Une rencontre signant l’amitié franco-allemande autour de l’IA s’est tenue aujourd'hui dans un climat d’urgence stratégique alors que l’Europe tente de reprendre la main sur ses technologies clés.
Le sommet s’est clôturé dans l’après-midi par le chancelier allemand Friedrich Merz et le président français Emmanuel Macron, venu pour impulser en tandem cette quête d'indépendance technologique. Étaient présents, outre les dirigeants des deux plus grandes économies européennes, des ministres, la Commission européenne et des patrons d'entreprises du secteur, à commencer par le spécialiste français de l'intelligence artificielle Mistral et le géant allemand des logiciels SAP.
Face à l'ampleur de la révolution technologique en cours, le continent entier a été appelé à reprendre la main sur son destin numérique, alors qu’il est aujourd'hui encore contraint de compter sur les Américains Nvidia, Google, Amazon et OpenAI. « Pendant trop longtemps, l'Europe a été avant tout un client et un spectateur », en raison d’une « réglementation trop complexe » et d’« infrastructures encore en retard », a déclaré le ministre allemand du Numérique, Karsten Wildberger, soulignant que « le temps presse ».
Face au reproche fait à l'Union européenne (UE) de freiner l'innovation avec sa bureaucratie, Bruxelles doit proposer mercredi dans son texte « omnibus » des assouplissements de sa réglementation concernant l'IA et la protection des données.
Centaines de milliards
Cela, espère-t-on, encouragera l'investissement. L'Europe, qui a déjà « le marché, le talent, l'ambition », selon M. Wildberger, doit « atteindre une autre échelle en matière d'investissement, d'innovation et d'adoption ». De son côté, le ministre français de l'Économie Roland Lescure, également chargé de la souveraineté numérique, a souligné qu'il faudrait des « centaines de milliards d'euros chaque année pour rester dans la course ». Mais cet effort doit être européen, pour que les « euros ne deviennent pas des dollars » et que les données européennes le restent. L'Europe ne peut « appeler à la souveraineté numérique (…) tout en laissant la porte ouverte à la big tech pour accéder au cœur même de nos données financières », a-t-il insisté.
Simplifier pour innover
L'UE pourrait imposer aux géants du secteur des services cloud Amazon et Microsoft des règles renforcées, a annoncé la vice-présidente de la Commission chargée du Numérique, Henna Virkkunen. La Commission a ouvert mardi deux enquêtes pour « établir si Amazon Web Services et Microsoft devraient être désignés comme contrôleurs d'accès dans l'informatique à distance », ce qui les soumettrait aux obligations du règlement européen sur les marchés numériques (DMA), a expliqué Mme Virkkunen.
Le DMA est une loi emblématique entrée en vigueur l'an dernier et qui vise à mettre fin aux abus de position dominante des géants technologiques. Un autre enjeu est la création de leaders européens pour s'émanciper de la tutelle américaine. La création d'une « préférence européenne » dans la commande publique est nécessaire, selon le ministre français. Outre la domination des États-Unis, l'Europe est aussi confrontée au défi de sa dépendance à l’égard de l’Asie, en particulier la Chine, pour les équipements, semi-conducteurs ou composants d'ordinateurs. Selon une enquête menée par l'association allemande Bitkom, environ 90 % des entreprises allemandes qui importent des biens ou services numériques se considèrent dépendantes de ceux-ci.
« Musée » technologique ?
Interrogé par l'AFP, le président de Bitkom, Ralf Wintergerst, a souligné l'urgence d'investir massivement. « L'Europe ne doit pas se faire distancer », a-t-il noté. « Si l'Europe ne veut pas devenir un musée technologique, nous devons augmenter les investissements de manière significative. » Mais la bataille est difficile, entre croissance atone, retards accumulés et entreprises miniatures comparées aux rivales américaines.
Ainsi, selon Bitkom, les centres de données européens, un élément clé de la révolution de l'IA, avaient une capacité de 16 gigawatts l'an dernier, contre 48 aux États-Unis et 38 en Chine. Et de récents investissements annoncés en Allemagne ne font qu'illustrer la dépendance vis-à-vis des Américains : l’un des projets est entre les mains de Google, l’autre repose sur les puces du géant Nvidia.