Clara est française, son associé est allemand. Ensemble, ils ont convaincu des investisseurs londoniens de miser cinq millions d’euros sur leur idée. Mais leur société ? Elle est enregistrée… au Delaware. Non par choix de cœur, mais par nécessité. Là-bas, une startup s’incorpore en 48 heures pour quelques centaines de dollars, avec un contrat standardisé qui rassure investisseurs et fondateurs. Ici, en Europe, les mêmes démarches prennent des semaines, parfois des mois, au prix de milliers d’euros en honoraires et d’une paperasse qui décourage les plus résilients.

Ce paradoxe est devenu banal : chaque année, des centaines de jeunes pousses européennes traversent l’Atlantique… sur le papier. L’Europe a les talents, le capital, les ambitions. Ce qu’elle n’a pas, c’est une infrastructure juridique simple et commune pour ses startups.

Arthur Mensch, fondateur de Mistral, l’a dit sans détour : « Without an ambitious yet simple '28th regime', we risk losing another generation of European innovators. »

EU-INC, une révolution silencieuse

Face à ce constat, une proposition a émergé : EU-INC, le fameux “28e régime”.

Son principe est limpide : offrir une forme juridique paneuropéenne, optionnelle, qui permettrait à une startup de lever à Berlin, recruter à Lisbonne, s’implanter à Varsovie — sans devoir renaître juridiquement à chaque frontière.

Le blueprint d’EU-INC propose des mesures concrètes :

  • un statut unique, simple et rapide, valable dans les 27 pays ;
  • un registre central numérique, véritable guichet unique européen ;
  • un instrument d’investissement standardisé, l’EU-FAST, inspiré du SAFE américain et du BSA-AIR français ;
  • un régime commun de stock-options (EU-ESOP), pour harmoniser l’attractivité des talents.

Aujourd’hui, il faut parfois 5 000 euros d’honoraires et trois mois de démarches pour accorder des stock-options en France, contre quelques jours et moins de 100 euros aux États-Unis. Cet écart n’est plus soutenable pour nos fondateurs.

Un écosystème mobilisé comme jamais

Ce projet n’est pas une chimère d’experts. C’est un mouvement. 18 000 fondateurs, investisseurs et acteurs de l’écosystème ont déjà signé en soutien. Ils n’étaient que 5 000 il y a quelques mois. La mobilisation croît à vue d’œil.

Parmi eux : Stripe, Wise, Atomico, Accel, Mistral, Personio. Mais aussi des centaines de fondateurs anonymes, qui butent chaque jour sur les lourdeurs nationales.

Niklas Zennström, cofondateur de Skype, l’a rappelé : « Europe has no shortage of talent, ambition, or ideas, but it still lacks a functional Single Market for startups to scale. This can’t be symbolic. It must be co-created with the founders building Europe’s tech future. »

Et du côté politique, la prise de conscience s’installe. Ursula von der Leyen elle-même a martelé que « continental scale is our biggest strength ». Mario Draghi, dans son rapport sur la compétitivité, a pointé l’absence d’intégration des marchés du capital comme l’un des freins majeurs à l’innovation européenne.

L’heure de vérité pour Bruxelles

La Commission européenne a clos sa consultation publique. Les contributions sont désormais sur la table. Deux chemins s’offrent à nous :

  • une réforme ambitieuse, simple, pensée avec et pour les fondateurs, capable de transformer durablement l’écosystème ;
  • ou un texte technocratique, édulcoré, qui s’ajoutera au mille-feuille réglementaire sans rien résoudre.

Ce choix n’est pas technique. C’est un choix politique. Il déterminera si l’Europe veut être un continent d’entrepreneurs ou rester un marché de consommateurs.

Une chance historique

L’Europe a déjà connu ses traités fondateurs : Rome, Maastricht, Lisbonne. EU-INC pourrait devenir celui de sa souveraineté technologique.

Car une Europe sans startups n’aura jamais de puissance économique. Et des startups sans Europe ne seront jamais vraiment européennes.

EU-INC n’est pas seulement une réforme juridique. C’est un pari, un acte de confiance dans nos fondateurs, nos talents et notre capacité à écrire notre propre histoire.

Le temps des hésitations est révolu. L’Europe doit cesser d’être un archipel réglementaire pour redevenir enfin un véritable continent d’entrepreneurs.