En avril 2023, New Delhi a lancé sa National Quantum Mission (NQM), dotée d’un financement ciblé et d’objectifs d’une clarté rare. Là où les géants investissent des dizaines de milliards, l’Inde a fait le choix stratégique de concentrer ses moyens sur quelques domaines critiques pour bâtir une véritable souveraineté technologique. Cette approche fait écho à la situation européenne : excellence scientifique indéniable, mais financements fragmentés, dépendances persistantes et difficultés à transformer l’avance académique en leadership industriel.

Une souveraineté quantique bâtie par choix, pas par dispersion

La NQM repose sur quatre piliers structurants. D’abord, le calcul quantique, avec pour objectif de développer des processeurs de 50 à 1 000 qubits dans la prochaine décennie. Ensuite, les communications quantiques, domaine hautement stratégique, où l’Inde vise des réseaux QKD longue distance et des liaisons satellitaires sécurisées. Troisième pilier : les capteurs et la métrologie quantiques, indispensables pour renforcer la navigation souveraine et les communications critiques. Enfin, les matériaux et dispositifs quantiques, afin de réduire une dépendance encore forte aux importations.

Pour mettre en œuvre cette stratégie, l’Inde a structuré son écosystème autour de quatre hubs académiques spécialisés – IISc Bangalore, IIT Madras, IIT Bombay, IIT Delhi – capables d’orienter efficacement investissements, talents et recherche. Cette lisibilité contraste avec les hésitations européennes, malgré un Quantum Flagship solide, des laboratoires de rang mondial et une scène de startups prometteuse. Sur les deux continents, les défis convergent : sous-investissement privé, rareté des composants critiques, coût élevé des infrastructures et risque permanent de fuite des talents.

L’Inde, toutefois, avance rapidement. Elle a déjà démontré une communication quantique sécurisée en espace libre sur un kilomètre, testé un processeur supraconducteur indigène et vu émerger des startups ambitieuses comme QNu Labs, QpiAI ou BosonQ Psi. Dans un secteur où le capital patient manque souvent, la NQM agit comme un accélérateur, là où l’Europe peine encore à articuler financement public, capital-risque et coopération industrielle.

Europe–Inde : vers une alliance quantique face au duopole sino-américain

Au-delà de ces parallèles, l’Inde et l’Union européenne partagent une même préoccupation stratégique : ne pas devenir dépendantes des deux superpuissances du moment dans une technologie qui redéfinira l’équilibre mondial. Ni Bruxelles ni New Delhi ne souhaitent voir leurs communications diplomatiques, leurs infrastructures critiques ou leurs industries de pointe vulnérables à des systèmes développés ailleurs, surtout dans deux superpuissances qui ne poursuivent désormais que leurs propres intérêts. Cette convergence entre l’Europe et l’Inde crée un terrain de coopération inédit, plus profond que le simple dialogue scientifique.

Le moment est d’ailleurs particulièrement propice. Les négociations du futur accord de libre-échange UE–Inde, relancées après une décennie d’interruption, ouvrent une fenêtre unique pour inscrire le quantique dans une relation stratégique plus large : partage d’infrastructures de recherche coûteuses, sécurisation des chaînes d’approvisionnement, mobilité croisée de talents, soutien coordonné aux startups technologiques. Dans un contexte de rivalité sino-américaine, il s’agit moins d’un luxe que d’une nécessité.

À l’heure où les technologies quantiques redéfiniront la cybersécurité, la compétition industrielle et les équilibres géopolitiques, la montée en puissance indienne mérite l’attention des décideurs européens. Pour l’Inde et l’Europe, le combat quantique est le même, avant de pouvoir partager, si elles savent unir leurs forces, un horizon technologique commun.