliqués dans la conception des agents, la structuration des données, l’évaluation des résultats. Pas pour valider à la fin, mais pour co- construire dès le départ. Responsabiliser les métiers, ce n’est pas un supplément d’âme : c’est une condition d’efficacité. Un agent IA n’a de valeur que s’il est utilisé. Et pour être utilisé, il doit répondre à un besoin réel, robuste, réajustable, aligné sur les pratiques réelles. Sans appropriation, les projets restent au stade de prototype. Ou deviennent source de complexité.

Industrialiser, c’est choisir un modèle stratégique

Pour réussir le passage à l’échelle en Europe, il faut des solutions capables de s’adapter aux spécificités de nos marchés, de nos réglementations, et de nos organisations. Ces solutions ne peuvent pas toujours être importées : leur efficacité dépend d’un ancrage local, d’une interopérabilité réelle avec les systèmes existants, et d’une gouvernance maîtrisée. Autrement dit, industrialiser passe par des applicatifs et des modèles souverains, pensés pour et avec les besoins européens.

Aujourd’hui, plus de 80 % des briques IA utilisées dans les grands groupes européens reposent sur des composants non souverains (CNNum, 2024). Tant que nous ne passerons pas à l’échelle avec des outils que nous maîtrisons, notre souveraineté restera théorique. Une alternative crédible ne se construit ni par décret, ni dans les concours d’innovation. Elle se forge dans l’usage, le déploiement, la maîtrise concrète.

Mais cette souveraineté ne doit pas être repliée sur elle-même. Elle commence localement — par des choix industriels alignés sur nos valeurs et nos besoins — etet se mesure à l’international. C’est notre capacité à exporter nos technologies qui fera notre autonomie durable. Dans un monde instable, la souveraineté n’est ni protectionniste ni idéologique, elle est rationnelle, planifiée, industrielle — et ouverte. Elle permet de peser dans les échanges, de choisir nos standards, d’assurer notre résilience. L’heure n’est plus à prouver que l’IA fonctionne. Elle est à décider dans quelles conditions elle opère, avec qui, pour quoi, et à quelles fins. Ce que les entreprises attendent, ce ne sont plus des démonstrations. Ce sont des infrastructures applicative IA opérationnelles, gouvernables, scalables — capables de transformer les chaînes de valeur, d’augmenter la qualité de service et de libérer du temps utile.

L’industrialisation n’est pas la fin de l’innovation. C’est sa condition de crédibilité.