Actus par Maddyness avec Lerins
écrit le 8 octobre 2025, MÀJ le 8 octobre 2025
8 octobre 2025
Temps de lecture : 14 minutes
14 min

Intrapreneuriat : 10 règles d’or à connaître avant de lancer un projet

Monter son projet sans quitter son entreprise ? C’est la promesse – grisante et en même temps pleine de challenges– de l’intrapreneuriat. Pour que l’expérience ne tourne pas court, mieux vaut cadrer le terrain dès le départ et anticiper. Statut, gouvernance, sortie… Voici 10 règles à connaître avant de se lancer.
Temps de lecture : 14 minutes

Monter son projet sans quitter son entreprise ? C’est la promesse – grisante et en même temps pleine de challenges– de l’intrapreneuriat. Pour que l’expérience ne tourne pas court, mieux vaut cadrer le terrain dès le départ et anticiper. Statut, gouvernance, sortie… Voici 10 règles à connaître avant de se lancer.

Popularisé dans les années 1980 par l’Américain Gifford Pinchot, le concept d’intrapreneuriat repose sur une idée phare : donner à ses salariés les moyens d’innover comme des entrepreneurs… tout en restant dans l’entreprise. En pratique, cela suppose de leur accorder des marges de manœuvre, des ressources et une gouvernance spécifiques, sans pour autant rompre totalement avec les logiques corporate. Ce modèle leur permet de transformer une intuition en activité autonome, parfois jusqu’à créer une entité juridique propre : l’« intraprise », liée actionnarialement au groupe d’origine, mais avec ses propres codes.

L’intrapreneuriat répond à de nombreux objectifs : stimuler la culture de l’innovation, attirer des talents, préparer des ruptures technologiques ou explorer de nouveaux marchés. Mais il bouscule aussi les équilibres établis et soulève de nombreuses questions juridiques, RH et politiques. Alors comment encadrer cette démarche sans l’étouffer ? Quels sont les points de vigilance à chaque étape ? Et comment accompagner les intrapreneurs dans ce parcours singulier ?

Voici un guide pratique en 10 points, fondé sur les recommandations du cabinet d’avocats Lerins, pionnier du sujet, et enrichi du retour d’expérience de Nicolas Miravalls, cofondateur d’ORIS Materials Intelligence, plateforme française de référence pour la conception d’infrastructures durables (routes, voies ferrées), née au sein d’un groupe du secteur de la construction après six ans de gestation.

1. Comprendre la logique propre à l’intrapreneuriat 

Loin d’un simple projet d’innovation ou d’un incubateur, l’intrapreneuriat engage des collaborateurs dans une posture d’entrepreneur interne, avec une ambition de création d’activité autonome, parfois à la frontière de l’activité actuelle du groupe. « L’intrapreneuriat suppose une double culture : une vision entrepreneuriale indépendante et une compréhension fine des enjeux politiques du groupe. Les acteurs doivent savoir parler les deux langues », résume Laurent Julienne, avocat associé et partner du cabinet Lerins en charge de la pratique Intrapreneuriat. Selon lui, il existe une tension permanente entre autonomie et appartenance au groupe. 

« Pour faire avancer notre idée au départ, on a dû se mettre en “mode furtif”, avancer sous les radars, à côté de nos missions habituelles », corrobore Nicolas Miravalls, cofondateur et CEO d’ORIS Materials Intelligence. « Sans espace dédié à l’incubation, tout repose sur la passion des porteurs et un terreau favorable. Nous avons l’opportunité de bénéficier d’une excellente plateforme, sur les équipements et l’état d’esprit, au sein du centre d’innovation du groupe »

2. Cadrer le projet dès les premières phases

Un projet d’intrapreneuriat suit généralement cinq phases :

  • Idéation : exploration d’une idée ou d’un usage ;
  • Maturation : évaluation de la faisabilité technique et économique ; 
  • Accélération : prototypage et tests ; 
  • Lancement : mise sur le marché via une intraprise ; 
  • Sortie ou intégration : le projet devient une filiale, est vendu ou réintégré.

Chacune de ces étapes nécessite de nouvelles compétences, de nouveaux soutiens… et une bonne dose de storytelling pour convaincre chaque niveau. Cela implique de clarifier l’intention stratégique, d’identifier les sponsors internes et d’aligner les attentes. « Il faut outiller l’intrapreneur pour qu’il soit audible par les organes de gouvernance du groupe. On ne s’adresse pas à un COMEX comme on le ferait à un investisseur privé », insiste Laurent Julienne.

