On le revoit, la quarantaine pas encore atteinte, dans une fraiche soirée de mai, déambulant dans la Cour carrée du Palais du Louvre au son de l’hymne à l’Europe. Les cheveux encore bruns, les cernes à peine creusées et le costume mal taillé, il venait alors de se faire élire, en partie, sur la promesse de développer un écosystème tech français d’envergure.
Huit ans plus tard, le pari d’Emmanuel Macron semble réussi. Même si les derniers mois furent rudes, la French Tech reste l’un des environnements “tech” les plus attractifs en Europe et dans le monde. Une attractivité qui s’explique en partie par des conditions avantageuses par rapport à d’autres secteurs de l’industrie française. En témoignent les récentes annonces du Premier ministre sur le budget 2025, qui ont (qu’on se le dise clairement) largement épargné l'entrepreneuriat et la French Tech.
La campagne présidentielle de 2027 commence doucement à s’installer dans le débat public, amenant son lot de questions et d’incertitudes. À mesure que se dessinent certains favoris et tendances, la question émerge : quel pourrait être l’avenir de la French Tech dans les prochaines années, si l’un ou l’une d’entre eux accédait à la fonction de dixième président de la Ve République ?
Marine Le Pen ou Jordan Bardella : un jugement en 2026 en guise de primaire ?
Bien… mais peut mieux faire. Voilà comment on pourrait résumer la position de Marine Le Pen sur la French Tech. La leader du Rassemblement National reconnaît “un grand talent aux ingénieurs et chercheurs français” mais fustige les résultats des gouvernements Macron successifs, estimant que la démultiplication de licornes françaises est “l'arbre qui cache la forêt”. Elle souhaite particulièrement mettre en avant l'entrepreneuriat français et retenir les talents nationaux pour contrer les acteurs chinois et américains. Le but ? Orienter l’écosystème vers une vision plus “protectionniste”, avec une forte volonté de recentrer les investissements et les avantages sur les entreprises françaises et la souveraineté nationale.
Oui mais voilà : le principal défi pour la fille de Jean-Marie Le Pen se jouera sur l’île de la Cité à l’été 2026, dans le cadre du procès en appel pour détournement de fonds publics dans l'affaire des assistants européens. Si bien que c’est son jeune poulain, Jordan Bardella, qui devrait prendre la suite et se présenter aux présidentielles de 2027. Une situation qui, toutefois, ne devrait rien changer : le député européen ne s’est jamais affranchi de la ligne directrice imposée par sa mentor et devrait la suivre même en cas d’arrivée à l’Élysée.
Qu’importe le candidat, l’arrivée du RN au pouvoir est redoutée par les entrepreneurs, notamment au niveau de l’incorporation de talents étrangers au sein des entreprises françaises. Pour Maya Noël (France Digitale), il serait néfaste d’interdire l’immigration légale de talents, alors que 20% des startups utilisent le French Tech Visa pour recruter des ingénieurs et entrepreneurs.
Édouard Philippe : l’allié d’antan pour la continuité…
Mister Covid is back. Il était apparu sur le devant de la scène politique comme le Premier ministre chargé d’orienter la politique budgétaire vers des tendances plus libérales et l’avait quittée trois ans plus tard au moment du déconfinement. L'actuel maire du Havre a été le premier à s’annoncer officiellement candidat à l’élection présidentielle, et ce, dès l’été 2024. Sa mise en retrait depuis cinq ans et sa cote de popularité dans les sondages en font un favori clair pour succéder à Emmanuel Macron.
Une succession qui pourrait se traduire dans sa politique entrepreneuriale envisagée. Si aucun programme n’est actuellement établi, Édouard Philippe a toujours défendu une vision “pro-entreprise” lors de son passage à Matignon, marqué notamment par une baisse de l’imposition des sociétés. Il est clair que les deux hommes partagent le même attrait pour l’innovation et ont incité les investisseurs étrangers à s’intéresser aux marchés français, en facilitant les procédures administratives.
Édouard Philippe souhaitait, dès 2017 et sa prise de fonction, “bâtir des stratégies cohérentes autour des Big Data, de l'IA, des nanotechnologies.” Une vision qu’il souhaite prolonger en cas d’élection en 2027, avec un plan “massif” en matière d’économie et d’entrepreneuriat, pas encore dévoilé pour le moment.
Gabriel Attal : … ou le fils spirituel pour le renouveau ?
“Si ce n’est pas toi, c’est donc ton frère.” En 2027, les membres de la majorité présidentielle devront choisir s’ils laissent le champ libre à Édouard Philippe ou Gabriel Attal, dans un duel pour la présidentielle qui s’annonce fratricide. Tous deux ont été Premier ministre sous Emmanuel Macron, mais le député des Hauts-de-Seine a occupé toutes les fonctions possibles depuis 2017. Tour à tour député, porte-parole du gouvernement, ministre, Premier ministre, et désormais secrétaire général du parti présidentiel, il ne lui manque plus que la casquette de Président pour faire le Grand Chelem.
