En Grèce, on ne parle pas encore de miracle économique, tant le pays a longtemps été plongé dans une crise longue et douloureuse. Néanmoins, la trajectoire du berceau de la démocratie constitue une bonne source d'inspiration pour l'Europe avec une bonne croissance (2,3 % pour le PIB cette année) et une dette publique en reflux (chute spectaculaire de plus de 50 points, de 207,6 % du PIB en 2020 à 152,5 % au premier trimestre 2025). Le tout avec un taux d'ouverture (moyenne des importations et des exportations de biens et services d'un pays divisée par son PIB) qui est passé de 15,5 % à 28,4 % entre 2004, année de Jeux Olympiques fastueux mais incroyablement coûteux, et 2024.

Depuis 2019, c'est Kyriákos Mitsotákis qui est à la manœuvre pour redresser le pays. Avec son ADN libéral, il mise notamment sur les nouvelles technologies et les startups pour accélérer le développement économique de la Grèce. Ainsi, le Premier ministre grec place de grands espoirs dans la tech, secteur qu'il souhaite voir peser à hauteur de 10 % dans le PIB du pays. Néanmoins, selon les acteurs locaux, à l’image de Marco Veremis, qui a monté le fonds de capital-risque Big Pi Ventures avec le serial entrepreneur français Guy Krief, le chemin est encore long puisqu’on est aujourd’hui «autour de 1 à 1,5 %».

Toutefois, les fondations sont posées, avec un écosystème qui comprend environ un millier de jeunes pousses en Grèce. De plus, la Grèce a été retenue par l’Union européenne comme l’un des sept pays à accueillir une «AI Factory». Le projet grec, baptisé «Pharos», reposera sur le supercalculateur Daedalus avec un budget de 30 millions d’euros. Autant d'éléments qui donnent à la Grèce l'espoir de devenir une véritable «Startup Nation», même si Endeavor, réseau qui aide les startups grecques à déployer leurs ailes à l’international un peu à la manière d’un Business France, préfère le terme «Innovation Nation».

C'est dans ce foisonnement de l'écosystème tech grec que Maddyness a pu rencontrer Kyriákos Mitsotákis dans son bureau du Palais Maxímou, le «Matignon» grec, à Athènes. Un échange intéressant pour comprendre la mécanique gouvernementale de la Grèce autour de la tech, qui s'est déroulé dans le cadre d'une Learning Expedition organisée par l'Agence Raoul.

MADDYNESS – Quelle place peut prendre la Grèce dans la tech, surtout avec la révolution en cours de l'IA ?

KYRIÁKOS MITSOTÁKIS – La technologie et l'IA offrent une opportunité de devancer les autres pays. Nous sommes un pays de taille moyenne, ce qui nous aide à centraliser la gestion des projets. Notre gouvernement comprend et s'engage pour les technologies. Nous avons un ministère de la Gouvernance numérique, et, surtout, nous avons de nombreux talents. Nous disposons toujours d'universités publiques qui forment d'excellents ingénieurs.

Je pense que nous avons un rôle à jouer en Europe pour façonner le nouveau paysage de l'IA. Nous avons réussi à attirer d'importants investissements dans les infrastructures de centres de données. Tous les grands acteurs du secteur sont d'ailleurs déjà présents. Et comme nous disposons de nombreuses énergies renouvelables, il est donc plus facile pour ces centres de données de s'assurer un accès à une énergie moins chère.

«La Grèce est fortement représentée parmi les meilleurs scientifiques en IA»

La tech semble devenir un levier pour accélérer la transformation du pays...

La croissance de l'écosystème des startups a été plutôt impressionnante. Bien sûr, les investissements importants dans les TIC jouent un rôle important. Les grands acteurs des télécommunications se sont engagés à doubler leurs investissements en Grèce, car ils voient un fort potentiel sur le marché grec.

