Oui, l’inflation a ralenti (+0,9 % en octobre 20251). Oui, le pouvoir d’achat a légèrement progressé (+0,2 % au deuxième trimestre¹). Mais pour les ménages, la réalité est plus brutale : loyers en hausse, alimentation toujours chère, dépenses contraintes qui absorbent l’essentiel du budget.

C’est justement quand les budgets sont sous pression que le Black Friday fonctionne le mieux : il donne l’impression, pendant quelques heures, de reprendre la main sur ses dépenses. Pourtant, la descente est implacable. Les chiffres de la Banque de France montrent une hausse de 13,5 % des dossiers de surendettement en un an. Le paiement fractionné, désormais utilisé par 66 % des Français, transforme des achats émotionnels en dettes étalées sur plusieurs mois.

Les microcrédits alimentent discrètement cette dépendance. On le sait : on n’achète plus parce qu’on en a besoin. On achète parce que tout est conçu pour déclencher l’impulsion -  un système qui pousse à reprendre une dose avant même d’avoir ressenti les effets de la précédente.

Posséder plus, utiliser moins : chronique d’une dépendance au Black Friday

Le Black Friday est l’apogée de ce paradoxe : acheter pour posséder, alors même que l’usage réel est dérisoire. L’Ademe le rappelle depuis des années : une perceuse, l’un des outils les plus achetés dans le pays,  n’est utilisée qu’une dizaine de minutes sur toute sa durée de vie². Un achat qui n’a aucun sens écologique… et pas davantage de sens économique pour les ménages, qui immobilisent une part de leur budget dans des biens quasi inactifs. Acheter une perceuse à -40 %, l’utiliser deux fois, la payer en quatre mensualités… ce n’est pas une affaire. C’est une dépendance coûteuse déguisée en promotion.

Et ce schéma se répète dans les catégories stars du Black Friday : high-tech, électroménager, bricolage, sport. À force d’accumuler des objets rarement utilisés, la possession devient une forme de surstimulation matérielle, un système sous perfusion permanente.

Sevrage amorcé : les consommateurs coupent la perfusion 

La bonne nouvelle, c’est que cette logique addictive perd du terrain. Un Français sur deux se dit prêt à louer plutôt qu’acheter pour un équipement utilisé ponctuellement³. 46 % affirment vouloir étaler leurs achats et les réfléchir davantage⁴. On observe un basculement : les consommateurs cherchent moins la frénésie d’une journée que la cohérence d’un achat réfléchi. Certaines entreprises développent des offres de réparation, de seconde main, de location. Des institutions comme l’Ademe encouragent le réemploi et la sobriété. Ce mouvement n’est pas encore la norme, mais il dessine une alternative crédible à l’achat réflexe.

Ce qui devient nécessaire, c’est une désintox nationale face à une mécanique commerciale que nous alimentons tous, souvent malgré nous. Le Black Friday est devenu un réflexe culturel : un rendez-vous presque institutionnel où l’on consomme non parce qu’on en a besoin, mais parce que “c’est le moment”. Sortir de ce réflexe n’est pas un geste individuel : c’est un effort collectif, comparable à une campagne de santé publique où l’on apprend à identifier ce qui nous nuit, à en mesurer les effets, puis à s’en libérer progressivement.

L’économie d’usage : le moyen concret de reprendre le contrôle de sa consommation

L’économie d’usage fait partie de ces antidotes. Elle ne prive de rien : elle réapprend simplement à consommer au rythme de la vie réelle. Payer uniquement pour ce qu’on utilise. Accéder à du matériel fiable et entretenu. Éviter les achats impulsifs qui rassurent une minute, mais pèsent plusieurs mois. Lorsque louer un équipement coûte 10 à 50 fois moins cher que l’acheter, lorsqu’une semaine de VTT familial revient à 540 € contre 1 650 € à l’achat, il ne s’agit pas de morale : il s’agit de cohérence financière.

Sortir de la spirale : choisir l’usage plutôt que l’impulsion

En réalité, la véritable “bonne affaire” de 2025 n’est pas de grappiller quelques pourcentages sur un prix barré. C’est de désolidariser un besoin ponctuel d’un achat durable, de sortir de la logique où l’objet possède le foyer plus que le foyer ne possède l’objet. C’est de réorganiser son budget autour des usages plutôt que des impulsions. C’est aussi - et surtout - de réduire cette accumulation qui étouffe les ménages autant que leurs comptes.

Nous sommes nombreux à être lassés de ce cycle annuel, de cette pression à consommer davantage sans utiliser davantage. Alors peut-être est-ce le moment d’une désintox collective : refuser la frénésie d’une journée pour retrouver la maîtrise d’une année entière. Reprendre le contrôle, non pas sur un panier d’achats, mais sur sa capacité à accéder, partager, utiliser, au moment juste.

La vraie bonne affaire n’est pas de posséder plus. Elle est de retrouver son pouvoir d’usage.

 

1. Insee, 2025 2. Ademe 3. Etude IFOPxLokki, 2025 4. Scalepay, 2025