Longtemps considéré comme un modèle stable et universel dans le B2B, le SaaS entre dans une nouvelle phase. L’arrivée massive des technologies d’IA générative, comme les modèles de langage ou les agents intelligents, transforme profondément la manière dont les logiciels sont conçus, distribués, utilisés et tarifés. De simples briques fonctionnelles, les outils SaaS deviennent des plateformes adaptatives, capables d’interagir, de s’optimiser et de personnaliser leurs réponses en fonction des besoins métiers. Cette mutation technique et économique questionne les fondamentaux du modèle.
L’IA replace le client au cœur du produit
Au HUB612, accélérateur lyonnais et fonds d’investissement, filiale de la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes, les équipes observent une mutation structurelle du SaaS. Pour Maud Charaf, directrice générale, la tendance est nette : “L’IA amène un retour aux fondamentaux. Le client redevient le cœur du produit.”
Une évolution qui rappelle que la valeur d’un logiciel ne se mesure pas à sa complexité technique mais à sa capacité à résoudre un problème métier. “C’est ce qui aurait dû être le cas du logiciel au départ. On n’a pas fait de sur-mesure pour aller plus vite parce que le monde n’était pas prêt. Et l’IA permet cela désormais : ce n’est plus à l’entreprise de s’adapter à la plateforme, c’est au produit de s’aligner aux usages métiers.”
Chez Dylogy, qui développe des solutions d’IA générative dans le secteur de l’assurance, l’intégration de l’IA va plus loin qu’une simple automatisation. “Je pense que l’IA, en particulier l’IA générative, change en profondeur la proposition de valeur des solutions SaaS, bien au-delà d’une simple amélioration d’efficacité,” estime Aurélien Couloumy, CEO de la startup. Il souligne notamment “une hyper-contextualisation des services pour chaque utilisateur” et “une réduction drastique du time-to-value pour la création de fonctionnalités”.
Le SaaS ne meurt pas, il s’augmente
Face aux discours annonçant la fin du modèle, les acteurs terrain défendent une vision plus nuancée, mais exigeante. “Le SaaS n’est pas mort. Il faut simplement le réinventer.” rappelle Maud Charaf. L’IA oblige à repenser les fondamentaux : comment délivrer de la valeur rapidement, de façon personnalisée, tout en restant aligné économiquement.
C’est aussi l’avis d’Aurélien Couloumy : “Le modèle d’abonnement classique est toujours pertinent pour le socle d’une solution, mais il évolue et s’hybride avec l’IA.” Selon lui, les startups devront combiner abonnements de base et facturation à l’usage, avec un vrai défi : “Cela vient avec son lot de questions car cela complexifie l’offre : quelles bornes posées, comment compter, que faire lorsque les limites sont atteintes ?”
Chez Dylogy, cette complexité se traduit par la nécessité de définir des KPI intermédiaires pour objectiver la valeur générée par l’IA : “C’est pourquoi il faut chercher à adapter le modèle économique pour financer d’une manière ou d’une autre cette valeur future.”
L’architecture produit sous tension
L’intégration de l’IA ne se fait pas sans impact sur la structure même des logiciels. Elle impose de nouveaux standards techniques et une agilité accrue. “Très clairement, intégrer de l’IA oblige à repenser l’architecture du produit,” explique Aurélien Couloumy. Il évoque une nécessaire “modularité et ouverture via des API” pour personnaliser l’IA en fonction de chaque client, ainsi qu’un besoin croissant de traitements asynchrones, plus lents et plus coûteux que les fonctions SaaS classiques.
Pour y répondre, Dylogy a mis en place une AI Gateway, un orchestrateur multi-fournisseurs : “Cela garantit une traçabilité fine, une haute disponibilité et la possibilité de basculer automatiquement d’un prestataire à l’autre en cas d’incident.”
La gouvernance de la donnée devient un enjeu central, à la fois pour assurer la qualité des résultats et pour respecter les contraintes réglementaires. “Les données deviennent encore plus centrales”, observe-t-il. “Cela implique aussi de revoir les interfaces feedback.”
Vers un SaaS intelligent et serviciel
Au-delà des technologies, c’est l’usage même du logiciel qui est en train d’évoluer. Aurélien Couloumy parle d’un basculement progressif “des interfaces traditionnelles vers des interactions plus minimalistes mais aussi plus naturelles et fluides.” À cela s’ajoute une hybridation nouvelle : “le SaaS de demain intégrera davantage de service humain autour des services IA”. Un expert peut intervenir pour affiner ou valider un résultat complexe, transformant ainsi le SaaS en plateforme de valeur, mêlant code, IA et savoir métier.
“Les logiciels SaaS qui perdureront seront ceux devenus incontournables pour un métier ou un usage précis, soutenus par une adoption massive et une forte rétention. Ils se transformeront en plateformes vivantes, hybrides, capables d’évoluer avec leurs clients.” conclut Maud Charaf.
Une chose est sûre : dans ce nouvel âge du SaaS, l’intelligence seule ne suffira plus, il faudra aussi qu’elle soit utile, traçable et justement valorisée.