En effet, il est parfois ardu de convaincre les instances de décision au sein des grands groupes, selon Nicolas Miravalls : « Le plus difficile, c’est d’obtenir les bons alignements. Nous avons identifié trois moments pivots : le lancement R&D, la création de la société, et enfin le carve-out – terme issu de la finance et du droit des affaires qui désigne l’extraction d’une activité ou d’une entité d’un groupe souvent dans le but de la céder ou de l’ouvrir à des investisseurs. À chaque étape, il faut réunir et embarquer finance, RH, legal, compliance, direction… et ça prend parfois 18 mois. Une fois en place, cet alignement fournit une excellente dynamique de création.»

3. Donner une existence juridique au projet 

« Lorsque le projet est trop décalé par rapport aux métiers du groupe, il faut envisager une structure autonome pour lui permettre d’exister et de se développer dans un cadre juridique adapté », explique Laurent Julienne. Autrement dit, quand un projet intrapreneurial ne s’inscrit pas naturellement dans les activités existantes du groupe, il peut être nécessaire de créer une structure juridique propre, souvent sous la forme d’une Société par actions simplifiée (SAS). Cette autonomisation permet au projet de disposer de ses propres moyens humains et matériels et d’évoluer à son rythme et d’alléger les contraintes habituelles liées aux process du groupe. Elle nécessite néanmoins de penser à tout : gouvernance, marque, propriété intellectuelle ou encore articulation avec les équipes du groupe. « Cela permet d’incarner le projet, de le rendre lisible, mais impose en retour de clarifier sa place dans l’écosystème du groupe. » selon Laurent Julienne.

4. Instaurer une gouvernance adaptée

96% des entreprises donnent à leurs collaborateurs la possibilité de s’investir dans leur stratégie d’innovation. Mais seulement 60 % d’entre elles ont mis en place un programme d’intrapreneuriat. Or, l’intraprise a besoin d’agilité pour aller vite (choix des fournisseurs, recrutements, décisions stratégiques). « La gouvernance est le principal lieu de friction. Soit elle est trop lâche et le projet dévie, soit trop intrusive et l’intrapreneur décroche. La clé est de créer un organe stratégique spécifique, hybride, composé d’internes et de gens extérieurs au groupe », insiste Laurent Julienne. « Ce qui bloque souvent, c’est la difficulté éprouvée par les comités stratégiques de groupe pour gérer l'incertitude ou l’informalité d’un projet early stage. Il faut créer une gouvernance alternative et spécifique. »  L’équilibre passe par la mise en place d’une gouvernance équilibrée, qui laisse un espace suffisant aux porteurs de projet tout en garantissant un reporting minimal vers ce dernier. 

« La gouvernance est vraiment critique. Il faut éviter la reprise en main permanente du corporate du groupe incubateur, tout en lui assurant un reporting complet. Chez nous, les décisions se prenaient grâce à notre alignement avec notre comité de surveillance. Cet alignement reste fragile car facilement remis en cause à chaque changement dans l’organisation du groupe », confie Nicolas Miravalls.

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5. Sécuriser les actifs immatériels dès le début 

Dès le premier jour, un projet d’intrapreneuriat s’appuie sur des actifs immatériels précieux : idée originale, nom de marque, code informatique, design, concept de service, algorithme… Pourtant, beaucoup d’entreprises attendent le dépôt d’un brevet ou la levée de fonds pour se poser la question de la propriété.
Erreur classique : ne pas anticiper les « zones grises » ce qui peut générer des tensions entre le groupe, l’intrapreneur et d’éventuels partenaires. « En droit français, les œuvres de l’esprit appartiennent au salarié, sauf disposition contraire dans le contrat », rappelle Laurent Julienne. « Il faut donc sécuriser la chaîne des droits dès la phase d’idéation. »

Voici les trois réflexes à adopter pour éviter les mauvaises surprises :

  • Identifier tous les actifs immatériels du projet

     

Avant même la création juridique de l’intraprise, il est essentiel de faire un inventaire en se posant trois questions clés : le projet repose-t-il sur un code, une base de données, un prototype, un nom, une méthode ? Certains éléments ont-ils été déposés à titre personnel par le ou les porteurs de projet ? Le groupe a-t-il mis à disposition des ressources protégées (brevet, marque, licence) ? Objectif : éviter qu’un intrapreneur ou un tiers ne revendique ultérieurement un droit de propriété sur des actifs immatériels. Cela suppose une gouvernance claire sur ce point et des outils juridiques mis en place en amont.

