Dans la plupart des crises, la première réaction des dirigeant.es est la même : se protéger. Réduire les prises de parole, repousser une interview, annuler un point presse, différer un message interne. Par peur d’en dire trop. Par peur de mal dire. Par peur, surtout, d’aggraver la situation.

Ce réflexe est compréhensible. Personne n’a envie de voir son entreprise exposée sur les réseaux, ses décisions décortiquées, ses phrases isolées puis commentées. Mais en temps de crise, le silence a un coût. Il laisse à d’autres le soin de raconter le récit à votre place : collaborateurs, clients, candidats, observateurs. Et ce récit-là est rarement fidèle.

La question n’est donc pas de savoir si vous devez prendre la parole. En réalité, la parole circule déjà. La vraie question, c’est de savoir si vous voulez en faire partie, ou laisser la crise parler pour vous.

Pourquoi le silence est si tentant

Se taire n’est pas un manque de courage, mais une tentative de limiter les dégâts. Les dirigeant.es arbitrent entre trésorerie et croissance, rassurent des investisseurs prudents, répondent aux inquiétudes internes. Dans ce contexte, formaliser une prise de parole peut sembler secondaire.

À cela s’ajoute la peur de la mauvaise phrase : chaque mot peut être isolé, partagé, sorti de son contexte. Les dirigeant.es sont pris entre contraintes juridiques, qui poussent à la prudence, et attentes humaines, qui demandent transparence et pédagogie.

La culture startup n’aide pas. On apprend à communiquer sur une levée, une expansion, un recrutement massif. Beaucoup moins sur une réorganisation, l’arrêt d’un produit ou une réduction de voilure. Corriger publiquement sa trajectoire semble toujours plus risqué que la célébrer.

Ce que le silence produit vraiment

Le silence n’arrête pas l’information, il la déplace.

En interne, les équipes remplissent les blancs. Bribes, signaux faibles et discussions Slack deviennent la principale source de vérité. Le message officiel étant flou ou absent, ce sont les rumeurs qui dominent. Résultat : anxiété, désengagement, départs anticipés.

Nous observons souvent le même scénario : une réorganisation annoncée sans explication, des managers prévenus au dernier moment, aucun message à destination des clients. Trois mois plus tard, le sujet est oublié sur les réseaux, mais pas en interne : turnover, deals gelés, confiance fragilisée.

En externe, le vide se voit aussi. Ralentissement des publications, changement de ton, absence de positionnement sur un sujet sensible : les partenaires s’interrogent. L’entreprise va-t-elle tenir ses engagements ? Est-ce le bon moment pour signer ou renouveler ? Dans un contexte tendu, le moindre doute peut suffire à geler une décision.

Prendre la parole sans se brûler

Prendre la parole en crise ne signifie pas tout dire. Il s’agit de reprendre un minimum de maîtrise sur le récit.

Premier repère : dire ce qui peut et doit l’être.

Il y a des contraintes légales ou financières, mais il existe toujours un espace de parole : expliquer le contexte, les critères de décision, la manière d’accompagner les personnes concernées.

Deuxième repère : adapter la parole aux cercles concernés.

Les équipes ont besoin de concret. Les clients doivent comprendre la continuité de service. Les médias ont besoin d’une version synthétique, mais cohérente avec le reste.

Troisième repère : quelques messages clés à partager.

Clarifier trois idées : ce qui se passe, pourquoi, et comment l’entreprise prend soin des personnes et des clients. Mieux vaut une parole simple qu’un texte réécrit dix fois et jamais envoyé.

Dernier repère : assumer une parole imparfaite

Dire “nous n’avons pas encore toutes les réponses” n’est pas une faiblesse. Ce qui est sanctionné, ce n’est pas l’incertitude, mais l’impression de brouillard ou de duplicité.

Les difficultés économiques actuelles laissent peu de marge aux startups. On peut penser que la communication est un luxe, mais c’est un outil de gestion. Elle ne supprime pas les décisions difficiles, mais elle peut faire une différence décisive sur la confiance, la continuité du business et la fidélité des talents.

Les crises vont se succéder. La véritable ligne de fracture n’est pas entre celles qui y échappent et les autres, mais entre les entreprises qui laissent ces crises raconter leur histoire, et celles qui choisissent de reprendre la main sur le récit.