Oui, l’inflation a ralenti (+0,9 % en octobre 2025). Oui, le pouvoir d’achat a légèrement progressé (+0,2 % au deuxième trimestre). Mais pour les ménages, la réalité est plus brutale : loyers en hausse, alimentation toujours chère, dépenses contraintes, … et de surcroît des coûts liés aux fêtes, repas, cadeaux, décoration. Ces dépenses absorbent l’essentiel du budget familial, rendant toute marge de manœuvre très fragile. C’est justement lorsque les budgets sont sous pression que les opérations commerciales comme le Black Friday, Noël ou les soldes d’hiver trouvent un terrain fertile :  elles donnent l’impression, pendant quelques heures ou quelques jours, de reprendre la main sur ses dépenses.

Pourtant, la descente est implacable. Les chiffres de la Banque de France montrent une hausse de 13,5 % des dossiers de surendettement en un an. Le paiement fractionné, désormais utilisé par 66 % des Français, transforme des achats émotionnels en dettes étalées sur plusieurs mois. Les micro-crédits alimentent discrètement cette dépendance. On le sait : on n’achète plus parce qu’on en a besoin. On achète parce que tout est conçu pour déclencher l’impulsion - un système qui pousse à reprendre une dose avant même d’avoir ressenti les effets de la précédente.

Posséder plus, utiliser moins : chronique d’une dépendance à l’achat

Face à la montée du coût de la vie, les consommateurs tentent de s’adapter. En Europe, 64 % déclarent vouloir acheter d’occasion ou modifier leurs habitudes d’achat pendant les fêtes (GlobeNewswire 2025). En France, le budget moyen prévu pour Noël 2024 plafonne à 497 euros, son plus bas niveau depuis 2017 (Institut CSA), un indicateur clair de la pression qui pèse sur les foyers. Et pourtant, malgré ces arbitrages, les mêmes logiques persistent : 37 % des Français comptent encore sur les promotions de fin d’année pour leurs cadeaux (CSA). Preuve que l’attrait du “bon plan” reste puissant, parfois plus que la réflexion sur l’usage réel des objets achetés.

Car derrière ces remises, une mécanique bien connue se répète : acheter pour posséder, acheter parce que “c’est le moment”, acheter tant que le prix baisse… alors que l’usage réel, lui, reste souvent dérisoire. Chaque année, le même scénario se rejoue après les fêtes. Le 25 décembre 2024, eBay enregistrait déjà plus de 340 000 annonces de revente de cadeaux en France, preuve que nombre d’achats n’ont servi que quelques heures, parfois quelques minutes. Les jouets sont revendus dès le lendemain, les équipements sportifs finissent dans un placard, les gadgets électroniques changent de main quelques semaines plus tard. Acheter davantage pour utiliser moins :  c’est une dépendance coûteuse déguisée en promotion.

Sevrage amorcé : les consommateurs coupent la perfusion

La bonne nouvelle, c’est que cette logique addictive perd du terrain. Un Français sur deux se dit prêt à louer plutôt qu’acheter pour un équipement utilisé ponctuellement. 46 % affirment vouloir étaler leurs achats et les réfléchir davantage. On observe un basculement : les consommateurs cherchent moins la frénésie d’un achat compulsif que la cohérence d’un achat réfléchi. Et l’économie d’usage fait alors pleinement partie de ces antidotes. Elle ne prive de rien : elle réapprend simplement à consommer au rythme de la vie réelle. Payer uniquement pour ce qu’on utilise. Certaines entreprises développent des offres de réparation, de seconde main, de location. Des institutions comme l’ADEME encouragent le réemploi et la sobriété. Ce mouvement n’est pas encore la norme, mais il dessine une alternative crédible à l’achat réflexe.

Ce qui devient nécessaire, c’est une désintox nationale face à une mécanique commerciale que nous alimentons tous, souvent malgré nous. Ces périodes sont l’occasion de réinterroger notre rapport à la consommation : de repenser l’achat comme un acte réfléchi, ponctuel, utile - et non comme une réaction impulsive, un réflexe saisonnier ou une fuite dans “la bonne affaire.”

Sortir de ce réflexe n’est pas un geste individuel : c’est un effort collectif, comparable à une campagne de santé publique où l’on apprend à identifier ce qui nous nuit, à en mesurer les effets, puis à s’en libérer progressivement.

Sortir de la spirale : choisir l’usage plutôt que l’impulsion

À l’aube d’une nouvelle saison d’achats - fêtes, soldes, mois blanc - chacun peut faire un choix : répéter les cycles d’achat, d’accumulation et de gaspillage ; ou inverser le mouvement, en optant pour l’usage, la sobriété, la responsabilité.

La vraie “bonne affaire” aujourd’hui ne se trouve pas dans le pourcentage barré sur une étiquette ou l’accumulation d’objets inutilisés. Elle se trouve dans la capacité à consommer selon ses véritables besoins, à utiliser ce que l’on dépense, à donner une durée et une utilité réelle à chaque bien, sans alourdir son budget, sans encombrer son espace, sans gaspiller. C’est sortir de la logique où l’objet possède le foyer plus que le foyer ne possède l’objet.

Nous sommes nombreux à être lassés de ce cycle annuel, de cette pression à consommer davantage sans utiliser davantage. Alors peut-être est-ce le moment d’une désintox collective : refuser la frénésie d’une période pour retrouver la maîtrise d’une année entière. Reprendre le contrôle, non pas sur un panier d’achats, mais sur sa capacité à accéder, partager, utiliser, au moment juste.

La vraie bonne affaire n’est pas de posséder plus. Elle est de retrouver son pouvoir d’usage.