  • Organiser la cession des droits de manière formelle

     

Même si le projet est développé sur le temps de travail, cela ne signifie pas que l’entreprise est propriétaire de tout. Seuls des actes écrits (contrat, avenant, pacte…) permettent d’organiser la cession de droits d’auteur, brevets ou marques. « L’objectif est clair : que tous les droits de propriété intellectuelle soient transférés à l’intraprise dès sa création », précise Laurent Julienne. Cela concerne aussi bien les salariés que les prestataires ou partenaires techniques impliqués ou encore bien sûr les porteurs de projet eux-mêmes.

  • Protéger l’antériorité du projet

     

En droit français, les idées ne sont pas protégeables : seule leur concrétisation matérielle est susceptible de l’être. Pour éviter les situations de parasitisme ou d’appropriations abusives, utilisez une enveloppe Soleau (via l’INPI) pour horodater l’idée, ou faites un dépôt chez un avocat ou un commissaire de justice (huissier). Il est recommandé de faire signer des accords de confidentialité (NDA) à tous les interlocuteurs externes avant tout échange. « Il faut sécuriser le porteur mais aussi le groupe », insiste Laurent Julienne. « Et cadrer les cas de propriété commune : si le groupe met à disposition un brevet ou une technologie, il est légitime qu’il exige une contrepartie en cas de succès. »

6. Anticiper les ressources nécessaires 

« Le groupe nous a apporté un soutien financier solide pour accompagner notre plan. Pour le reste, nous avons dû chercher à l’extérieur. Les expertises dont nous avions besoin n’existaient pas toujours en interne ou n’étaient pas mobilisables facilement », explique Nicolas Miravalls. Un constat partagé par de nombreux intrapreneurs : si le financement de départ est assuré, l’accès aux autres ressources clés – compétences, accompagnement, outils, locaux, ou même clients internes – reste souvent flou, voire limité. C’est pourquoi il est essentiel de formaliser les apports du groupe, dès le lancement du projet : sous forme de contrats d’assistance, de règles de prix de transfert (c’est-à-dire à quel coût on accède à certaines ressources internes), ou encore de limites d’usage précises (temps, volume, conditions).

Autre point clé : éviter que l’intraprise soit pieds et poings liés à l’organisation d’origine. Elle doit pouvoir choisir ses prestataires, internes ou externes, selon ses besoins réels. Inutile, par exemple, de dépendre d’une DSI ou d’un service RH ne pouvant offrir l’agilité requise si cela freine l’avancement du projet. « L’enveloppe ne doit pas être votée annuellement, mais par phase projet. Et les porteurs doivent pouvoir aller chercher leurs propres ressources, y compris en dehors du groupe », insiste Laurent Julienne. Autrement dit, il faut sortir d’un fonctionnement budgétaire classique pour adopter une logique plus agile, calée sur les étapes du projet : exploration, expérimentation, déploiement.

7. Gérer le statut des porteurs : un changement juridique à bien encadrer

Le passage du statut de salarié à celui de dirigeant d’intraprise ne se fait pas sans secousses.
« Le passage d’un statut de salarié à celui de mandataire social peut être un choc. Nous avons aussi choisi de ne pas proposer de filet de sécurité aux collaborateurs venant du groupe incubateur, car nous devions garantir une totale indépendance stratégique et technologique. C’était un pari risqué », confie Nicolas Miravalls.

Dans ce type de configuration, l’intrapreneur devient mandataire social, avec toutes les responsabilités que cela implique : absence de couverture chômage, exposition personnelle.


Il est donc indispensable de sécuriser juridiquement cette bascule, en prévoyant par exemple une indemnité de révocation, une assurance responsabilité civile des mandataires sociaux (RCMS) ou une protection contre les risques de gouvernance. « Ce changement est souvent mal appréhendé. Le collaborateur devient président ou DG d’une SAS : plus de contrat de travail, plus de chômage, et révocation ad nutum. Cela nécessite un accompagnement et des protections spécifiques », alerte Laurent Julienne.

8. Aligner les intérêts avec un package motivant et bien cadré

Sur le plan RH, un management package peut être mis en place pour aligner les intérêts du groupe et du porteur de projet, surtout si ce dernier prend des risques personnels importants (carrière, réputation). Laurent Julienne souligne que l’enjeu est de « reconnaître l’implication et la prise de risque par un accès clair et sécurisé au capital », via des actions gratuites ou, si les conditions légales sont réunies, des BSPCE (Bon de Souscription de Parts de Créateur d’Entreprise). Mais attention au calendrier de mise en œuvre, qui doit intervenir suffisamment tôt pour être lisible et motivant. « Le package est aussi un sujet politique. Il doit à la fois rassurer l’intrapreneur quant à la reconnaissance de son travail, mais aussi être compris et bien perçu par le groupe. C’est une alchimie », poursuit-il. 

