En juillet, Qonto a officiellement déposé une demande de licence bancaire auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Un tournant stratégique encore rare dans l’écosystème des néobanques et plateformes Banking-as-a-Service (BaaS), où beaucoup d’acteurs ont construit leur croissance sur un modèle “light”, c’est-à-dire sans agrément bancaire propre. Certes, Revolut, N26 et Bunq disposent bien d’une licence bancaire, mais leur cœur de métier reste davantage centré sur les particuliers. Quant à Memo Bank, elle opère avec une licence bancaire depuis l’origine, mais sur un modèle plus traditionnel, misant sur la relation humaine avec les PME, là où Qonto fait le pari d’un outillage technologique natif, pensé pour un passage à l’échelle.
Cette décision soulève une question centrale : sommes-nous à l’aube d’un changement de cycle, ou face à un choix spécifique, taillé pour le profil singulier de Qonto ?
Depuis 2015, de nombreuses fintechs ont émergé en modèle “light” en s’appuyant sur des plateformes de Banking-as-a-Service (BaaS) comme Solaris ou Treezor. Ce modèle leur permet d’opérer sans licence bancaire propre, en déléguant la gestion des comptes, des cartes ou du process Know Your Customer (KYC) à un acteur régulé. C’est d’ailleurs ce qui a permis l’essor de fintechs comme Lydia, Pixpay ou Penta, rachetée par Qonto en 2022, toutes clientes de ces infrastructures.
Néanmoins, ce modèle atteint ses limites, et particulièrement en B2B. Lorsqu’une fintech ne maîtrise pas directement son stack réglementaire, c’est-à-dire les composants technologiques et réglementaires essentiels à son autonomie opérationnelle, elle subit un empilement de prestataires et de coûts (Payment Service Provider, BaaS, partenaires de crédit, KYC/AML), avec à la clé une érosion de marge significative et une dépendance forte. C’est d’autant plus critique quand chaque client rapporte plus de revenus comme dans un univers B2B, et où donc le panier moyen est plus élevé, le churn (la perte de clients) plus faible mais les attentes fonctionnelles plus fortes (permissions, intégrations comptables, gestion de trésorerie…). La dépendance devient alors un frein. Le time-to-market ralentit, la personnalisation décline, et l’accès partiel à la donnée transactionnelle freine l’innovation produit.
Or, c’est précisément le segment B2B que Qonto cible, et notamment les freelances, startups, PME et ETI. Qonto est donc dans une situation unique pour s’extraire de cette logique.
Une licence bancaire synonyme de levier
Dès 2019, l’entreprise a déjà internalisé des briques structurantes comme l’émission de cartes, la génération d’IBANs ou la gestion des paiements. Elle a démontré une solide discipline opérationnelle, avec l’atteinte de rentabilité en 2023, et opère désormais avec une profondeur fonctionnelle notable, renforcée par l’acquisition de Regate, le lancement de Qonto Intelligence ou encore sa propre offre Pay Later.
Mais Qonto reste limité par le cadre de leur licence actuelle d’établissement de paiement : les prêts ne peuvent excéder 12 mois et doivent être financés sur fonds propres. Devenir une banque implique une mobilisation de capital bien plus importante, mais aussi un accès à des leviers de rentabilité plus puissants. La licence bancaire ouvrirait alors un levier structurant : recours aux dépôts clients pour se refinancer, octroi de prêts, rémunération de l’épargne, et, à terme, une capacité à générer potentiellement jusqu’à 20 points de marge complémentaire. Ce mouvement permettrait à Qonto de fluidifier l’usage du capital client, d’en renforcer la rétention, et d’améliorer ainsi la prévisibilité des intérêts et des revenus d’interchange - tout en diversifiant son modèle économique.
Il s’agit d’une maturation assumée et l’approfondissement de la promesse initiale de Qonto : devenir le partenaire central de la gestion financière des PME européennes. Cette trajectoire est rendue encore plus pertinente par un contexte réglementaire en mutation dans lequel les exigences de conformité s’alourdissent, et ce, y compris pour les fintechs non bancarisées. L’écart de coûts liés à la conformité se réduit, et le différentiel en matière de marge et d’autonomie commence à pencher en faveur d’un modèle intégré, à condition de réunir les bonnes briques. C’est précisément ce que Qonto semble avoir construit depuis plusieurs années.
Est-ce généralisable ? Non. Le modèle BaaS reste pertinent pour beaucoup d’acteurs. Mais Qonto dispose d’un rare alignement entre maîtrise en interne de l’ensemble de ses briques technologiques clés (tech stack propriétaire), profondeur segmentaire, obsession client et solidité financière. Ce choix n’est pas seulement rationnel : il est différenciant. Et pourquoi pas, préparer le terrain d’une IPO à l’horizon 2027 ?
Demander une licence bancaire n’est pas, pour Qonto, un changement d’identité. C’est l’opportunité d’étendre son périmètre produit tout en restant fidèle à son segment PME exigeant mais riche et durable. C’est le socle qui pourrait aligner vision produit, maîtrise opérationnelle et levier bancaire, pour faire de Qonto non pas une alternative aux banques, mais un acteur à part, pensé pour les PME d’aujourd’hui, et surtout de demain. Une trajectoire que la feuille de route du développement produit, de Qonto Intelligence (IA & trésorerie) à Qonto Embed (embedded finance), illustre d’ailleurs déjà avec clarté.