Nous continuons d’appliquer aux réseaux sociaux les règles d’un Internet d’un autre siècle, les hébergeurs se comportent comme des éditeurs. Facebook, X, TikTok ou Instagram sont toujours considérés comme de simples hébergeurs : juridiquement, ils ne seraient pas directement responsables des contenus publiés.

Ce statut n’est plus adapté, car il correspond à une époque où l’hébergeur se contentait de stocker des données sans en connaître le contenu.

En 2025, la réalité est toute autre. Les plateformes choisissent, hiérarchisent et diffusent les contenus selon des critères algorithmiques. Elles ne se contentent plus d’héberger : elles éditent. Appliquer le statut d’éditeur à ces géants les rendrait responsables de chaque publication, une mission impossible à cette échelle.

Il faut donc inventer un statut intermédiaire : celui d’un « hébergeur responsable ». Mais pour l’instant, ce cadre n’existe toujours pas.

Le DSA : une arme européenne encore inoffensive

L’Europe a voulu réagir avec le Digital Services Act (DSA). Sur le papier, le texte promet transparence, modération et responsabilité. Dans les faits, tout reste trop lent.

En France, la levée de l’anonymat est possible, mais prend souvent plus de trois mois. Pour chaque demande, il faut s’adresser à Dublin (Meta), aux États-Unis (Google) ou à la Chine (Tik Tok).
Pendant ce temps, les contenus illicites continuent de circuler, et souvent, derrière les auteurs, il n’y a même pas d’êtres humains, mais des bots ou des algorithmes. Impossible alors de sanctionner.

La fausse promesse de l’anonymat en ligne

L’anonymat total sur Internet est une illusion. Chaque utilisateur laisse des traces exploitables permettant son identification. L’adresse IP, les journaux de connexion ou encore le fingerprinting permettent d’identifier un utilisateur sans cookies, ni collecte directe de données personnelles.

Ces technologies, déjà omniprésentes dans la publicité ciblée, prouvent que la traçabilité en ligne est non seulement possible, mais déjà exploitée à grande échelle. Les plateformes, elles-mêmes, collectent et conservent des informations facilitant la réidentification : adresses e-mail, numéros de téléphone, métadonnées, interactions entre utilisateurs…

Même pseudonymisées, ces données peuvent être recoupées avec d’autres bases pour retrouver l’identité réelle des auteurs. L’enjeu n’est donc pas de « lever » un anonymat inexistant,
mais bien d’adapter nos outils d’enquête et nos procédures d’accès à ces informations.

Une justice trop lente pour un monde instantané

Nos textes ont le mérite d’exister, mais ils ne sont plus adaptés à la vitesse des réseaux. Notre justice reste trop lente pour un environnement où un contenu peut devenir viral en quelques secondes. Il faut des procédures ultra-accélérées, européennes et coordonnées, capables d’agir en temps réel. Tant qu’un juge français mettra 3 mois pour lever l’anonymat d’un compte pendant qu’un algorithme en crée 1 000 autres, notre souveraineté numérique restera une fiction.

Le DSA constitue une base solide, mais sans rapidité, il n’aura aucun impact. Et sans volonté politique, il restera une belle idée sur le papier.

Aujourd’hui, une action en diffamation devant la 17e chambre correctionnelle de Paris dure 12 à 18 mois en première instance, et jusqu’à 2 ans devant la Cour d’appel. Des délais incompatibles avec l’instantanéité des infractions numériques : cyberharcèlement, haine en ligne, diffamation, deepfakes

En tant qu’avocat en droit de la tech, je le constate chaque jour : notre droit n’est pas dépassé par la technologie, il est ralenti par la lenteur de nos procédures, même si le pôle cybercriminalité a le mérite d’exister.

5 pistes pour un droit numérique efficace

  1. Lever l’illusion de l’anonymat en ligne, en adaptant les moyens d’enquête aux réalités techniques actuelles.
  2. S’inspirer du droit de la presse pour encadrer l’identification des auteurs de contenus numériques.
  3. Adapter la procédure afin de permettre une identification plus rapide et plus efficace des auteurs d’infractions en ligne.
  4. Réduire les délais de traitement judiciaire, inadaptés à la viralité et à l’impact immédiat des infractions numériques.
  5. Étendre la certification des comptes, pour renforcer la confiance et limiter les abus.

Conclusion 

Les outils existent, ce qu’il manque, c’est la vitesse d’exécution et le courage politique pour adapter notre droit à la réalité numérique.

Les réseaux sociaux ne sont plus un espace de liberté absolue : ils sont devenus un espace de pouvoir. Et tout pouvoir sans responsabilité finit toujours par menacer la démocratie.