Autre point nodal : le partage de la création de valeur avec les salariés. « Il doit être lisible et mis en place en amont  », insiste l’avocat. Donner accès au capital est un levier de motivation puissant — encore faut-il que ce soit juridiquement et fiscalement structuré. Chaque outil a ses conditions d’éligibilité. Et il faut penser à la sortie : que se passe-t-il si le projet échoue ? Si le groupe cède ses parts ?  « Seule l'étape de carve-out final permet aux fondateurs et aux salariés de prendre des parts au capital. C’est essentiel pour embarquer les talents dans la durée », corrobore Nicolas Miravalls.

9. Formaliser une charte d’intrapreneuriat : poser un cadre clair et protecteur

Trop souvent oubliée dans l’enthousiasme des débuts, la charte d’intrapreneuriat est pourtant une brique essentielle pour encadrer la relation entre le groupe et l’intrapreneur. Sans être un contrat, elle agit comme une boussole commune, qui sécurise les rôles de chacun et trace les lignes rouges à ne pas franchir. « La charte permet d’anticiper les tensions en clarifiant les engagements mutuels, les responsabilités, les droits de propriété et les conditions de sortie. Elle évite les malentendus sans pour autant figer le processus d’innovation », explique Laurent Julienne. 

Concrètement, une bonne charte d’intrapreneuriat détaille notamment :

  • les objectifs du projet d’intrapreneuriat et son périmètre ;
  • les règles de gouvernance entre l’intrapreneur, le groupe et les éventuels investisseurs ;
  • les ressources mises à disposition (temps, budget, appui juridique…) ;
  • les engagements du porteur et les contreparties prévues en cas de succès ou d’échec ;
  • les règles de propriété intellectuelle et de confidentialité ;
    les modalités de sortie (reclassement, retour dans le groupe ou poursuite autonome).

Elle agit comme un signal politique fort, en montrant que le groupe assume de sortir du cadre pour faire place à un nouvelle manière de conduire l’innovation. « C’est un outil de confiance et de transparence, qui rassure à la fois les intrapreneurs et les fonctions support du groupe », poursuit Laurent Julienne. « La machine corporate finit toujours par reprendre le dessus si rien n’est formalisé. Même avec des statuts clairs, le poids des process internes nous ramenait à un fonctionnement strictement corporate. Il faut des garde-fous dès le départ, une charte, avec des enjeux bien compris et partagés, en fait partie », souligne Nicolas Miravalls.

10. Préparer l’entrée de partenaires industriels ou financiers

Dès la phase d’accélération, des fonds ou partenaires externes peuvent être sollicités. Cela suppose de redéfinir les équilibres de gouvernance. « Il est essentiel d’anticiper la structuration capitalistique du projet : définir la place de l’intrapreneur dans le pacte d’actionnaires, encadrer les cas de cession ou d’échec, et prévoir des garde-fous pour le groupe. A défaut, le groupe risque de perdre la maîtrise du projet », avertit Laurent Julienne.

Le retour d’expérience d’ORIS Materials Intelligence souligne l’importance de préparer la sortie ou l’ouverture du capital à l’extérieur : « En 2025, nous étions devenus trop gros pour que le carve-out se fasse facilement. Si cela avait pu être structuré dès 2019, cela aurait coûté beaucoup moins en termes de temps passés et de frais. Le coût de “l’attente” peut se révéler très important pour des petites structures et mieux vaut décider rapidement », confie Nicolas Miravalls.

Le conseil bonus : instaurer une culture de l’intrapreneuriat

Au-delà des projets ponctuels, c’est une véritable culture de l’innovation qu’il faut installer dans le groupe: droit à l’essai, reconnaissance des trajectoires atypiques, capitalisation des retours d’expérience. Laurent Julienne souligne l’importance de constituer un vivier d’alumni, de valoriser ces parcours dans les trajectoires RH, et de veiller à ce qu’un intrapreneur ne soit pas pénalisé en cas de retour dans le groupe après un projet non abouti.

Nicolas Miravalls, quant à lui, insiste sur l’invisibilisation des intrapreneurs dans l’écosystème business et tech : « On parle beaucoup d’entrepreneurs, mais très peu des intrapreneurs. Pourtant, l’énergie déployée est parfois plus grande encore. Il faut des récits, des “role models” et reconnaître cette voie comme une vraie trajectoire de carrière. »

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