Nous souhaitons donc diversifier l'économie grecque au-delà du tourisme. J'espère sincèrement que la technologie et les TIC (Technologies de l'information et de la communication, ndlr) en général joueront un rôle plus important. Je pense également que, compte tenu de la nouvelle géographie des centres de données et de la connectivité des données, la Grèce doit tirer parti de sa position géographique.

Depuis trois ans, c'est l'euphorie dans le monde autour de l'IA. Quelle est l'approche de la Grèce vis-à-vis de cette révolution technologique ?

Nous avons élaboré un plan stratégique dédié à l'IA qui définit nos priorités pour assurer la transition vers cette nouvelle ère technologique. Je pense que nous disposons d'avantages comparatifs spécifiques en matière d'IA. Nous avons été sélectionnés parmi les sept premières usines d'IA par la Commission européenne. Nous construisons actuellement un supercalculateur très puissant appelé Daedalus.

Parallèlement, nous disposons également de nombreux talents, en Grèce et à l'étranger. La Grèce est fortement représentée parmi les meilleurs scientifiques en IA (elle figure parmi les trois premiers pays en termes de talents humains d'origine européenne travaillant dans le domaine de l'IA) et nous souhaitons exploiter cet atout. Concernant l'ensemble des TIC, je suis très satisfait de l'essor de l'écosystème de startups en Grèce.

«Je pense que l'IA peut véritablement transformer la façon dont nous gérons le gouvernement»

C'est l'occasion aussi de moderniser l'administration ?

Nous avons une stratégie très claire concernant nos objectifs. Je suis très intéressé par la recherche d'applications d'IA qui simplifieront également la vie des administrations publiques. Nous avons également lancé des projets très intéressants qui ont rencontré un franc succès.

Par exemple, nous disposons d'un système de cadastre basé sur l'IA et, hier encore, nous avons annoncé un nouveau projet : notre numéro d'identification unique. Auparavant, nous avions plusieurs numéros d'identification : le numéro de sécurité sociale, le numéro fiscal et le numéro d'identification. Nous essayons d'intégrer tous ces registres afin de ne pas remplacer les anciens. Plus globalement, je pense que l'IA peut véritablement transformer la façon dont nous gérons le gouvernement.

Avez-vous des secteurs prioritaires dans l'IA ?

En effet, il faut choisir des niches spécifiques. Des domaines qui nous intéressent particulièrement et pour lesquels nous estimons disposer d'un avantage comparatif.

La santé en est un, tout comme la protection civile, la gestion des incendies de forêt et les prévisions météorologiques. C'est un sujet qui nous tient à cœur. Le troisième, plus général, est l'IA et la défense, ou plutôt la technologie et la défense. Je vois de nombreuses opportunités dans le domaine de la défense. Mais cela nécessite également un changement radical de mentalité au sein de nos départements de la Défense.

L'allocation d'une part plus importante de notre budget national aux technologies de pointe en matière de défense est un sujet qui nous intéresse beaucoup et dans lequel nous pensons pouvoir développer une expertise interne. Ce sont donc trois secteurs verticaux dans lesquels nous pensons pouvoir jouer un rôle.

Un autre sujet plus large, plus philosophique par nature, est de faire de la Grèce un pôle mondial de discussion sur l'éthique et l'IA. Nous souhaitons donc réunir les plus grands penseurs pour débattre des questions philosophiques les plus pertinentes sur l'IA.

«Aujourd'hui, nous avons plus de retours que de départs»

A vos yeux, à quel moment s'est produit le point de bascule pour la tech grecque ?

Je pense que le changement a commencé pendant la crise. Les gens cherchaient des alternatives et je pense que cela a vraiment pris son essor au cours des six dernières années.

Je pense qu'à un moment donné, pendant la crise, un grand changement culturel s'est produit et, bien sûr, nous l'avons soutenu. Parallèlement, en termes de rétention des talents, nous faisons également revenir des personnes de l'étranger. Aujourd'hui, nous avons plus de retours que de départs.