Bienvenue à Tallinn, la capitale de l’Estonie. Après avoir regagné son indépendance en 1991, après les années d’occupation soviétique, le pays a largement misé sur le numérique, d’abord en transformant ses services publics. Le système open-source X-road, lancé par l’Estonie en 2001, X-road est le dispositif d’échange de données chiffrées entre les organismes publics et privés. Chaque transaction est cryptée, horodatée et enregistrée ; les citoyens restent propriétaires de leurs données et peuvent voir à tout moment qui les a consultés. En 2005, la carte d’identité numérique, obligatoire, a permis de lancer le vote en ligne pour les élections locales et nationales. Depuis 2025, 100% des démarches administratives peuvent s’effectuer en ligne (y compris le mariage et le divorce), plus de 3000 e-services sont à ce jour disponibles.
Nécessité fait loi : une numérisation précoce en Estonie
« En Estonie, l’idée de “start-up nation” est née de la nécessité, explique Liina Vahtras, Managing Director du programme e-Residency. Lorsque nous avons retrouvé notre indépendance, nous disposions de ressources limitées, d’une petite population et d’aucun temps à perdre. Mais nous avions aussi la volonté de repenser le fonctionnement d’un État moderne. La numérisation précoce a créé un terrain d’expérimentation national pour l’innovation. Cela signifiait que de nouvelles technologies pouvaient être testées à grande échelle dans un véritable environnement d’infrastructures publiques. »
Aujourd’hui, l’Estonie est en tête des levées de fonds, au regard de sa population : près de 950 euros investis par habitant, loin devant l’Islande qui se place deuxième (environ 500 euros), ou la France, à la dixième position (environ 205 euros). On compte plus de 1 500 startups dans le pays, avec des figures de proue comme Skype, Bolt ou Wise.
« Le succès de Skype a été le moment décisif qui a placé l’Estonie sur la carte mondiale, reprend Liina Vahtras. Plus tard, Wise et Bolt ont démontré que des entreprises compétitives à l’échelle mondiale peuvent être construites à partir d’un petit marché domestique, lorsque le système sous-jacent est conçu pour la rapidité, l’interopérabilité et la confiance. »
Vers une multiplication des « Estoniens numériques »
En 2014, l’Estonie a créé un programme d’e-Résidence. Il s’agit de la première identité numérique délivrée par un gouvernement à des non-résidents, permettant aux entrepreneurs, qu’ils viennent de France ou de presque n’importe où dans le monde, de devenir des « Estoniens numériques » : de créer des entreprises européennes en ligne et de les gérer entièrement à distance.
« Nous avons lancé le programme comme nous aurions lancé une startup, et c’est devenu un produit numérique mature avec une base d’utilisateurs mondiale, résume Liina Vahtras. L’innovation est guidée par l’ambition, et non par la géographie ou la paperasse. »
Des entrepreneurs de plus de 85 pays ont déjà utilisé le programme pour créer et gérer des entreprises entièrement en ligne. Le modèle convient particulièrement aux activités « digital-first » : SaaS, conseil, design, industries créatives, e-commerce. 50% des e-résidents sont issus de pays européens, leur préoccupation principale est de pouvoir se concentrer sur leur cœur de métier sans se soucier de la bureaucratie qui accompagne trop souvent la gestion d’une entreprise dans bon nombre de pays européens.
Des liens renforcés entre la France et l’Estonie
« La France est devenue l’un de nos marchés les plus dynamiques, conclut Liina Vahtras. Sur les neuf premiers mois de l’année 2025, les demandes françaises ont augmenté de 63 %. Sur 11 ans, le programme comptabilise près de 6000 e-résidents français qui ont créé 2200 entreprises. La posture numérique et sécuritaire plus large de l’Estonie montre également ce qu’un petit pays agile peut accomplir : une pression géopolitique constante nous a poussés à développer l’un des environnements de cybersécurité les plus avancés au monde. Tallinn accueille le Centre d’excellence de cyberdéfense coopérative de l’OTAN, et le gouvernement a récemment lancé un fonds de technologies de défense de 100 millions d’euros, transformant un risque de long terme en capacité d’innovation. »
L’Estonie semble donc avoir pris un coup d’avance sur le projet européen de « 28e régime », qui répond à une demande de la part des entrepreneurs pour diminuer les lourdeurs administratives. Ce cadre juridique, s’il était concrétisé, permettrait aux entreprises innovantes d’opérer dans tout le marché unique sans devoir se conformer à autant de régimes nationaux différents.