A peine plus d'un an après la sortie officielle de son application, Zenly sort par la grande porte en signant son rachat par Snapchat pour une somme estimée entre 250 et 350 millions de dollars. Investisseurs, partenaires, amis, qui sont ceux qui ont rendu l'opération possible ? Maddyness retrace l'histoire d'une pépite hors normes.

C'est l'histoire d'un rachat historique qui aurait bien pu ne jamais voir le jour. Si le chiffre laisse aujourd'hui rêveur - on parle d'une opération avoisinant les 300 millions de dollars - le deal était loin d'être signé il y a quelques mois encore. Il est l'oeuvre d'une poignée d'artisans qui ont oeuvré en coulisses et dans la plus grande discrétion, parfois depuis plusieurs années.

À relire : Snapchat rachète Zenly pour environ 300 millions de dollars

Jean de la Rochebrochard, le soutien inconditionnel

La bromance Jean de la Rochebrochard-Zenly commence en 2013, avant même le lancement de l'application. Alexis Bonillo et Antoine Martin, les cofondateurs de Zenly, peinent alors à décoller avec Alert.Us, la première version de leur technologie de géolocalisation qui ne convainc pas les utilisateurs. Ils rencontrent Jean de la Rochebrochard autour d'un café. Il est alors leveur de fonds et s'apprête à intégrer The Family. Et les trois hommes s'entendent si bien que ce dernier va entrer dans le cercle restreint des conseillers des deux entrepreneurs. Fin 2014, il sera l'un des premiers à tester Zenly, leur nouveau projet. "Leur version beta était très brute, se rappelle Jean de la Rochebrochard. Elle ne comportait aucune fonctionnalité particulière. Il y avait simplement des points représentant ses amis géolocalisés."

Petit à petit, l'application se constitue organiquement une base d'utilisateurs quand arrive, quelques mois plus tard, le moment où les deux fondateurs veulent faire grandir leur projet. Pour cela, ils ont besoin d'étoffer les équipes et donc de lever des fonds. Le début de la gloire ? Pas vraiment. Alexis Bonillo et Antoine Martin passent d'un bureau d'investisseur à un autre, sans succès. Le produit intrigue, intéresse. Mais les chiffres sont trop modestes pour convaincre les financiers. Les millions d'euros tant espérés s'éloignent de plus en plus... jusqu'à l'intervention de Xavier Niel, à la tête du fonds Kima Ventures qu'il a fondé avec Jérémie Berrebi, remplacé au printemps 2015 par un certain Jean de la Rochebrochard. C'est naturellement vers ce dernier que se tournent les deux fondateurs de Zenly.

Jean de la Rochebrochard

"Je savais qu'on avait là l'opportunité de créer un truc dingue, avec une équipe exceptionnelle, raconte-t-il. Mais face aux refus des investisseurs, il ne restait qu'une seule solution : qu'on mène l'opération de série A." Xavier Niel partage rapidement son enthousiasme, au point qu'il pose un ultimatum à son nouvel associé : s'il ne trouve pas des co-investisseurs en deux semaines, c'est lui-même qui "s'en occupera". En novembre, Zenly boucle un tour de table de près de 8 millions d'euros auprès de Kima Ventures et IDInvest, soutenus par quelques business angels, avant son lancement officiel et avec seulement 10 000 utilisateurs. "Il fallait prendre ce risque et avoir le courage de mettre suffisamment d'argent sur la table, reconnaît Jean de la Rochebrochard. De petits investissements donnent de petites histoires. Il faut savoir payer trop cher jusqu'à ce que ce ne soit pas assez cher."

Peter Fenton, le mentor américain

Une fois les premiers millions en poche, l'application se développe rapidement. Dès son lancement en mai 2016, elle suscite une excitation auprès des ados qui rappelle celle des grands réseaux sociaux américains : Facebook, Instagram ou le dernier en date, Snapchat. Et qui a investi dans ces deux dernières pépites ? Benchmark Capital. C'est grâce à l'appui de Peter Fenton, l'un des associés du fonds, et après avoir une première fois entendu parler de Zenly par Xavier Niel que la rencontre entre Evan Spiegel et les fondateurs de l'application française va avoir lieu. Invités par Jerry Murdock, l'un des cofondateur du fonds Insight Venture Partners, à un week-end avec le gratin de la Silicon Valley, Alexis Bonillo et Antoine Martin font la connaissance de leur futur ange gardien de la côte Ouest.

Peter Fenton

"Etre capable de savoir où et avec qui sont vo amis ouvre un monde d'opportunités pour le produit, qui - s'il est bien réalisé - deviendra l'une des entreprises iconiques de notre temps, disait Peter Fenton à TechCrunch en septembre dernier. Nous avons immédiatement été conquis par l'équipe de Zenly, son expertise technique et sa vision du mapping comme fondement de tout un tas de fonctionnalités sociales." Un constat prophétique et tellement chaleureux qu'il a provoqué une véritable déclaration d'amour publique de Zenly sur Twitter.

 

Evan Spiegel, l'acheteur patient

Quand le fondateur de Snapchat découvre Zenly, il imagine tout de suite les synergies entre les deux réseaux sociaux. La cartographie est une fonctionnalité appréciée des ados et des jeunes adultes, moins regardants que les générations précédentes sur la protection de leurs données de géolocalisation. Google règne toujours en maître sur ce domaine et Facebook cherche à rattraper son retard en la matière. Il est urgent pour Snapchat de se mettre à niveau. Or, la technologie est plus attrayante qu'elle n'est facile à développer. Est-ce que l'idée d'un rachat germe dès la rencontre entre Evan Spiegel, Alexis Bonillo et Antoine Martin à l'été 2016 ? L'histoire ne le dit pas.

C'est d'abord une relation de confiance qu'ont nouée les fondateurs, presque du même âge, exactement de la même génération et dont les ambitions les portent vers les mêmes sphères : celles des entrepreneurs qui jouent dans la cour des grands. Et qui tiennent à leur indépendance. En 2013, courtisé par Google mais surtout par Facebook, Evan Spiegel avait osé dire "non" à Mark Zuckerberg qui lui proposait alors 2 à 3 milliards de dollars pour racheter Snapchat. Il n'est donc pas étonné d'essuyer un refus lorsqu'il évoque pour la première fois l'idée d'un rachat. Hors de question pour Alexis Bonillo et Antoine Martin de vendre : les perspectives de développement de Zenly sont multiples, leur réserve de cash est plus que confortable et les investisseurs se bousculent au portillon. Quel intérêt auraient-ils à vendre leur pépite ?

Evan Spiegel

Au fur et à mesure des discussions et des entrevues - le fondateur de Snapchat s'est notamment rendu plusieurs fois au printemps dans les locaux parisiens de Zenly - se dessinent les contours de l'opération. Snapchat pourrait utiliser la technologie de Zenly pour ses futurs produits et notamment la fameuse Snap Map sortie jeudi tandis que Zenly continuerait d'exister de façon indépendante pour faire croître sa communauté en-dehors de Snap. Chacun y trouve son compte et l'entente entre les équipes relève presque du conte de fées. Mais le projet se concrétise vraiment au printemps, après l'entrée en Bourse très remarquée du réseau social américain. Et s'est bouclée en moins de trois mois. Avec la fin que l'on connaît.