À l’origine de K-REN, il y a une histoire inattendue : celle de Lucie Doriez, embryologiste pendant quinze ans, qui a décidé de quitter le monde de la fécondation in vitro pour se lancer dans la protection des océans. « Mon père avait une société d’architecture textile et, dès 2004, il s’était amusé à créer une housse pour protéger son propre bateau. Sans volonté commerciale, juste pour tester. Résultat : sa coque est restée propre, sans carénage ni peinture. »

L’idée dormira plus de dix ans avant qu’elle ne ressurgisse. En 2020, Lucie Doriez et son père décident de créer K-REN afin de transformer cette intuition familiale en véritable solution industrielle. Leur technologie consiste à plonger la coque des bateaux « dans le noir », empêchant la photosynthèse et donc la prolifération des algues et coquillages (le “fouling”). Une alternative simple et non toxique à des pratiques polluantes répandues.

Une réponse à une pollution invisible mais massive

Chaque année en France, 1,2 million de bateaux passent par l’étape contraignante du carénage : sortie de l’eau, grattage des coques, puis application de peintures antisalissures. Ces « antifouling », riches en cuivre, zinc ou TBT, relâchent des milliers de tonnes de micro-déchets toxiques dans la mer. « Rien qu’en France, c’est 20 000 tonnes de déchets polluants générées chaque année par les carénages, alors que nos clients, eux, n’en font plus depuis cinq ans », souligne Doriez. Et K-REN ne se limite pas à la plaisance : sa technologie équipe déjà une frégate multi-missions de la Marine nationale.

Avec déjà 300 clients équipés et 300 000 euros de chiffre d’affaires, K-REN ne vend pas seulement une housse de protection. Elle propose une nouvelle norme pour protéger les coques, réduire la consommation des bateaux moteurs et mettre fin à une source de pollution invisible mais massive. La technologie centralise près de cinq années de R&D : un tissu extrêmement léger et résistant, développé sur mesure à Lyon, recouvert d’un traitement extérieur neutre pour l’environnement. « Nous avons fait tester notre tissu en laboratoire indépendant, aucun rejet de particules dans l’eau. »

Cette innovation a convaincu le jury du Prix Next Innov 2025, qui lui a décerné à la fois le premier prix et le vote du public. « Voir autant d’experts valider notre solution, et en plus sentir le soutien de nos clients, c’était incroyable. »

Une levée pour changer d’échelle

Après une première levée de 500 000 euros en 2023, K-REN boucle actuellement un tour de table de 800 000 euros, qui sera finalisé fin septembre. Objectif : accélérer la commercialisation et conquérir de nouveaux marchés méditerranéens. « Nous avons mis cinq ans à mettre au point un produit parfait de haute technologie, indéchirable, extrêmement léger, avec un enduction neutre pour l’environnement qui permet de limiter considérablement le fouling.. Aujourd’hui, tout est prêt : le tissu, la fabrication, l’atelier… Ce qu’il nous faut désormais, ce sont des forces commerciales pour mailler les ports. »

La startup vise en priorité l’Espagne, « qui nous tend les bras », avant de s’attaquer à l’Europe puis à l’international, via des partenaires distributeurs déjà implantés en Polynésie, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Au-delà des particuliers, K-REN a déjà séduit des utilisateurs prestigieux – dont le très renommé navigateur Michel Desjoyeaux, aujourd’hui associé – et commence à travailler avec des infrastructures comme les éoliennes offshore ou les panneaux solaires flottants. L’entreprise réfléchit aussi à un modèle locatif pour développer de la récurrence de revenus : « On a testé la location de housses, c’est très prometteur et rentable. »

À horizon cinq ans, Lucie Doriez se projette plus loin qu’une housse par bateau : « On peut facilement imaginer une norme d’industrie nautique. Demain, les ports proposeront directement des solutions anti-fouling alternatives et nos produits seront intégrés aux bateaux dès leur conception. » La réglementation va d’ailleurs dans ce sens : l’Espagne interdit déjà aux particuliers d’appliquer eux-mêmes des antifouling, et un label “Ports propres actifs en biodiversité” se déploie en Europe.

« Le marché est colossal : 6 millions de bateaux en Europe, 33 millions dans le monde. Si nous réussissons à changer les habitudes, l’impact écologique sera immense », conclut la fondatrice.