Une ambition affirmée ces derniers mois, en multipliant les meetings et sorties médiatiques, dont une remarquée lors de l’édition 2025 du salon VivaTech. Concernant la French Tech, Gabriel Attal veut surfer sur la vague des années Macron en y amenant un second souffle : plus de femmes, plus de seniors, plus de compétitivité face aux entreprises américaines, tout en mettant un fort accent sur les innovations technologiques. Voilà à quoi pourrait ressembler l’écosystème, si l’ancien ministre de l’Éducation nationale venait à être élu en 2027. Une vision qu’il n’avait pas manqué d’illustrer sur Instagram : “Ceux qui gagneront la bataille de l’IA et des nouvelles technologies domineront le monde de demain. Dans cette bataille, la France et l’Europe doivent être en première ligne.”
Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure, Raphaël Glucksmann, Marine Tondelier : qui veut être mon candidat à gauche ?
Encore une fois, la place à gauche sera chère. Encore une fois, on peut prédire un déchirement familial sur la place publique. Et encore une fois, cet imbroglio devrait accoucher d’une candidature multiple des ex-futurs candidats NFP. Qu’importe, le programme devrait être le même, simplement appliqué à des degrés différents.
Si les candidatures à gauche devaient s’articuler principalement autour de l’urgence que représente le dérèglement climatique, il est clair que les startups de l'agritech et de la transition énergétique devraient être largement privilégiées. Néanmoins, tous semblent d’accord pour permettre l’expansion des PME et startups tout en freinant les ardeurs des grands groupes, véritable poumon de l’écosystème.
Une situation qui pourrait être d’autant plus préjudiciable si le candidat représentant la gauche devait être Jean-Luc Mélenchon. Le leader insoumis, très contesté ces derniers mois, est craint par les pouvoirs publics et les institutions, comme en témoigne la déclaration du patron de la French Tech Barcelone, Guillaume Rostand, chez nos confrères d’Equinoxe : “Les orientations annoncées de LFI semblent plus mortifères pour le secteur de la technologie, comme d’ailleurs elles le sont au sens large pour tous les sujets liés à l’économie.”
Dominique de Villepin : retour vers le futur ?
Oui, nous aussi, en écrivant ces lignes, on a eu l’impression de revenir 20 ans en arrière. Comme si cette ex-figure de la vie politique française venait jouer les premiers rôles alors même qu’il avait été mis aux oubliettes, à la manière de Galabru dans Papy fait de la résistance (1983). Mais force est de constater que Dominique de Villepin devient un candidat de plus en plus crédible à la Présidence. Mais s’il est resté célèbre pour son discours contre la guerre en Irak aux Nations Unies en 2003, l’ex-ministre des Affaires étrangères jouit d’une réputation quelque peu controversée.
Ses liens supposés avec l’émirat qatari et sa tendance à brader le patrimoine français lors de son passage à Matignon font planer le doute sur l’avenir de la French Tech. S’il venait à en faire de même pour l’écosystème, en vendant à tour de bras les actions des startups françaises, il est clair que la “France qui entreprend” perdrait massivement en souveraineté.
Si Dominique de Villepin venait à entrer à l’Élysée par la grande porte, il semble que sa conseillère en matière d'entrepreneuriat et marchés financiers soit toute trouvée en la personne de sa fille, Victoire. L’ancienne Chief of Staff de Jonathan Cherki chez Contentsquare, actuellement chez Euronext, est considérée comme une étoile montante de la French Tech.
Bruno Retailleau : une aubaine pour Stérin ?
De Beauvau à l’Élysée, il n’y a qu’un pas. Ça, Bruno Retailleau le sait, et l’idée d’imiter le parcours de Nicolas Sarkozy doit certainement lui chatouiller l’esprit et “pas seulement quand il se rase”. Un désir de plus en plus assumé, comme en témoignent ses récents meetings donnés en début d’année, qui n’ont pas échappé à l’attention de certains financiers.
9/10 : c’est la note qu’a attribuée le très controversé Pierre-Édouard Stérin, lors de son entrevue avec le nouveau chef de file des Républicains. L’entrepreneur installé en Belgique, qui se rêve en grand manitou de la France, a fait de l’actuel ministre de l’Intérieur, son favori pour l'Elysée. Il faut dire que les deux hommes partagent plusieurs valeurs communes, comme la valorisation du patrimoine français ainsi que la préservation de certaines traditions. Une situation hypothétique à ce stade, mais qui pourrait largement avantager le startup studio Otium, dans lequel Stérin a récemment annoncé investir massivement jusqu’en 2030.
Clara Chappaz : et si c’était son tour ?
Mais alors que vont s’affronter à couteaux tirés centristes, socialistes, républicains, extrémistes de droite et de gauche, que pourrait-il advenir si la plus French Tech des politiques venait à briguer la présidence de la République en mai 2027 ? Et si la ministre du Numérique et de l’IA, Clara Chappaz, devenait la première Présidente de la République ?
Une situation qui ferait rêver tous les startuppeurs et autres VC désireux de prolonger l’aubaine des années Macron. Un scénario hypothétique à ce stade donc, mais qui pourrait prendre du galon dans les mois à venir. L'ancienne directrice de la Mission French Tech est pressentie pour être la candidate du camp macroniste dans l’élection législative partielle de la deuxième circonscription de Paris, face à Michel Barnier et Rachida Dati. La principale intéressée n’a pas encore complètement écarté cette idée et a déclaré, dans la matinale de RMC, “vouloir se confronter un jour à une élection.” Reste à savoir quand, et pour quel rôle…