Les entreprises de taille intermédiaire ne sont plus spectatrices. En 2024, leur intérêt pour l’intelligence artificielle connaît une nette progression. Mais à la différence des grandes entreprises, où les feuilles de route sont structurées, les ETI adoptent une approche plus fragmentée, guidée par les cas d’usage et la recherche de valeur.

La vague IA gagne les ETI… à leur rythme

« On partait d’assez loin », observe Florence Naillat, déléguée générale adjointe du METI. « L’IA restait en queue de peloton des priorités, aussi bien en termes d’investissement que de maturité », poursuit-elle. Mais cette année, il semblerait que les choses s’accélèrent. Selon le baromètre Future Ready du METI et d’EY, 38 % des dirigeants ont lancé des actions de montée en compétences. D’après le rapport, le marketing (35 %), les opérations (28 %) et la relation client (25 %) figurent parmi les premiers domaines où les ETI ont commencé à déployer l’IA.

Mais la prudence reste de mise. « Le retour sur investissement est encore difficile à objectiver », rappelle Florence Naillat. « Dans un contexte de tensions budgétaires, les dirigeants sont de plus en plus contraints d’arbitrer entre IA, cybersécurité, décarbonation ou relocalisation », souligne-t-elle. Autre frein : le manque de repères. « Ce qui manque aux dirigeants, ce sont des exemples concrets dans leur écosystème proche. Pas chez les grands groupes, mais des cas d’usage chez des pairs, sur des sujets comparables », avance-t-elle. D’où l’importance, selon elle, de valoriser les initiatives pionnières, en particulier via le plan Osez l’IA, dont le METI est partenaire. Mis en œuvre par le gouvernement, celui-ci vise à accélérer considérablement le déploiement de l’IA dans les entreprises. Seuls 13% des PME utilisent aujourd’hui l’IA. L’objectif de l’exécutif est que 80% des ETI et PME françaises s’en emparent. 

Une IA d’abord pragmatique

Des ETI ont d’ores et déjà bien entamé leur transition vers l’IA à l’instar de l’entreprise Garance, avec des cas pratiques très concrets. Cette mutuelle indépendante de 250 salariés, spécialisée dans l’épargne, a enclenché sa transition IA sans dogme ni plan quinquennal. « L’IA est arrivée chez nous par des cas d’usage très concrets, intégrables sans recruter une armée de data scientists », résume Laurent Tilhac, Directeur Data et Systèmes d’Information. « Les solutions “sur-étagère” de Salesforce et d’autres éditeurs, alliés aux API de MuleSoft nous ont permis de déployer ces cas d’usage IA plus rapidement que nous ne l’aurions pensé », ajoute-t-il.

Premier cas déployé : la souscription automatisée via reconnaissance de documents. « On voulait supprimer toute rupture dans les parcours digitaux, y compris la vérification manuelle des pièces justificatives », partage-t-il. Même logique sur le traitement des changements de RIB : lecture automatique du document, validation des données, génération du mandat SEPA, signature électronique, puis archivage, sans aucune intervention humaine.« Sur ce point, nous avons notamment pu bénéficier du socle API de MuleSoft, grâce auquel nous avons pu aller chercher des solutions de reconnaissance de documents qui étaient déjà APIsées. Cela nous a permis d’aller plus vite dans le déploiement », commente Laurent Tilhac.

« Ce sont ces résultats visibles et mesurables qui nous ont convaincu de passer à l’échelle », souligne Laurent Tilhac. « Notre objectif est clair : multiplier notre chiffre d’affaires par 3 d’ici 2028 sans pour autant tripler les effectifs  », confie-t-il. L’IA devient alors un levier indispensable de productivité, mais aussi un vecteur d’image. « On ne fait pas de l’IA pour faire joli, mais on en parle, parce que ça marche », affirme Laurent Tilhac.

De l’assistanat à la décision automatisée

L’étape suivante pour Garance, et déjà bien entamée, consiste à doter l’IA de capacités décisionnelles encadrées. C’est l’objet d’un POC en cours avec Salesforce : un agent IA, alimenté par l’ensemble des documents envoyés par un client, sera capable de qualifier la demande (retrait, changement de situation, etc.) et d’enclencher les bons workflows.

« Agentforce qualifie déjà certaines demandes aussi bien, voire mieux, que nos gestionnaires », note Laurent Tilhac. La suite est déjà anticipée : une fois la demande correctement catégorisée, l’agent pourra déclencher, de manière sécurisée, plusieurs traitements en parallèle. Mais ici, rien n’est laissé au hasard. « Tant que les données extraites ne sont pas jugées fiables à 100 %, on ne valide pas le POC », insiste-t-il. Toute la chaîne de traitement repose sur une gouvernance data robuste : référentiels, catalogue, qualité des données et traçabilité.

L’IA générative infuse, mais reste sous contrôle

Côté collaborateurs, Garance a fait le choix de l’acculturation à grande échelle. « Quand on a lancé un audit interne, on a découvert que de nombreuses personnes utilisaient déjà ChatGPT en mode stand alone dans le cadre de leur travail quotidien », raconte Laurent Tilhac. Résultat : une licence Enterprise a été déployée, avec sessions de formation obligatoires, ateliers sur le prompt engineering et sensibilisation aux biais. « On ne voulait pas brider, mais encadrer. Interdire, c’est inefficace. Il faut accompagner les usages, tout en posant des garde-fous clairs », insiste-t-il.

La posture se veut responsable : les outils sont testés, audités (notamment sur le volet RGPD), et intégrés uniquement s’ils respectent les exigences du RSSI et du DPO. « On refuse certains fournisseurs, même performants, s’ils ne sont pas conformes. On ne joue pas avec la donnée client », rappelle Laurent Tilhac.

Ne pas tout faire soi-même, un choix stratégique

Pour Florence Naillat comme pour Laurent Tilhac, la clé d’une adoption efficace de l’IA par les ETI tient en une phrase : rester pragmatique. « Il faut arrêter de penser que l’IA impose de tout réinventer et de développer des solutions en interne. Il existe des solutions performantes, accessibles, qui ne demandent pas de tout construire soit même », estime le Directeur Data de Garance.

Même constat côté METI. « Les dirigeants ont relevé leur niveau d’exigence, mais ils savent aussi que leur fenêtre de tir est courte », rappelle Florence Naillat. D’où l’importance d’éviter l’effet vitrine, les POC sans suite ou les modèles internes qui ne passent jamais en production.

L’IA ne transforme pas les ETI par magie. Mais chez celles qui ont trouvé le bon point d’entrée, elle progresse vite. À condition de savoir prioriser les bons cas d’usage, de s’appuyer sur un socle data robuste, de miser sur la pédagogie plutôt que sur la restriction, et de ne pas confondre autonomie et isolement technologique.