L’IA générative a investi l’industrie publicitaire à une vitesse vertigineuse. En quelques mois, les timelines ont été saturées de visages synthétiques, de voix clonées, de scripts générés à la volée. Le marché s’est enthousiasmé pour ces contenus accélérés, impressionnants, rentables. Mais à mesure que les outils se perfectionnent, une question de fond émerge : qui parle, quand l’algorithme s’exprime à notre place ? Que raconte-t-on vraiment, quand on délègue la narration à une machine ?
Les marques sont confrontées à un paradoxe. Elles veulent aller vite, capter l’attention, produire plus. Mais elles veulent aussi émerger, toucher juste, créer de la confiance. Et cela ne se décrète pas avec un filtre ou une voix off générée. La technologie, aussi performante soit-elle, ne remplace pas ce qui fait la force d’un récit : sa sincérité.
Le risque d’un storytelling désincarné
L’enjeu ne se situe pas dans l’usage ou non de l’IA, mais dans le type de contenu que l’on choisit de produire. À force de tout automatiser, de tout rationaliser, le risque est de perdre ce qui rend une prise de parole réellement mémorable : la nuance, le regard, le vécu. Une vidéo peut être fluide, techniquement irréprochable, et pourtant ne rien raconter de particulier. Le format lisse, sans aspérité, est confortable. Mais il est aussi interchangeable.
Ce qui distingue un contenu de marque fort d’un contenu jetable, c’est sa capacité à toucher une vérité humaine. Or, les contenus générés par IA, s’ils sont efficaces sur le court terme, ont tendance à aplanir les discours, à standardiser les émotions, à produire du « déjà-vu » dès sa première diffusion. L’originalité devient difficile à préserver quand tout se construit à partir des mêmes bases de données.
L’IA n'est pas une fin en soi
L’intelligence artificielle n’est pas un ennemi. Elle peut aider à visualiser plus rapidement une intention, à tester des angles, à fluidifier certaines étapes techniques. Refuser en bloc l’IA serait une posture vaine. Mais la placer au centre du processus créatif l’est tout autant. L’IA ne remplace pas l’idée.
Comme tout outil, elle a sa place dans une démarche globale. Mais elle ne doit pas devenir le moteur de la création. À partir du moment où la machine décide du ton, du rythme, des intentions, ce n’est plus un film de marque : c’est un produit de catalogue. La valeur d’un contenu ne se mesure pas à sa capacité à impressionner, mais à celle de raconter quelque chose de juste et de durable.
Le luxe d’un contenu incarné
Dans un contexte saturé de contenus formatés, la singularité devient un luxe. Faire appel à des réalisateurs, des journalistes, des créatifs capables de comprendre un enjeu, de poser les bonnes questions, de créer un récit sur mesure, c’est aujourd’hui une démarche différenciante. Non pas par nostalgie d’un certain artisanat, mais parce que la création repose encore, et toujours, sur la capacité à regarder le réel.
Ce n’est pas une opposition entre IA et humain. C’est une opposition entre standardisation et incarnation. La technologie peut amplifier un message, mais elle ne peut pas lui donner du sens à elle seule. Le contenu qui marque est celui qui porte une voix. Pas celui qui singe toutes les autres.
Ralentir pour mieux se raconter
Dans un monde où tout s’accélère, proposer de ralentir est presque un acte politique. Cela ne signifie pas produire moins, ni forcément dépenser plus. Cela signifie prendre le temps de se demander ce qu’on veut dire, à qui, et pourquoi. C’est accepter que la profondeur est une valeur, pas un obstacle. Et que l’efficacité d’un contenu ne se mesure pas uniquement en clics, mais aussi en résonance.
Les marques ne cherchent plus seulement des effets visuels. Elles veulent être comprises. Elles veulent qu’on les écoute, qu’on les traduise, qu’on les aide à dire juste. L’enjeu n’est pas de s’opposer à l’IA, mais de rappeler ce qui, dans un récit, ne pourra jamais être automatisé : l’émotion, la confiance, la vérité.
Créer prend du temps. Que l’on travaille avec une intelligence artificielle ou avec une équipe humaine, raconter juste suppose un ralentissement volontaire : pour comprendre, affiner, choisir ce qui compte vraiment. Ce temps-là n’est pas une perte. C’est une ressource.
Et c’est aussi ce qui permet de faire mieux avec moins. Moins de versions inutiles. Moins d’allers-retours. Moins d’énergie gaspillée. Dans un monde qui cherche à réduire son empreinte, produire juste dès la première intention est une forme d’efficacité durable. Ce n’est pas une question de technologie, mais de méthode. Et de choix.